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La vie Forbes

Dadju à coeur ouvert

Dadju ©Forbes Afrique By Frédie Marufu

À illustres aînés, illustres cadets : si le grand public a d’abord connu Maître Gims, son petit frère Dadju – de son nom complet Dadju Djuna Nsungula –, surnommé “Prince Dadj” par ses fans, a gagné en quelques années ses galons de roi. À l’occasion de son récent passage à Paris, Forbes Afrique s’est entretenu en exclusivité avec le “lover en chef de l’afrobeat français, qui porte haut les couleurs des musiques d’influence africaine dans l’Hexagone et à l’international.

Propos recueillis par Élodie Vermeil I Paru dans l’édition print N°74

Forbes Afrique : C’est une question que l’on doit vous poser souvent, mais pour commencer, comment êtes-vous venu à la musique ?

DADJU : J’ai toujours écouté du son et été fan de musique, mais je m’y suis mis très tard, vers 18 ans, parce qu’à la base, je ne voulais pas spécialement être chanteur, ce n’était pas dans mes objectifs. Moi, je voulais faire du foot, comme tout le monde à la cité. La musique est arrivée naturellement et a fini par s’imposer. Mon frère Gims m’emmenait souvent au studio avec lui. Je passais pas mal de temps avec son groupe Sexion d’assaut ; ils m’ont dit que j’avais quelque chose et m’ont poussé à continuer. De là j’ai voulu m’améliorer, encore et encore. Et en cherchant à m’améliorer, j’ai commencé à aimer ce métier, ce milieu. Et me voilà, plus de dix ans après.

Deux disques de diamant et un disque d’or pour trois albums, 66 singles dont 10 de diamant, 16 de platine et 40 d’or… Quatre prix aux NRJ Music Awards, deux nominations aux Flammes… Des featurings avec les plus grands [Burna Boy, Aya Nakamura, Black M, Ninho, Fally Ipupa… NDLR]… Auriez-vous imaginé rencontrer un jour un tel succès et comment l’expliquez-vous ?

D. : J’ai toujours pensé – et je le pense encore – que j’avais vraiment un train de retard par rapport à beaucoup de gens. Donc j’ai comblé ça en bossant comme un acharné. Honnêtement, si je devais me trouver des qualités, ce serait plus ma force de travail et ma persévérance que mon talent. J’ai trimé dur pour arriver là où j’en suis. Est-ce que je m’attendais à un tel succès ? Je mentirais si je disais oui. Ce genre de succès relève du conte de fées ; on se dit que ça n’arrive qu’aux autres, comme ces artistes ou acteurs américains qui partent du plus bas pour arriver tout en haut. Et comme je suis quelqu’un de très pragmatique et que malgré une enfance heureuse, j’ai quand même bien galéré [se démenant et multipliant les petits boulots, sa mère, Dalida, élève seule une partie de la fratrie, composée de 13 frères et soeurs ; la famille est souvent expulsée, contrainte de vagabonder, dormir dans la rue ou dans des foyers, NDLR], je n’osais pas rêver aussi grand. Donc j’ai toujours fait les choses progressivement, étape par étape. Et puis un beau jour, je suis passé directement de l’étape 7 à l’étape 22…

©Droits Réservés

Petit-fils de musicien, fils de Gaston Djanana Djuna [à l’époque chanteur dans le groupe Viva La Musica de Papa Wemba, NDLR], vous êtes originaire de Kinshasa, où vous retournez régulièrement et avez tourné en pleine pandémie Ima, un long-métrage réalisé par Nils Tavernier dans lequel vous interprétez votre propre rôle. Vous êtes également l’un des porte-étendards des sonorités afros en France et à l’international. Quel lien entretenez-vous avec le continent africain et comment ce lien se traduit-il dans votre musique ?

