Le média de ceux qui construisent l'Afrique d'aujourd'hui et de demain

Baaba Maal, entre identité et universalisme

Sa voix puissante et mélodieuse s’élève pour transporter les spectateurs du film Black Panther. Mais bien avant la « révolution Wakanda », Baaba Maal était, est et reste ce chanteur à l’aura internationale, porte-étendard de la culture et de la communauté halpulaar (Peul), d’un terroir (Podor, dans la région du Fouta-Toro) et d’un continent : l’Afrique. Rencontre avec un monument de la musique africaine et mondiale, à l’occasion de la sortie de son nouvel album Being, prévue le 31 mars.

Propos recueillis par Karo Diagne-Ndaw 

Forbes Afrique : Vous venez de célébrer 40 ans de présence musicale avec votre formation, le Daande Leñol. Pouvez-vous nous retracer votre carrière ?

Baaba Maal : Je suis réellement venu à la musique avec mon ami Mansour Seck. À Dakar, j’avais déjà fréquenté beaucoup de troupes, dont le groupe Lasly Fouta. Ce grand ensemble de 70 personnes qui mêlait chant, danse, théâtre, etc., c’était comme une université, un conservatoire, bref : un passage obligé pour tous les musiciens halpulaar qui venaient à la capitale. Avec Mansour Seck, nous nous sommes spécialisés et consacrés à la musique du Fouta, car nous avons réalisé qu’elle n’était pas bien connue au niveau du Sénégal et de l’Afrique en général. 

Puis, je suis parti en France rejoindre des amis et à mon retour j’ai formé le groupe Daande Leñol, toujours avec Mansour Seck. Pour nous, c’était avant tout un moyen de faire connaître et promouvoir la culture pular, avec une approche familiale de la musique et de sa pratique. Grâce à cela, nous avons signé avec des labels comme Island Records (fondé par le producteur Chris Blackwell, qui compte parmi les premiers et plus grands promoteurs de l’industrie musicale jamaïcaine, et a contribué à l’expansion internationale du reggae, notamment grâce à Bob Marley, qu’il a engagé sur son label au début des années 1970, NDLR) et Mango Records. Surtout, à travers notre groupe, dont le nom signifie « la voix du peuple » en pulaar, la communauté des halpulaar avait désormais un porte-parole.

Nous avons tout de suite rencontré notre public, qui était vraiment là pour nous soutenir et nous accompagner, et grâce à cet orchestre, les membres de la communauté ont pu partager leur vécu et leurs aspirations, et les spécificités de cette culture mal ou trop peu connue. Cela nous a notamment amené à mettre sur pied des projets de développement comme le festival « Blues du fleuve ».

Justement, parlez-nous de ce festival que vous avez initié, et qui en est maintenant à sa 15e édition ; pourquoi avoir choisi de l’appeler « Blues du fleuve » ?

B. M. : Tout d’abord parce que d’un point de vue strictement musical, je suis convaincu qu’une très grande part de la musique que l’on peut entendre à travers le monde trouve ses racines lointaines en Afrique : dans la musique cubaine, on sent l’influence de l’Afrique, de même que dans le reggae, et dans d’autres musiques plus modernes d’Amérique du Nord. Le blues en particulier, qui a donné naissance au jazz et au rock’n’roll notamment, est un genre musical dérivé des chants de travail des populations afro-américaines issues de l’esclavage. Cette musique a survécu, s’est mêlée à d’autres genres, a voyagé comme un enfant, et est revenue ici pour retrouver ses sources, ses racines. Et, de même que l’on sent l’Afrique dans de nombreux styles musicaux, les musiques traditionnelles que l’on peut entendre dans des pays comme le Mali ou le Sénégal évoquent elles aussi d’autres musiques du monde. Par exemple ici, au Sénégal, il peut arriver que l’on prenne un morceau cubain et qu’on le « sénégalise », parce que ces deux genres ont des éléments communs. 

Pour moi, c’est vraiment l’image d’un enfant qui est parti et qui revient. Et comme au moment où cette musique est apparue, il n’y avait ni avions, ni trains, ni voitures, c’est par les cours d’eau qu’elles se sont transportées et perpétuées. D’où l’appellation de « Blues du fleuve », qui symbolise aussi, dans l’événement que nous avons voulu mettre en place, un festival d’intégration se traduisant par la solidarité des peuples riverains du fleuve Sénégal. 

Comment avez-vous réussi à assurer la pérennité de ce festival pendant plus de dix ans ? Cet événement est-il aujourd’hui rentable et pouvez-vous compter, pour cela, sur le soutien de partenaires ?

B. M. : Au début, le festival était financé sur fonds propres et j’avais prévenu le comité d’organisation qu’il fallait s’attendre à galérer pendant un petit moment, plusieurs années peut-être. La plus grande réussite de Blues du fleuve, c’est qu’il rassemble aujourd’hui des populations issues des quatre pays riverains du fleuve Sénégal : Sénégal bien sûr, avec des Dakarois qui se déplacent jusque dans les terres pour venir y assister, mais aussi Mali, Guinée et Mauritanie. Tous se sont approprié l’événement, et l’engouement suscité bénéficie grandement aux commerçants, artisans et autres. Au début, nos principaux et seuls partenaires étaient le ministère sénégalais de la Culture et de la Communication, et les ministères dédiés d’autres pays, qui faisaient venir leurs artistes. Nous avons reçu beaucoup de groupes mythiques comme Mumford and Sons, dont la venue a eu un effet particulièrement bénéfique sur la notoriété du festival et nous a permis d’attirer d’autres sponsors comme l’Agence sénégalaise de promotion touristique, ou des groupes industriels. Nous restons bien évidemment ouverts à d’autres sponsorings. 

