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Fama Ndiaye : “Le cinéma a ce pouvoir : raconter qui nous sommes”

Coordinatrice des projets au sein du Centre Yennenga de Dakar, premier centre culturel dédié au cinéma au Sénégal, Fama Ndiaye précise dans cet entretien les ambitions de cet espace de formation et de création de films 100 % africains.

Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed en collaboration avec la DER/FJ

“Nous avons remarqué que ce qui manquait, c’était la formation, les équipements et les infrastructures.”

Forbes Afrique : Votre rencontre avec le cinéma est le fruit d’un heureux hasard puisqu’au départ vous ne vous destiniez pas du tout à cette carrière. Pouvez-vous nous dire comment vous êtes arrivée au septième Art ?

Fama Ndiaye : En effet, j’ai à la base une formation d’ingénieur, même si j’ai toujours été intéressée par le cinéma. En me retrouvant dans des pays où ma culture n’était pas comprise et objet de nombreux stéréotypes, je me suis rendu compte que le cinéma avait ce pouvoir : raconter qui nous sommes. C’est comme cela que je m’y suis intéressée. J’étais alors en Nouvelle-Zélande, où j’ai rencontré Boubacar Coulibaly, le directeur de l’African Film Festival New Zealand. Nous sommes très vite devenus amis ; j’ai commencé à accompagner son équipe sur l’organisation du festival, les aspects techniques, le site web, etc. L’année suivante, j’ai intégré l’équipe de programmation, et suis entrée en contact avec les réalisateurs et distributeurs de la zone francophone. Encore l’année d’après, je suis devenue directrice du festival, pilotant le choix des films, gérant la recherche des partenaires culturels, les financements, la négociation de programmation avec les salles. En 2018, rentrée en France, je suis devenue bénévole à Nice pour le festival C’est trop court. J’ai ensuite travaillé pour l’association Cinewax, fondée par Jean Fall, en tant que directrice des programmes. Avec cette structure, nous avons mis en place des événements comme les soirées Apéro-Wax mêlant musique et diffusion de courts-métrages, afin d’intéresser l’audience parisienne à des productions cinématographiques venues du continent. En 2019, je me suis occupée de l’organisation de l’Online African Film Festival by Cinewax : sélection et mise en ligne des films avec les plateformes, organisation de cérémonies de lancement, recherche de financements… Cela m’a beaucoup appris sur l’écosystème du cinéma africain, la manière dont les films circulent entre l’Afrique et l’Europe, le marketing des films. Cette même année, en vacances au Sénégal, j’ai découvert un Dakar que je ne connaissais pas et qui bouillonnait d’une véritable effervescence culturelle, y compris dans le domaine du cinéma, avec notamment le festival Dakar Court. Quand je suis retournée à Paris, ma décision était prise : c’était le moment de rentrer. C’est comme cela que j’ai rencontré le réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis, initiateur du Centre Yennenga pour lequel je travaille en ce moment.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le Centre Yennenga ?

F. N. : C’est un projet qu’Alain Gomis a mis en place parce que lui-même rencontrait beaucoup de problèmes pour monter ses films au Sénégal ; les penser, les produire, les monter, les sortir… localement. Il s’était notamment rendu compte que pour tous les réalisateurs, 50 à 70 % des budgets étaient dédiés à la postproduction qui se faisait essentiellement en Europe. Nous n’étions donc pas sur une économie locale, mais qui dépendait de l’étranger. À la suite de ses rencontres avec les réalisateurs sénégalais, il a perçu un problème de compétences et de matériel. C’est ainsi que l’idée de se concentrer sur la postproduction est née, en novembre 2019, au Centre culturel de Dakar. Cela a pris un peu de temps pour trouver l’équipe, les financements. Puis les formations ont commencé, même si la Covid a ralenti les choses. Le Centre Yennenga se focalise sur la formation en postproduction, mais aussi sur des activités de médiation culturelle : débats, ateliers, programmes d’éducation à l’image… L’idée est de créer les futures audiences des salles en train de s’ouvrir dans le pays. Nous avons un nouveau cinéma Pathé, et espérons que d’autres vont suivre. Nous avons besoin de l’accompagnement des institutions étatiques, notamment sur le plan du financement, pour produire des films de A à Z, au Sénégal. Il y a à ce niveau quelque chose à inventer. L’enjeu est important. Quand le financement dépend de l’étranger, la question de l’indépendance narrative se pose.

Vous avez bénéficié d’un financement de la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes (DER/FJ). Comment seront utilisés ces fonds ?

F. N. : Nous avons remarqué que ce qui manquait, c’était la formation, les équipements et les infrastructures. La DER intervient au niveau des infrastructures. Nous avions besoin de studios avec des équipements adaptés et l’isolation nécessaire. La DER nous a permis d’acquérir une partie de ces équipements et d’effectuer les travaux d’isolation.
L’idée avec la DER, c’est d’être en mesure d’accueillir des projets de postproduction. En ce moment, nous formons 28 personnes du Sénégal et de la sous-région, dans l’objectif de pouvoir créer un pool de techniciens en chef spécialisés en postproduction qui pourront travailler sur des projets de films accueillis au sein du Centre Yennenga. Notre modèle économique est basé sur cette activité. Pour l’instant, nous sommes en phase laboratoire. La première promotion, qui dure deux ans, vient de se terminer. Nous espérons à terme accueillir de plus en plus de films et confronter ce modèle économique à nos réalités.

Crédit-photo : Fama Ndiaye

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