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Au Rwanda, la filière énergétique parie sur le méthane du lac Kivu

ENERGIE KIVU ©RDB

Enfoui depuis des millénaires dans les profondeurs du lac Kivu, au Rwanda, le gaz méthane est aujourd’hui exploité commercialement par plusieurs opérateurs privés, déterminés à capter la demande énergétique encore non comblée du pays.

Par Léopold Muta

À cheval entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, à une altitude de 1 460 m au-dessus du niveau de la mer, le lac Kivu est l’un des dix Grands Lacs d’Afrique, aux côtés des principaux que sont le Victoria et le Tanganyika. Sa particularité réside cependant ailleurs : avec ceux de Nyos et de Monoun au Cameroun, le Kivu est l’un des rares lacs au monde considérés comme méromictiques, c’est-à-dire renfermant de très fortes concentrations de gaz (dioxyde de carbone et méthane notamment), produits par l’activité volcanique de la région et la décomposition des matières organiques. Résultat : les 2 700 km2 de cette étendue d’eau – dont la profondeur approche les 500 mètres par endroits – contiendraient selon les estimations quelque 60 milliards de mètres cubes de méthane dissous et environ 300 milliards de mètres cubes de dioxyde de carbone, qui s’y sont accumulés au fil du temps.

Un potentiel énergétique certain  

Une concentration de gaz aussi problématique (en 1986, le dégazage brutal du lac Nyos, au Cameroun, avait tué par asphyxie plus de 1 700 personnes) que… potentiellement lucrative.  Car cette présence massive de méthane est aussi une chance. Les développements techniques réalisés au cours des dernières années rendent en effet aujourd’hui possible l’exploitation commerciale du gaz du lac Kivu. Selon certaines estimations, celui-ci pourrait ainsi produire jusqu’à 700 mégawatts d’électricité, soit près de trois fois ce que génère actuellement le Rwanda (250 mégawatts). Une configuration favorable, qui explique sans peine l’intérêt des opérateurs privés, alléchés par la solide demande énergétique encore non comblée du pays des Mille collines (plus de 300 mégawatts). Le Rwanda compte déjà deux sociétés – le rwandais Shema Power Lake Kivu et l’américain ContourGlobal– qui extraient du gaz du lac Kivu pour alimenter des centrales électriques. Après une première initiative, lancée en 2009 au large de la ville rwandaise de Rubavu, un projet-pilote dénommé Kibuye Power 1 (KP 1) d’une capacité de production de 3,6 mégawatts (MW), Shema Power Lake Kivu et le gouvernement rwandais ont acté le lancement de la construction d’une centrale de 56 MW- qui sera pleinement opérationnelle d’ici la fin de cette année- dans le cadre d’un partenariat PPP. Il a par ailleurs été prévu de faire passer la capacité de KP 1 de 3,6 MW à 25 MW.

Concrètement,  « l’extraction du méthane se fait à une profondeur comprise entre 260 et 480 mètres, où la majeure partie du méthane est concentrée. À l’aide d’un long tuyau, le méthane est pompé depuis une plate-forme flottante, située à trois kilomètres de la rive. Lorsque l’eau profonde remonte à la surface dans le tuyau et que la pression de l’eau diminue, les gaz se séparent de l’eau. Le mélange de gaz et d’eau arrive dans un séparateur, où le gaz est alors extrait avant d’être ensuite acheminé par un un gazoduc sur la terre ferme, où des générateurs produisent de l’électricité », explique Éric Nsabimana, l’un des responsables opérationnels de Shema Power Lake Kivu, qui rappelle « [qu]’il n’existe aucun autre lac dans le monde où le méthane est extrait de cette manière ». En somme, l’exploitation du gaz permet de faire d’une pierre deux coups : elle fournit de l’électricité tout en réduisant les risques de dégazage intempestif.

Objectif : 100 % d’accès à l’électricité d’ici 2024

D’ores et déjà, la première phase de lancement de la centrale Shema Power Lake Kivu (SPLK) a permis d’ajouter une capacité de production 15 mégawatts d’électricité depuis juin dernier. Le second projet, KivuWatt, lancé en 2016  par le groupe énergétique américain ContourGlobal est constitué quant à lui d’une unité de production qui génère actuellement 26 mégawatts, destinés au réseau local. Une capacité qui devrait à terme atteindre les 100 mégawatts, distribués dans l’ensemble du pays. Une vraie manne pour le Rwanda, qui ambitionne un taux d’accès à l’électricité de 100 % de sa population d’ici 2024, contre 69 % aujourd’hui, selon le ministère rwandais des Infrastructures.

Seul bémol, la rentabilité de ces projets reste encore incertaine, l’extraction ne s’effectuant pour l’instant qu’à petite échelle. Contactée, une source travaillant dans le département financier de l’une des deux sociétés précitées confirme sous couvert d’anonymat que « pour l’heure l’entreprise ne gagne pas d’argent sur l’unité d’exploitation de gaz méthane ». Une situation qui, selon notre interlocuteur, « ne devrait pas durer », le temps « d’améliorer les processus d’extraction et d’augmenter les cadences de production ». De fait, au-delà des ajustements techniques à apporter encore à cette aventure unique en son genre, le potentiel commercial associé au gaz méthane du Kivu continue d’attirer les investisseurs.  Après avoir signé en février 2019 un accord de 400 millions de dollars avec les autorités rwandaises, portant sur la production de gaz en bouteille à partir du méthane contenu dans le lac Kivu, la compagnie GasMeth Energy a promis qu’elle commencerait à écouler sa production sur le marché local d’ici la fin de cette année. Les potentialités énergétiques du lac Kivu n’ont pas fini de faire parler d’elles…

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