Auteur, compositeur et chanteur camerounais, Blick Bassy est l’un des artistes africains les plus doués de sa génération. 1958, son quatrième album, s’inspire du leader politique Um Nyobè, qui toute sa vie a lutté pour la liberté et la souveraineté des Africains. L’occasion pour le chanteur de faire l’état des lieux de son pays. Pour Forbes Afrique, il livre ses idées.
Forbes Afrique : Le 13 septembre 1958 évoque la mort de Ruben Um Nyobè, qui fut un militant de l’indépendance du Cameroun. Cette date vous a inspiré au point que donner son titre à votre album. Est-ce une nouvelle façon de vous engager?
BLICK BASSY : Mes albums ont toujours été engagés, mais de manière différente. Mon précédent opus, consacré à Skip James, parlait de l’éducation et de la transmission, qui sont des éléments essentiels pour l’émancipation d’un peuple. Ce nouvel album parle d’Um Nyobè, qui était un leader politique qui se battait pour la liberté et la souveraineté des peuples au Cameroun. Je suis frappé par le chaos qui règne dans le pays. Ma démarche a été d’essayer de comprendre la source de ces problèmes, ce qui m’a renvoyé vers les gens qui se sont battus pour que nous puissions aujourd’hui nous lever et prétendre avancer vers un Cameroun meilleur. Je me suis arrêté sur Um Nyobè parce qu’au-delà de son combat pour nos libertés et l’égalité entre les hommes, il a par exemple sensibilisé les populations à la dangerosité du tribalisme tout en nous invitant à nous reconnecter avec nos traditions. Le monde est global et notre pays est un théâtre où les metteurs en scène sont médiocres : ils ne créent rien, ce sont des avatars qui s’inspirent négativement de l’Occident. Il était important pour moi de faire un retour aux sources, ce qui m’a amené à parler de Mpodol [«celui qui porte la parole des siens» en bassa, le surnom d’Um Nyobè, NDLR].
Bien qu’il n’ait pas suivi de longues études, Um Nyobè était bien averti, il avait de la clairvoyance, ses textes sont extraordinaires. Comment expliquez-vous cela?
B. B. : Les diplômes font partie de la structuration du modèle éducatif occidental. Dans ma culture, il y a le «hinkong», qui défi nit une personne qui a une grande capacité d’analyse, comme Um Nyobè. C’est la raison pour laquelle il a utilisé les armes de ses ennemis pour mener son combat. Il se basait sur le fait que le Cameroun était un pays mis sous tutelle par des lois imposées par l’ONU. Et c’est à partir de ces textes qu’il a combattu la colonisation. Lorsque l’Église catholique diabolisait les « maquisards », Um Nyobè s’inspirait de la Bible pour démontrer les incohérences de cette même Église. Un intellectuel n’a pas forcément des diplômes, c’est celui qui a de grandes capacités, comme celle d’analyser certaines situations quelle que soit leur complexité et d’apporter autre chose qui contribue à améliorer la cité. C’était le cas d’Um Nyobè, dont ne comprenaient pas qu’il puisse les combattre avec leurs propres armes.
Comment avez-vous créé votre projet musical autour de sa personnalité ?
B. B. : J’ai d’abord essayé d’approcher Um Nyobè de manière artistique. J’aborde son histoire comme une fiction, ce qui me donne la liberté de pouvoir le faire vivre dans certaines chansons comme Lipém, où c’est lui qui revient et qui parle. Dès l’instant où j’ai décidé de lui consacrer un album, j’ai commencé à écrire mes mélodies, puis les textes sont venus à la fin. J’ai essayé d’écrire des chansons qui ont un sens et qui reflètent ce qu’il a vécu, en langue bassa, qui est ma structure de base et qui me permet d’avoir un tableau. Chaque titre est un film que je vis, c’est ce qui me permet d’imaginer le contexte et de créer autour du personnage. Cette histoire est une réalité contemporaine toujours d’actualité au vu du contexte politique au Cameroun. Au-delà de tout cela, mes grands-parents et mes parents ont vécu cette époque à Sombo, un village près de Boumnyébel [la région d’où était originaire Um Nyobè, NDLR], c’est une histoire qui me lie à Um Nyobè.
Une histoire qui longtemps au Cameroun a été cachée et qu’aujourd’hui à votre façon vous réveillez et essayez de transmettre.
B. B. : C’est aussi la relation que nos pays africains ont avec la France, une relation néocolonialiste. Il suffit qu’un président – François Hollande à l’époque – en parle et la parole se libère. Cela rassure la population, qui se dit qu’il est temps de s’exprimer sans être inquiétée par la police ou les agents de l’État. Il n’y a pas si longtemps, personne n’en parlait de peur d’être pris. Achille Mbembe en parle dans ses écrits, ainsi que la romancière Hemley Boum. Mais il y a encore tant à faire. Tout le monde n’a pas accès à la documentation, toutes les informations ne sont pas disponibles. On nous a enseigné qu’Um Nyobè était un terroriste, donc un personnage banni. Ce sont ceux qui ont écrit l’histoire, qui regrettent ce qui s’est passé au Cameroun, qui ont ouvert les vannes. Pour le moment, on ne sait pas vraiment qui était Um Nyobè, mais lorsqu’on lit ses textes, on découvre que c’était un génie.
Vous portez la parole et l’histoire d’Um Nyobè au-delà du Cameroun. Est-ce que le monde connaît cette figure de l’histoire du pays ?
B. B. : J’ai fait un premier concert en Allemagne, où personne ne savait qui c’était. Parce que c’est quelqu’un dont on a essayé d’effacer la mémoire. Sa mort est tragique, on l’a défiguré afin de l’oublier. Tout a été fait pour que ce soit ainsi. Du coup, on ne sait pas qui était Um Nyobè, il y a un vrai travail de mémoire à faire. De même, peu de gens savent qu’au Cameroun, avant les Français et les Anglais, il y a eu les Portugais et les Allemands. C’est une histoire qui reste méconnue.
Pour lire l’intégralité de cet article, rendez-vous page 86 du numéro 57 Mai 2019