La légende Kassav’ a 40 ans. Membres du groupe qui a fait voyager sa musique à travers le monde entier, Jocelyne Béroard, Jacob Desvarieux et JeanPhilippe Marthély ont accepté de se confier à Forbes Afrique. Rencontre avec les artistes qui ont offert au zouk ses lettres de noblesse.
On peut situer l’origine du groupe à 1979, lorsque sort Love and Ka Dance, qui comporte quatre titres. L’idée vient de Pierre-Édouard Décimus, ancien sociétaire du groupe les Vikings, et de Freddy Marshall, producteur de l’album. Jacob Desvarieux est à la guitare et Georges Décimus à la basse. Ainsi va naître le groupe antillais baptisé Kassav’, qui signifie « galette de manioc ». Jocelyne Béroard rejoint le projet en 1980, suivie de Jean-Philippe Marthély et Jean-Claude Naimro en 1981, puis Patrick Saint-Éloi en 1982. Le groupe fête cette année, en musique, ses quarante ans de carrière. Avec 16 albums studio et un public qui s’étend sur plusieurs générations, son succès est reconnu sur tous les continents.
Forbes AFrique : Au bout de quarante ans d’existence, où trouvez-vous la force de continuer à faire de la musique ?
JACOB DESVARIEUX : Tant qu’il y a un public qui nous porte, nous continuons. Nous jouons partout dans le monde, nous sentons les réactions et nous nous disons que nous pouvons encore y aller. JOCELYNE BÉROARD : Lorsqu’on a la chance d’être un groupe passionné par la musique et qui a véritablement envie de trouver quelque chose à présenter aux siens, une nouvelle musique, un son qui pourrait les toucher, réussir à le faire et qu’ensuite ça plaise aux autres, c’est un cadeau qu’on ne peut pas prendre à la légère. C’est ce qui nous motive toute notre vie. Il y a beaucoup de gens qui essaient de faire des choses et n’arrivent pas au bout, ne trouvent pas les bonnes personnes. Kassav’ est une fusion de gens qui s’entendent bien. C’est une bénédiction, c’est un bonheur total. Tous les membres sont là depuis le début, hormis Patrick Saint-Éloi qui a disparu. On aime cette musique et lorsqu’on est sur scène, dès qu’elle démarre, on la porte.
Où trouvez-vous l’inspiration ?
JEAN-PHILIPPE MARTHÉLY : L’inspiration est partout : dans notre vie de tous les jours, chez les gens que l’on rencontre, dans le soleil et l’amour. Parfois, on peut en douter, mais elle est toujours là.
Kassav’ a une grande histoire avec l’Afrique. Certains membres du groupe ont joué avec des Africains et cela se ressent dans votre musique.
J. D. : Si vous prenez un Camerounais par exemple et que vous l’emmenez aux Antilles, on le prendra pour un Antillais et vice versa. Nous sommes noirs et tous les Noirs viennent d’Afrique. Notre culture est de connaître la musique rythmique, d’avoir un sens musical. Ce sont nos racines.
Comment expliquez-vous que les jeunes aux Antilles développent peu le zouk et que Kassav’ soit l’unique représentant de la musique antillaise à l’international ?
J. D. : Les jeunes font des choses à leur sauce. C’est l’avenir. C’est vrai que la jeunesse est plus influencée par les musiques américaines, il y a la puissance économique, ils ont les moyens de développer leurs produits, ils viennent chercher leur inspiration en Afrique, dans la Caraïbe. C’est ce qui fait que nos jeunes veulent tous faire de la musique américaine ou jamaïcaine. Mais il y a quand même des pays, comme l’Angola, le Mozambique ou le Togo, où des jeunes développent des rythmes à partir du zouk, à l’image du groupe togolais Toofan.
