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La vie Forbes

Adama Paris : Couture, Culture et Conquête

Figure incontournable de la mode africaine contemporaine, Adama Paris transcende le statut de simple créatrice. En 2025, elle signe la nouvelle édition du défilé Black Fashion Xperience au pied de la tour Eiffel, démontrant à nouveau sa capacité à fédérer les talents panafricains. Entre entrepreneuriat, production événementielle et médias, cette pionnière bâtit depuis plus de vingt ans un écosystème durable, façonnant un savoir-faire ancré dans la fierté, la cohésion et la croissance.

Par Christian Missia Dio


Née le 11 juillet 1977 à Kinshasa au Zaïre (RD Congo), fille d’un ambassadeur wolof et d’une politicienne peule, Adama Amanda Ndiaye – alias Adama Paris – incarne la pluralité de l’Afrique contemporaine. Elle grandit entre le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, l’Allemagne, l’Italie et la France, forgeant très tôt une identité qu’elle qualifie d’afropolitaine : « Je parle le wolof et trois autres langues africaines. Cet ancrage culturel, je le porte en moi, ce n’est pas quelque chose que je cherche à créer ou à démontrer — c’est ce que je suis ».

Ses études en sciences économiques la mènent d’abord à Nantes, puis à Strasbourg, où elle se spécialise en finance, avant de rejoindre Paris-Dauphine. Mais c’est la mode qui finit par l’emporter. Au grand dam de son père, qui espérait voir cette «lubie » s’éteindre.

Adama Paris ©Mario Epanya

De la Dakar Fashion Week au Défilé Chanel Métiers d’art 

En 2002, à seulement 25 ans, elle organise la première Dakar Fashion Week (DFW) avec quatre créateurs, dont Pathé’O, qu’elle appelle affectueusement « papa ». Elle décroche ses premiers sponsors au culot, aidée de ses parents. Vingt-deux ans plus tard, ce sont 32 stylistes venus d’Afrique et de la diaspora qui répondent à son appel, pour un événement désormais doté d’un budget de 80 millions de francs CFA (environ 122 000 euros). 

« En 2002, à seulement 25 ans, elle organise la première Dakar Fashion Week avec quatre créateurs, dont Pathé’O »

Cette même vision l’amène à fonder en 2011 la Black Fashion Week à Paris – devenue aujourd’hui la Black Fashion Xperience. Elle est également sollicitée par des institutions internationales de la mode, telles que la Fondation Cartier en 2017 et Daniel Hechter l’année suivante. En 2022, elle participe à la production du prestigieux défilé Chanel Métiers d’art à Dakar. Une reconnaissance majeure, mais peu relayée. « J’ai produit tout le show pour Chanel. Mais je ne communique pas beaucoup là-dessus. Je préfère que mon travail parle pour moi. »

« En 2022, elle participe à la production du prestigieux défilé Chanel Métiers d’art à Dakar »


Un Maillon Stratégique de l’Écosystème Mode Africain

Adama Paris joue un rôle central dans la structuration du marché de la mode africaine. Elle n’est pas seulement une vitrine du made in Africa : elle en est aussi une bâtisseuse. En plus de ses collections, elle développe un écosystème complet : événements, média, agence de production et distribution.

« En plus de ses collections, elle développe un écosystème complet : événements, média, agence de production et distribution »

Dès 2011, elle fonde Adama Paris Apparel Agency, pour aider les stylistes africains à se professionnaliser. Suivent alors plusieurs initiatives structurantes : Fashion Africa TV, première chaîne 100 % mode africaine (diffusée sur Canal+ dans 46 pays), des pop-ups à Tokyo, New York ou Paris, ou encore la production de l’émission Les Reines du Shopping Africa. En 2019, elle ouvre à Paris Saargale, un concept-store soutenu par la Semaest, société d’économie mixte de la Ville de Paris chargée de l’animation économique des quartiers. Dans cet espace de 100 m², elle met à l’honneur une vingtaine de créateurs africains ou issus de la diaspora – comme KikoRomeo, Imprint, Sakia Lek, Bouswari, Samara Shoes ou Xuly Bët. Chaque objet exprime une vision moderne et éthique du continent. 