Votre dernier album intitulé Being (« Être ») sort à la fin de ce mois de mars. Pouvez-vous nous raconter comment est né cet opus et quels sont ses temps forts ?

B. M. : J’ai voulu rompre avec ce que j’avais l’habitude de faire ces 20 dernières années. Cela se traduit par diverses collaborations avec des amis musiciens qui apportent leur univers et des éléments de la musique occidentale, tandis que je viens avec ma voix, mes textes, mes mélodies, et mes « invités » : des instrumentistes du Sénégal et d’ailleurs, mais avant tout de jeunes musiciens. La réalisation de cet album, enregistré entre Podor, Dakar, New York et Londres, m’aura pris environ quatre ans. Encore une fois, on y est allés à notre rythme. Chaque fois que nous avions la possibilité de nous retrouver tous ensemble, nous avancions sur l’écriture de l’album, que j’ai choisi de nommer Being, parce que c’était justement cela l’idée : laisser vivre, être, exister… Laisser les informations venir à nous naturellement, prendre le temps de les digérer et en faire des morceaux de musique. Il y a un côté lâcher-prise dans cet album, avec également des chansons qui sortent des formats traditionnels, la dernière, notamment, durant plus de neuf minutes. Enfin, on aborde dans Being des problématiques contemporaines, comme la toute-puissance des réseaux sociaux à notre époque connectée, et la façon dont ceux-ci peuvent indifféremment mettre à mal l’unité familiale à la base des sociétés africaines ou, au contraire, permettre un dépassement de soi et des accomplissements inespérés. En gros, ce que l’on choisit de dévoiler ou non sur les réseaux, et pourquoi. Ces thématiques sont abordées dans les titres « Boboyillo » et « Yerimayo Celebration ». 

Peut-on considérer cet album comme un aboutissement de votre carrière, l’album de la maturité en quelque sorte ? Comment l’écouter, l’apprécier et le ressentir ?  

B. M. : J’ai dit il y a quelque temps que Mansour Seck et moi venions de bien loin, ayant quitté Podor pour moi, et lui, le petit village de Guédé, pour arriver à un niveau que nous n’aurions jamais imaginé. Cela s’est notamment traduit, dans mon cas, par la participation à la bande originale du film Black Panther, qui a connu un succès international et est devenu le porte-étendard de toute une génération d’Africains décomplexés.  

Cela veut dire que nous avons un vécu, et qu’il faut savoir mettre ce vécu à profit pour que tous ensemble nous puissions avancer, aller de l’avant et créer des choses positives pour notre pays, pour l’Afrique, pour le monde. Parce qu’un album ne s’adresse pas à un public fermé, bien au contraire ; très peu d’arts ayant, comme la musique, cette capacité de fédérer par-delà les frontières, la condition sociale ou la nationalité.  

Je pense aussi que la musique africaine, à un certain niveau, peut prétendre proposer des solutions par rapport à tout ce qui se passe dans le monde, tous ces conflits, et aider à faire preuve de discernement et de dépassement. C’est pour cela que je me suis dit qu’il fallait traiter de tous ces thèmes-là : du voyage, du fait que nous appartenons tous à un quelque part qui nous a forgé et devons, en retour, quelque chose à ce quelque part. D’où mon choix de rester à Podor et de rendre à Podor tout ce qu’elle m’a donné, ce dont je parle dans le titre « Yonide Waira ».  

Votre chanson « Soukenayo » dans l’album Nomad Soul, est un appel à soutenir la jeunesse en Afrique et dans le monde, car, dites-vous, « lorsque l’enfant s’épanouit, la famille s’épanouit, la communauté s’épanouit, la société s’épanouit ». Selon vous, quel rôle pourrait jouer cette jeunesse dans le combat pour l’émergence du continent que vous menez également ? 

B. M. : Comme je l’ai dit récemment sur les réseaux sociaux, « Je conseille et je demande aux jeunes africains, à la jeunesse africaine, de ne jamais baisser la tête, de ne pas courber l’échine, de relever la tête et de regarder droit devant eux ». Nous avons pour nous un continent riche de sa jeunesse et du potentiel qu’elle représente ; riche de ses ressources, de sa diversité culturelle et de son patrimoine ancestral. Il ne tient qu’à nous de réaliser pleinement ce potentiel. Beaucoup de jeunes le font déjà, notamment dans le milieu du hip-hop où l’on sent leur engagement dans leurs textes ; en politique aussi parfois, et dans bien d’autres domaines. C’est cette jeunesse-là qui a toutes les cartes en main pour faire du continent africain une véritable terre d’avenir. On ne peut pas être africain et baisser la tête, c’est aussi simple que cela. 

Crédits-photos : Matthew Donaldson

Partager l’article


Ne manquez aucun de nos articles.

Inscrivez-vous et recevez une alerte par email
à chaque article publié sur forbesafrique.com

Bonne lecture !

Profitez de notre abonnement illimité et sans engagement pour 5 euros par mois

√ Accédez à tous les numéros du mensuel Forbes Afrique de l'année grâce à notre liseuse digitale.
√ Bénéficiez de l'accès à l'ensemble des articles du site forbesafrique.com, y compris les articles exclusifs.