Chargée de favoriser le développement international des entreprises françaises, notamment en Afrique, l’agence publique française Business France ambitionne aujourd’hui d’inscrire son action dans une relation de croissance partagée avec les opérateurs économiques du continent. Forbes Afrique s’est entretenu avec Laurent Saint-Martin, le directeur de l’institution, pour cerner les enjeux clés de cette coopération.
Propos recueillis par Sabah Kaddouri
Forbes Afrique : Vous avez récemment organisé à Paris une nouvelle édition des Rencontres Algérie. Une démarche qui traduit visiblement une volonté de renforcer les partenariats économiques entre la France et l’Algérie. Comment s’exprime concrètement ce nouvel élan sur le plan des affaires ?
Laurent Saint-Martin : Les rencontres Algérie sont organisées tous les ans (la 14ème édition en 2023) et permettent de tenir informés les entreprises sur les principales opportunités commerciales et partenariales, en décryptant les évolutions réglementaires et l’actualité sectorielle. L’édition 2023 intervient alors qu’un nouveau régime d’investissement a été mis en place par les autorités algériennes, censé renforcer l’attractivité de ce marché. Le dernier trimestre 2022 avait parallèlement été jalonné par des visites de très haut niveau, du Président de la République Emmanuel Macron d’abord, puis de son gouvernement sous la conduite de Mme la Première Ministre Elizabeth Borne, destinées à instaurer un partenariat renouvelé entre la France et l’Algérie.
L’objectif est d’engager les opérateurs économiques des deux pays à relancer leurs relations d’affaires en les inscrivant dans une perspective partenariale exemplaire. Les autorités algériennes aspirent à diversifier leur économie. Certains produits que l’Algérie importait auparavant, sont désormais fabriqués localement, voire commencent à être exportés. Les entreprises françaises l’ont compris et inscrivent progressivement leurs stratégies de développement dans cette nouvelle dynamique.
Nous voyons émerger des nouveaux projets d’investissements conjoints dans des secteurs très variés. Business France se doit d’accompagner les opérateurs économiques dans cette ambition, raison pour laquelle elle a lancé un nouveau programme de codéveloppement Afrique du Nord conçu pour faciliter l’essor de coentreprises répondant aux besoins des transitions énergétiques, alimentaires et numériques. Pour nos experts, c’est à la fois un travail de réseau et un travail de terrain dans les différentes wilayas en Algérie, mais aussi dans nos régions en France, avec les chargés d’affaires de la Team France Export et nos partenaires, en vue de discuter de leurs projets et de leurs attentes.

En quoi le marché algérien se révèle-t-il important pour les entreprises françaises désireuses de gagner des parts de marché en dehors de l’OCDE ?
L.S.M : L’Algérie offre aux entreprises françaises la possibilité de diversifier leurs marchés et de réduire leur dépendance vis-à-vis des économies de l’OCDE, ce qui peut contribuer à atténuer les risques économiques et politiques. Le marché algérien offre de multiples opportunités pour les entreprises françaises. Deux avantages principaux sont fréquemment soulignés : d’abord, la proximité géographique avec l’Europe (Alger se trouve à moins d’une journée en bateau de Marseille) et une main-d’œuvre bien formée. Les coûts de l’énergie sont plus bas que dans de nombreux autres pays de la région, ce qui est un avantage compétitif.
En outre, le marché intérieur compte plus de quarante-quatre millions d’habitants désireux de consommer des produits locaux de qualité, à des prix compétitifs. À mon avis, ces atouts convergent pour inciter les entreprises françaises à s’intéresser à l’Algérie et à la production sur place. Cependant, il est important de noter que le marché algérien présente également des défis pour les entreprises françaises, notamment en termes de bureaucratie, de régulation et de climat des affaires. Il est donc essentiel pour les entreprises françaises de bien se préparer et de s’adapter à ces défis avant de se lancer sur ce marché, ainsi que d’être accompagné par nos équipes sur place.