« À travers ce projet, nous avions envie de montrer ce que l’Afrique a de mieux en termes de création et de style de vie », dit-elle. Saargale, c’est aussi un bar-terrasse où l’on sert des jus de bissap, cafés d’Éthiopie ou thés du Kenya, dans une atmosphère chaleureuse. Pensé comme un lieu d’échanges et de narration, ce concept-store s’intègre dans une stratégie globale qui articule économie, identité et transmission.

Pour Rosy Sambwa, styliste et chercheuse au Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren, « Adama incarne un lifestyle auquel beaucoup d’Africains (et d’autres) aspirent : elle a un style impeccable, une présence forte. Mais pour qu’un concept-store comme Saargale atteigne tout son potentiel, il faut aussi une stratégie digitale à la hauteur, qui relie efficacement le rêve suscité par les réseaux sociaux à l’expérience concrète d’achat ». 

« En 2019, elle ouvre à Paris Saargale, un concept-store [où] elle met à l’honneur une vingtaine de créateurs africains ou issus de la diaspora »


Former Pour Transmettre et Bâtir Une Industrie Pérenne

Pour Adama Paris, l’avenir de la mode africaine repose sur la formation. Révéler les talents ne suffit pas : il faut les structurer. C’est la mission de son agence, qui accompagne les créateurs d’un prototype pour une mise sur le marché – branding, logistique, communication, etc. « Je me bats pour chaque détail, parce que les stylistes n’ont pas toujours les moyens de se professionnaliser. Alors j’ai créé une structure qui leur offre cela. »

Cette démarche inspire le respect. Pour Jeanne et Hélène Daba (Sisters of Afrika), « Adama Paris est l’une des rares figures de la mode africaine à partager aussi généreusement son réseau et son expertise. Elle agit comme un vrai mentor ». Ibrahim Fernandez confirme : « Elle insiste sur la rigueur, la constance, et le lien humain. C’est essentiel ».

Adama milite pour une formation globale : technique, stratégique et identitaire. Comprendre les attentes du marché, maîtriser la chaîne de valeur, mais aussi affirmer une esthétique forte sans tomber dans le cliché. Une vision exigeante, au service d’une industrie africaine créative, libre et durable.

Pour Rosy Sambwa, « ses initiatives participent à diversifier les métiers de la mode, longtemps réduits à la seule figure du couturier en Afrique francophone. Des rôles comme celui du styliste, de l’agent ou du communicant n’émergent que récemment dans cet écosystème, et Adama Paris en est l’une des pionnières. Mais être pionnière, c’est aussi accepter l’ingratitude et la frustration : essuyer les plâtres pour que d’autres puissent perfectionner le modèle… parfois avec plus de moyens. Mais c’est ainsi que la filière avance. »

« Ses initiatives participent à diversifier les métiers de la mode, longtemps réduits à la seule figure du couturier en Afrique francophone »


Une Signature Stylistique Ancrée et Libre

Chez Adama Paris, la mode est un langage. Elle ne cherche pas à « rendre » ses créations africaines : elle les incarne. Elle travaille des matières locales comme le coton, le raphia ou la jute de Casamance, tout en s’inscrivant dans une dynamique éthique. « Je suis une femme du monde, fille de diplomate, profondément africaine. Ce que je propose, je ne l’invente pas : je l’incarne. »

Sa « patte » repose autant sur l’esthétique que sur la structuration. Son approche holistique l’amène à créer un véritable écosystème : boutiques, événements, télévision, et plus récemment l’unité Adama Paris Apparel Agency, qui accompagne les jeunes stylistes du prototype à la vente. « Je me bats pour chaque détail, même minime. Je suis une lionne, peut-être, mais surtout une bâtisseuse. »

« Elle ne cherche pas à “rendre” ses créations africaines : elle les incarne »