JOCELYNE BÉROARD : Ce que Jacob ne dit pas, c’est qu’il a créé Le Grand Méchant Zouk [un live réunissant des musiciens talentueux sur la même scène, NDLR] pour permettre au public de découvrir d’autres artistes capables de tenir la scène. Ce n’est pas tous les jours qu’un artiste marque son époque, mais j’espère qu’il y en a un dans la nouvelle génération qui va y arriver et va perdurer aussi longtemps que Kassav’. Les jeunes peuvent écouter toutes sortes de musiques, pourvu qu’ils aient une éducation musicale leur permettant d’écouter aussi la musique de chez eux. Lorsque Kassav’ a débuté, nous savions déjà que nous voulions faire une musique qui nous ressemble. Le meilleur qu’on a à offrir, c’est soi-même.
Kassav, ce sont 16 albums, et plus de 72 si on compte les opus individuels. Comment expliquez-vous que lorsque vous passez à la télévision, on vous demande toujours les mêmes chansons ?
J. D. : Effectivement. Dans chaque pays où on va, on nous demande la chanson la plus connue dans ce pays. En France, lorsqu’on passe dans une émission de télévision, ce n’est pas une émission pour les Antillais ou pour les Africains, c’est une émission pour les Français. Ces derniers ne connaissent que trois morceaux de Kassav’ : Zouk-La, Syé Bwa et Kolé Séré.
J.-P. M. : C’est un gros paradoxe. Nous avons plusieurs titres, mais en fin de compte chaque public aime ses chansons. Nous essayons de ne décevoir personne.
J. B. : C’est comme cela que fonctionnent les médias européens. Lorsqu’on faisait la promotion de nos albums, chez nous en Martinique, on ne disait jamais ce qu’il fallait choisir. Ils prenaient un album, le décortiquaient et finissaient par passer au moins les trois quarts des chansons. Donc les gens avaient le temps de découvrir en six mois la qualité de l’album. En France hexagonale, il y a un titre qui passe pendant six mois et comme il y a aussi d’autres artistes, si on n’a pas d’autres titres plus forts, il n’y a plus la même énergie. Résultat, on reste sur le titre qui est passé. Et lorsqu’on a des tubes comme Syé Bwa ou Kolé Séré, qu’on ne vous demande que ça, les gens n’ont pas envie de savoir ce que vous avez fait d’autre, ce qui est dommage. Kassav’ a tout de même pas mal de gros titres et en concert on est obligés d’en oublier certains.
Vous êtes aussi l’un des groupes français qui tournent le plus dans le monde et l’un des plus anciens en activité.
J. D. : En France, nous avons eu des récompenses [le groupe a reçu en 1988 la Victoire de la musique du meilleur groupe français, NDLR], mais les médias ont du mal à nous appeler un groupe français. Pourtant, nous tournons dans le monde entier et nous représentons la France. J. B. : Le plus important est de réussir ce qu’on fait. C’est ce qui nous est arrivé depuis le début et j’espère que cela continuera.
Votre public est composé de plusieurs générations : il y a les jeunes, les parents, les grands-parents. Que ressentez-vous ?
J. B. : Lorsque vous touchez différentes générations, il y a beaucoup de gens qui viennent vers vous et vous disent : « J’ai grandi avec vous. » J’ai rencontré une jeune dame qui m’a dit : « Je suis arrivée en France à l’âge de 6 ans, je vous ai écoutés toute ma vie ! » Elle doit avoir 36 ans, elle est fan de Kassav’. Il y a des chansons qui sont écoutées par des teenagers qui passent à autre chose à 25 ans. Les groupes perdent un public, à la différence de Kassav’ qui brasse différentes générations. C’est ce qui fait notre longévité, notre réussite.
Une tournée mondiale s’annonce. Où allez-vous jouer ?
J. D. : Dans des festivals en France, comme Jazz à Vienne, mais aussi en Afrique, en Amérique latine, dans la Caraïbe, dans le Pacifique. C’est une tournée qui ne s’arrête jamais, nous célébrons nos 40 ans !