À une échelle plus large, quelle est votre grille de lecture des enjeux et opportunités offertes par le continent africain ?
L.S.M : Sur l’ensemble du continent africain, plusieurs défis se dressent, notamment en ce qui concerne les importantes évolutions démographiques à long terme. Comment répondre aux besoins en habillement, alimentation, soins médicaux et éducation de 2,4 milliards de personnes d’ici 2050 ? Comment assurer leur emploi, gérer leur répartition géographique et organiser leurs déplacements ? Voilà les enjeux cruciaux auxquels l’Afrique devra faire face dans les décennies à venir. Le continent concentre à la fois les défis et les solutions.
L’un des principaux enjeux auxquels le continent africain doit faire face est sans aucun doute la transition écologique et énergétique, tant pour la décarbonisation de son approvisionnement électrique que pour l’adoption de solutions efficientes. La croissance du continent entraînera d’immenses besoins en infrastructures et en industrialisation.
La France est un partenaire du continent face à ces défis. Nous sommes d’ailleurs engagés à promouvoir les cleantech françaises vers le continent, pour connecter les entreprises françaises et africaines, comme lors du premier forum Afrique France de la transition écologique et énergétique, que nous avons organisé à Tunis il y a quelques mois avec 600 entrepreneurs de 8 pays, dont 60 champions français de l’eau, assainissement, des énergies renouvelables et de la ville durable.
Nous avons également mené en février, en partenariat avec Bpifrance une mission consacrée à la Transition Énergétique en Afrique du Sud, qui compte encore plus de 80 % d’énergies fossiles dans ses mix électrique et énergétique. Cette mission visait à mettre les PME et ETI françaises participantes – fournisseurs d’équipements et solutions technologiques liées à la transition, à la valorisation et à l’efficacité énergétique, à la décarbonation de la production électrique et de l’industrie ou encore à l’hydrogène vert – en condition d’accompagner la transition énergétique du pays, qui prévoit le raccordement au réseau de nouvelles capacités d’ici à 2030 avec un objectif de 42 % de l’électricité produite à partir de sources renouvelables.

La notion de « co-développement » conduit aujourd’hui l’action et la stratégie économique de la plupart des pays africains. Comment Business France répond-il à cette exigence en repensant son mode de coopération ?
L.S.M : La relation entre l’Afrique et la France est un choix. Les destins de l’Afrique et de la France sont étroitement liés. Institutionnels, opérateurs publics, entrepreneurs et citoyens contribuent à leur échelle au renforcement des relations franco-africaines. Par ses liens humains et culturels avec l’Afrique, la France est un partenaire des pays qui le souhaitent, pour investir et accompagner l’essor industriel.
Cela se traduit par une attitude plus modeste et moins politisée, une attention soutenue aux besoins des économies africaines et la détermination à fournir des solutions concrètes et performantes que les pays africains peuvent adopter pour assurer leur propre développement.
En Afrique du Nord et en Algérie, la notion de co-développement est portée par les stratégies croisées de développement entre les deux rives de la Méditerranée pour répondre aux besoins entre les continents européens et africains. Cela suppose de travailler dans la durée, avec des partenaires de confiance et des objectifs communs de croissance et d’emplois. L’accompagnement de Business France et de ses partenaires de la Team France Export s’organise pour y répondre avec des programmes spécialisés et des collaborateurs dédiés, comme le codéveloppement Afrique du Nord, lancé lors des rencontres Algérie, ou d’autres initiatives portées par les régions autour de la transition écologique.
Au-delà et pour l’ensemble du continent, Business France travaille surtout avec des PME aux ressources limitées, qui privilégient des partenariats locaux pour l’exportation, comme les co-entreprises. Ainsi, ces PME génèrent de l’emploi et de la valeur sur place. Nous promouvons l’innovation et les échanges technologiques en soutenant les collaborations entre entreprises françaises et africaines dans les domaines de la recherche et du développement. Ces partenariats permettent d’élaborer des solutions adaptées aux défis locaux et stimulent la croissance économique des pays africains.
Nous collaborons aussi avec des partenaires développant l’entrepreneuriat et l’investissement entre l’Europe et l’Afrique, tels que le groupe AFD au travers de programmes comme MEET Africa avec le réseau ANIMA, ou encore Bpifrance avec la communauté Afrique France Entrepreneurs. L’utilisation des technologies du numérique, des plateformes et applications mobiles est fortement encouragée et répond aux pratiques des acteurs en Afrique.