Des Défis Enracinés, Une Vision Collective

Adama Paris pointe des défis structurels persistants : sous-financement, faibles capacités de production et canaux de distribution limités. « Je n’ai jamais été financée par personne. Peut-être que je donne l’impression de ne pas en avoir besoin. Mais cela interroge. » Elle déplore le manque de soutien des institutions internationales, souvent condescendantes, et la frilosité des investisseurs africains à soutenir des créateurs confirmés. Pour changer la donne, elle milite pour un fonds panafricain capable d’épauler de véritables « champions » de la mode. « Ce n’est pas que de l’esthétique. C’est une industrie d’un milliard d’euros. » Elle a aussi initié une fédération panafricaine de producteurs de Fashion Weeks (Sénégal, Nigéria, Afrique du Sud, Ghana, Ouganda…), afin de mutualiser les forces. « Si je ne peux pas investir sur moi-même, personne ne le fera à ma place », rappelle-t-elle, fière que 90 % des financements de ses événements soient africains.

« Elle milite pour un fonds panafricain capable d’épauler de véritables “champions” de la mode »


La Transmission Comme Moteur

Loin de se contenter de briller en solo, elle agit dans une logique de transmission. Jeanne et Hélène Daba, fondatrices de Sisters of Africa, témoignent : « Adama Paris aurait très bien pu organiser seule le pop-up aux Galeries Lafayette [du 18 juin au 8 juillet 2025, NDLR]. Pourtant, elle a choisi de le faire en collectif, en embarquant d’autres designers avec elle. Et ce n’est pas la première fois. Elle agit toujours dans cette dynamique de partage ».

Les deux sœurs saluent aussi sa personnalité : « Moi, je l’appelle vraiment la lionne. Elle est généreuse, féroce quand il le faut, mais surtout, elle protège les siens », confie Hélène Daba. Jeanne renchérit : « Générosité. » Un qualificatif partagé par Ibrahim Fernandez : « Je dirais lionne. C’est le mot qui me vient spontanément à l’esprit. »

Le styliste ivoirien insiste aussi sur la stratégie du collectif Adama Paris : « Nous étions présents de manière quasi constante pendant les trois semaines du pop-up. Cette proximité a, selon moi, fait une réelle différence, et cela s’est ressenti dans les ventes ».


Une Scénographie de la Fierté au Cœur de Paris

Ce pop-up aux Galeries Lafayette – baptisé Africa Now – a réuni les marques Adama Paris, Sisters of Afrika, Ibrahim Fernandez et Néné Yaya, mais aussi d’autres créateurs sélectionnés par Canex ou Africa Fashion Up. L’opération s’est conclue par un final spectaculaire : un défilé Black Fashion Xperience sur des péniches au pied de la tour Eiffel, le 11 juillet, jour anniversaire d’Adama Ndiaye. Un rendez-vous poétique, festif et politique : « Un hymne visuel, sonore et culturel à l’élégance africaine », selon les mots du communiqué.

Ce grand final a confirmé la place croissante de la création africaine dans la capitale mondiale de la mode. Il a aussi incarné la philosophie d’Adama Paris : fédérer sans s’effacer, bâtir des ponts sans renoncer à ses racines.


Un Avenir Porté Par l’Afro-Optimisme

Entre ses collections, les événements et les tournages, l’année a été intense. Le programme Les Reines du Shopping Africa entame désormais une quatrième saison, et elle est aussi jurée dans La Nouvelle Reine sur Canal+, dont la finale se tiendra le 9 août à Abidjan. En parallèle, son unité de production à Dakar s’agrandit pour accompagner de jeunes créateurs. Le projet d’usine reste cependant en attente, faute de financement suffisant.

Après deux éditions parisiennes de la Black Fashion Xperience et des missions au Brésil et en Asie, Adama Paris rêve de relancer ses pop-ups à Londres, New York et ailleurs. « Africa to the world», dit-elle souvent. Une devise, mais aussi un cap.


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