D. : Vous savez, nous les Congolais, nous sommes un peuple assez fier. On est fiers de nos origines, de ce que l’on représente. De notre musique aussi, parce que les Congolais ont un réel talent musical, ça n’est plus à démontrer. J’éprouve moi aussi cette fierté et j’ai envie de dire au monde entier que l’Afrique regorge de talents variés, que ce soit en sport, en art, ou d’un point de vue intellectuel. À travers ma musique, mes interviews, ou même le film Ima, j’essaie de montrer les deux faces de l’Afrique ; c’est-à-dire de sensibiliser sur ce qui s’y passe bien sûr [une guerre sans fin ayant occasionné plus de 6 millions de morts et 5 millions de déplacés sévit notamment dans l’est de la République démocratique du Congo depuis maintenant presque 30 ans sans que la communauté internationale n’ait jamais réussi à y mettre un terme, NDLR], mais aussi sur le fait qu’il ne faut pas retenir que le négatif de ce continent. Je n’ai pas envie qu’on parle de l’Afrique en disant à chaque fois « il faut les aider », « il n’y a pas d’argent », « pas de maisons »… C’est une vision trop réductrice : en Afrique il y a aussi des gens aisés, des gens riches, des gens brillants, des gens qui réussissent. Et le positif, on n’en parle pas assez. C’est aussi cette face lumineuse du continent que je veux mettre en avant.

« Aujourd’hui, la musique afro tient le haut de l’affiche. Les gens ont mis du temps, mais ils ont fini par comprendre que l’Afrique, c’est l’avenir »

Justement, que pensez-vous de la montée en puissance des musiques afros que l’on observe depuis quelques années et comment l’expliquez-vous ?

D. : Clairement aujourd’hui, l’afro tient le haut de l’affiche. Beaucoup pensaient que ça allait être un simple effet de mode, mais depuis maintenant cinq-six ans, le succès de ce genre musical ne se dément pas. Aujourd’hui, tout le monde aime l’afro, tout le monde commence à adopter les codes de l’afro, tout le monde veut faire de l’afro, que ce soient les Américains [fin mai 2023, Dadju a conclu sa tournée américaine en faisant salle comble à l’Irving Plaza, l’une des enceintes mythiques de la Grosse Pomme, NDLR] ou même les Asiatiques, qui s’y mettent eux aussi. Les gens ont mis du temps, mais ils ont fini par comprendre. Je ne pense pas que ce soit une question de couleur, mais davantage de génération. La nouvelle génération a deux grandes qualités : sa curiosité de tout et sa grande capacité d’absorption. Elle a compris les codes de l’afro et se les est appropriés, chose que n’avait pas forcément faite la génération précédente. Parce que l’afro ne date pas d’hier : Fally Ipupa, Papa Wemba, et avant ça P-Square au Nigéria… Ça marchait bien sûr, mais pas aussi fort qu’aujourd’hui. Je pense que des générations comme la mienne et celle qui nous suit ont contribué à faire bouger les choses. Les Nigérians particulièrement, avec des superstars comme Burna Boy ou WizKid, ont énormément participé à l’essor de la musique afro. Il y a aussi Fally bien sûr, Davido et j’en passe : ces gens-là ont vraiment démocratisé la musique africaine, et j’y contribue aussi à ma façon, en imposant mes rythmes afros en boucle sur les ondes radio ou télévisées. Le plus beau, c’est qu’aujourd’hui, il y a tout un mouvement d’artistes qui retournent en Afrique, même s’ils n’y ont pas grandi ou ne connaissent pas le continent, pour tourner des clips, produire des sons, créer… Parce qu’ils ont compris que l’Afrique, c’est l’avenir.

©codepukstudio

Quels artistes ont votre préférence, dans l’ancienne et nouvelle garde ?

D. : Je dirais Fally [Ipupa, NDLR], un artiste que j’admire pour son talent et sa longévité. C’est le « Capitaine du Congo » aujourd’hui, et il porte haut les couleurs congolaises, que ce soit en Afrique ou ailleurs. Toujours au Congo, Papa Wemba, dans le groupe duquel a chanté mon père, et qui avait, je trouve, une voix, une façon de chanter et des sonorités uniques. Pour moi, il était en avance sur son temps et a beaucoup contribué à faire connaître la richesse de notre patrimoine ; il a notamment été l’un des premiers artistes congolais à faire des collaborations à l’international et se produire dans de grosses salles en France. C’était un précurseur, et l’ambassadeur de la sapologie. Raisons pour lesquelles j’admire beaucoup cet homme-là aussi. Il y a également Akon, qui est un de mes artistes préférés et avec lequel j’aimerais beaucoup faire un son. Je me suis toujours retrouvé dans ses chansons et j’aime particulièrement sa voix, que je trouve touchante, très mélancolique. Si je devais faire un featuring aujourd’hui, c’est avec lui que je voudrais le faire. Enfin je dirais Jay-Z. Pour sa musique déjà, mais aussi pour ses textes. On aime et on respecte encore plus Jay-Z quand on écoute et comprend ses paroles. La façon dont il a monté son business, comment il gère son couple, ses affaires, tout ce qui concerne ses activités extra musicales… C’est un modèle. Des carrières comme la sienne ou comme celle de Rihanna sont exemplaires et inspirantes. C’est quelque chose à quoi j’aspire.