Pourriez-vous nous citer des projets/initiatives accréditant cette logique de co-développement ?
L.S.M : Par exemple, l’entreprise Sokien, en tant qu’éditeur d’un « serious game » multilingue de sensibilisation à la cybersécurité s’intéressait au marché émergent que constituent les pays du Maghreb. Le bureau Business France à Alger a identifié rapidement les acteurs susceptibles d’être intéressés par leur solution. Au terme d’une phase de négociation, un acteur incontournable de l’écosystème tech algérien est devenu leur distributeur régional. Cet accompagnement s’est avéré être un formidable accélérateur de développement pour les deux partenaires.
On peut aussi citer l’exemple de notre bureau au Kenya qui a accompagné un projet d’implantation en Afrique de l’Est de l’entreprise française Olvea, désireuse d’investir dans une usine de production d’huile d’avocat. Nous avons réalisé une étude comparative des pays d’Afrique de l’Est pour cet investissement. L’entreprise a finalement retenu le Kenya (pays que nous avions recommandé) et y a transféré sa technologie. L’activité de cette usine est aujourd’hui pleinement intégrée à la chaîne de valeur mondiale. L’huile produite sur place, au plus près de la production d’avocats, est en effet intégrée à d’autres processus de fabrication à travers le monde pour la fabrication de produits pharmaceutiques et composants alimentaires.
Dans un contexte de crises multiples accentuant l’incertitude économique, comment renouveler ce partenariat Business France / Afrique ? Quels sont aujourd’hui vos chantiers prioritaires ?
L.S.M : L’Afrique est l’une des trois priorités géographiques de Business France. Nous y disposons de 12 implantations et de 77 collaborateurs, qui accompagnent nos entreprises sur 32 marchés du continent ainsi que les entreprises africaines désireuses de s’implanter en France. Nous nous engageons à renforcer nos relations économiques avec l’Afrique, des relations qui sont déjà bien établies. Pour rappel, la France est le premier pays exportateur européen vers ce continent et la première destination européenne pour les étudiants africains en mobilité. Près de 33 000 entreprises françaises exportent vers des pays africains, et nos 6.100 entreprises implantées sur le continent emploient aujourd’hui plus de 900.000 personnes. La priorité africaine est déclinée au travers d’un Plan Afrique qui traduit une réelle ambition de Business France. Ce plan passe notamment par :
- Un dispositif renforcé sur les marchés clés, et accompagnement sur de nouveaux marchés, comme la Libye qui est en phase de reconstruction.
- L’invitation de décideurs africains en France pour rencontrer des porteurs de solutions et initier des partenariats avec notre programme Export
- Un accompagnement à l’export adapté au travers de formules innovantes type Boosters et programme de co-développement
- La possibilité de capitaliser sur les investissements des bailleurs, notamment au travers de nos accords avec le groupe AFD et Bpifrance pour créer des opportunités d’affaires…
En 2023, nous n’avons pas moins de 90 opérations programmées dans les secteurs Industrie & Cleantech, Agrotech, Tech et Art de Vivre et Santé pour répondre aux besoins du continent africain. Nous souhaitons travailler avec les entrepreneurs et les acteurs des écosystèmes dans une logique de partenariat. D’ailleurs, c’est tout le sens du forum Ambition Africa que nous organisons à Bercy les 17 et 18 octobre 2023. Ambition Africa illustre la nouvelle approche de la relation partenariale entre l’Afrique et la France, fondée sur une relation mutuellement bénéfique, des succès équilibrés et une croissance partagée.

Photo Laurent Saint-Martin – © Gabriel de la Chapelle