Première et unique femme titulaire d’une chaire UNESCO en Côte d’Ivoire, Euphrasie Yao Kouassi incarne un modèle de leadership féminin inspirant. En 2003, elle a mis en place le projet Diatokro, faisant de la gestion des ressources hydrauliques un symbole d’autonomisation pour les femmes.

À Diatokro, village de 3 340 habitants de la sous-préfecture d’Aboisso au sud-est de la Côte d’Ivoire, Euphrasie Yao Kouassi a jeté des ponts entre l’eau, les femmes et le développement, tout en conscientisant les esprits sur la puissance des approches transformatrices de genre. 

Dans cette agglomération de Côte d’Ivoire, les problèmes d’approvisionnement en eau ont longtemps été criants. Le besoin en eau potable se heurtait à la dure réalité des pompes hydrauliques défaillantes dont 70 % tombaient en panne quelques années après leur installation, occasionnant des dépenses supplémentaires à l’État, privant les populations d’eau potable, et les contraignant à retourner aux sources d’eau non aménagées, au risque d’être victimes de maladies hydriques. « On notait également une mauvaise conservation de l’eau et une gestion de l’eau réservée uniquement aux hommes », explique Euphrasie Yao Kouassi.

Diatokro : Un Projet Novateur

La réponse à ce problème a pris racine dans une approche audacieuse et novatrice initiée par elle sous le nom de projet Diatokro. Au-delà de la restauration des infrastructures hydrauliques, celui-ci a innové en intégrant les femmes dans toutes les étapes de la gestion des ressources en eau. Autrefois invisibles dans les processus décisionnels, les femmes sont donc devenues, grâce à ce projet, les gardiennes de cette ressource vitale. « Les femmes n’étaient pas associées à la gestion de l’eau, alors qu’elles étaient celles qui alimentaient principalement les familles », explique Euphrasie Yao Kouassi. Pour elle, Diatokro a justement démontré qu’impliquer les femmes permet d’obtenir des résultats exceptionnels.

Avant la mise en œuvre du projet, les femmes étaient en effet contraintes de parcourir de longues distances pour s’approvisionner en eau non potable, ce qui affectait leur santé et limitait leur participation à l’éducation et au développement économique. Le projet Diatokro a ainsi amélioré l’accès à l’eau potable, tandis que les femmes ont été formées et impliquées dans la gestion des ressources hydriques.

En outre, souligne Euphrasie Yao, l’une des méthodes clés employées par le projet est la démarche COFA (Conscientisation, Formation, Action), qui a permis de sensibiliser les populations à l’importance de l’égalité des chances, de former les femmes et les hommes aux techniques de gestion de l’eau, et de les encourager à travailler ensemble.

Une Chaire au Service du Développement Durable

L’engagement sur le terrain d’Euphrasie Yao Kouassi l’a conduite vers une reconnaissance mondiale : en 2006, l’UNESCO l’a missionnée pour diriger la chaire UNESCO « Eau, Femmes et Pouvoir de Décisions » (CUEFPOD), faisant ainsi de la Côte d’Ivoire le premier pays africain à se doter d’une chaire UNESCO dédiée à la gestion des ressources en eau avec une approche inclusive et genrée.

La CUEFPOD, explique Euphrasie Yao Kouassi, a comme objectif de promouvoir la formation, la recherche et l’innovation pour une gestion équitable et durable de l’eau. Membre du réseau mondial « UNITWIN CHAIRES » qui compte plus de 800 chaires UNESCO, elle travaille en étroite collaboration avec divers partenaires nationaux et internationaux, notamment l’État de Côte d’Ivoire, la Banque africaine de développement, la Banque mondiale et les agences des Nations unies. « En dix-huit ans d’existence, la chaire s’est affirmée comme un centre de référence sur les questions de l’eau, du genre et du développement », souligne-t-elle.

Dans le cadre de ses activités, la CUEFPOD a conçu et mis en œuvre plusieurs projets novateurs, tels que le « Compendium des compétences féminines de Côte d’Ivoire » (COCOFCI), une initiative née de la volonté du président Alassane Ouattara visant à recenser et promouvoir les compétences des femmes ivoiriennes. Un autre projet phare est le Centre de protection et d’assistance aux victimes de violences sexuelles (PAVVIOS) d’Attécoubé, qui offre un soutien vital aux femmes victimes de violences.

Par ailleurs, depuis 2018, la CUEFPOD a formé plus de 400 expert.e.s en ingénierie du genre, ainsi que des professionnels et cadres de haut niveau de l’administration et du secteur privé venus d’horizons divers (Afrique, Europe, Canada). En outre, depuis 2022, en partenariat avec l’Université Félix Houphouët-Boigny, la CUEFPOD a initié un master « Genre, économie et gestion durable de l’eau » qui forme des expert.e.s sur ces thématiques. La chaire renforce également les compétences, la visibilité et la mise en réseau des femmes et des jeunes filles.

La Côte d’Ivoire est le premier pays africain à se doter d’une chaire UNESCO dédiée à la gestion des ressources en eau avec une approche inclusive et genrée.

En Phase avec les Objectifs de Développement Durable

Par ailleurs, le projet Diatokro est en phase avec les Objectifs de développement durable (ODD) 1 (Pas de pauvreté), 5 (Égalité entre les sexes), 6 (Eau propre et assainissement), ainsi que 16 (Paix, justice et institutions efficaces).

En reconnaissance de son travail, Euphrasie Yao Kouassi a reçu la médaille d’or au 6^e symposium international de l’eau à Cannes en 2004 pour le projet Diatokro, qui a été cité comme modèle lors de plusieurs forums internationaux. En 2023, elle a été nommée citoyenne d’honneur de Montpellier pour son engagement en faveur de la gestion durable de l’eau et de l’égalité hommes-femmes.

Ainsi, en intégrant l’approche genre dans la gestion des ressources en eau, Euphrasie Kouassi Yao a ouvert un chemin vers une société plus inclusive, où l’égalité des chances est une réalité tangible.

Bio Express

Titulaire d’une licence en géographie de l’université d’Abidjan, d’un master en Genre et Développement et d’un certificat de la MDE Business School de Barcelone, Euphrasie Yao Kouassi a été directrice de l’égalité au ministère de la Femme, avant de devenir conseillère spéciale du président de la République de Côte d’Ivoire sur les questions de genre, puis ministre de la Femme, de la Famille et de la Protection de l’Enfant. Elle est actuellement conseillère spéciale du premier ministre ivoirien sur les questions de genre.