Considérez-vous avoir réussi votre vie ? Plus précisément, quelle est votre conception de la réussite ?

D. : Honnêtement, je ne pense pas pouvoir dire du haut de mes 32 ans que j’ai réussi ma vie. Je trouve qu’il est trop tôt pour tirer ce genre de conclusion. C’est à la fin d’une vie que l’on peut faire ce type de constat, et j’espère en avoir encore pour longtemps ! Je dirais plutôt que oui, j’ai réussi certaines choses dans ma vie, mais pour moi, la réussite, c’est avoir un objectif et le mener à bien. Je considère que s’en tenir à cela est déjà, en soi, une réussite, car tout le monde n’a pas cette force-là.

Quelles sont vos ambitions pour l’avenir ?

D. : J’ai plusieurs choses en tête que je suis déjà en train de mettre en place. Plusieurs business que j’ai envie de développer en dehors de la musique. Il me semble avoir donné un bon exemple de l’artiste et du producteur que j’étais, et je pense que je peux proposer encore plus pour la jeunesse qui arrive. Je n’ai pas envie de me cantonner à un seul domaine, à ce que je maîtrise.

Plus concrètement ?

D. : J’ai envie de continuer à développer ma marque, Username [seconde étape du projet créatif holistique porté par Dadju, la marque de mode streetwear et unisexe Username a été conçue en collaboration avec Nathan, designer de Maison Margiela et ancien collaborateur de Marc Jacobs, NDLR], que j’ai créée en 2019 et qui a marché très fort dès ses débuts. Au départ, on était sur un développement exclusivement digital, puis on a travaillé en partenariat avec les Galeries Lafayette, et les pièces ont été rapidement sold-out dans toute la France. Je suis en train de travailler sur la suite, avec de nouvelles collections prévues, et dans l’idée d’élargir ma vision au-delà de la France et de mon public. J’ai aussi envie de collaborer avec des designers africains pour montrer que ce talent, ce charisme et cette identité sont liés au continent.

Côté social, je poursuis mes activités à travers mon association Give Back Charity, dont l’un des premiers objectifs est de venir en aide aux femmes victimes de violences sexuelles en RDC. Nous travaillons en partenariat avec la Fondation Panzi du docteur Denis Mukwege [Prix Nobel de la Paix 2018, NDLR]. L’idée, à travers cette association, c’est aussi d’attirer l’attention sur les conflits armés en RDC, notamment à l’Est, et leurs conséquences néfastes sur les femmes. Ce qui se passe là-bas, c’est tellement grave et on n’en parle tellement pas que je me suis senti obligé d’utiliser ma voix et ma notoriété pour sensibiliser, faire passer l’information. J’espère qu’à travers les actions de Give Back Charity, nous pourrons aider ne serait-ce qu’une personne qui plus tard, à son tour, pourra en aider une autre, et ainsi de suite. Le site Internet est disponible, les gens partagent l’info, font des dons… On espère continuer sur cette voie-là, et grossir de plus en plus pour pouvoir aider un maximum de monde. Enfin, je travaille depuis un petit moment déjà sur un documentaire qui va parler de l’artiste Dadju, mais surtout de l’homme. Montrer un peu l’envers du décor, ma vie de famille, les bons et les mauvais moments de ma vie et de ma carrière, les business en cours, et mon attache à l’Afrique, les parents, mon enfance, qui a été belle, mais difficile… Un condensé de tout ce que les gens ne savent pas de moi, qui sera un peu comme ma carte d’identité. Je pense qu’après ça, je n’aurai plus de secrets pour personne.

« Je pense que je peux proposer encore plus pour la jeunesse qui arrive ; je n’ai pas envie de me cantonner à un seul domaine, à ce que je maîtrise »

©Forbes Afrique By Frédie Marufu

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