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Boddhi Satva, la catharsis à travers la musique ancestrale

Boddhi Satva ©Rafael Duarte

Né en Centrafrique, le DJ – de son vrai nom Armani Kombot-Naguemon –, est l’initiateur de la « soul ancestrale », un courant musical inspiré de son parcours éclectique et spirituel.

Par Ricardo Vita

C’est là-bas, chez lui à Bria, à l’intérieur des terres centrafricaines, que des questions confusément formulées se sont dressées obstinément entre lui et l’Existence. C’est là-bas qu’il apprit les circonstances de sa naissance, annoncée neuf mois plus tôt par un moine bouddhiste nommé Boddhi Satva, en cadeau à ses parents désespérés d’avoir perdu l’enfant qu’ils avaient eu avant lui. Armani Kombot-Naguemon (son vrai nom) est né à Bangui en 1983 puis a grandi à Bria, à 600 km, où il a été éduqué dans l’amour et le confort matériel. À partir de 2001, le nom du moine rencontré autrefois par ses parents deviendra son nom de scène.

Connaître le parcours de vie de celui qui est aujourd’hui considéré comme le créateur de la « soul ancestrale » et l’un des pères de l’afro house, c’est connaître la justification de sa musique et l’énergie transcendante avec laquelle il la crée. Une évidence apparaît alors : sa musique est sa science sacrée, qui le relie à la vie et à l’au-delà. C’est sa façon de se réapproprier lui-même et de renouer avec l’Univers. Lorsqu’on demande à Boddhi Satva s’il a trouvé la paix intérieure, il répond : « Je ne souffre plus de mes douleurs. Je ne souffre plus dans la chair du passé. J’ai soigné mon enfant intérieur. J’ai fait la paix avec beaucoup de choses. J’ai appris à danser ». Il a appris à danser, parce qu’il n’y avait aucun moyen d’échapper à la vie qui l’a façonné. C’est pourquoi sa musique est une thérapie, une catharsis.

UNE ENFANCE DORÉE

Petit-fils d’ambassadeur centrafricain passé par le Japon et la Belgique (là où son père rencontra sa mère), Boddhi Satva a très tôt fait face aux défis liés à la différence ; et sa vie l’a naturellement conduit vers la quête de sens. Son père, qui fit fortune dans le diamant, lui a transmis rigueur et sens du travail. Il a hérité de sa mère, artiste et joaillière belge déjà maman de deux enfants blancs, le goût des arts et le sens de la famille. Les attributs familiaux lui inculqueront des valeurs africaines basées sur le respect des aînés, l’humilité et la paix. Ils feront de lui un être modeste, conscient que son enfance fut belle et qu’il serait injuste de ne pas le reconnaître.

Toutefois, sa vie personnelle a aussi été marquée par des épreuves qui ont fait éclore l’artiste qu’il est devenu. Le décès de son frère aîné en 1991, frère artiste ami et mentor, issu de la première union de sa mère, sera décisif pour le développement de sa sensibilité et de son expression artistique. Pendant deux ans, il traverse une crise existentielle mystique : il cesse de croire en Dieu (lui qui laissa mourir son frère), et s’intéresse à la musique traditionnelle centrafricaine, le broto en particulier.

Alors qu’il voit des membres de l’ethnie banda interpréter devant lui cette musique ancestrale de l’ethnie des Broto, il constate que ces sons le touchent étrangement, durablement : le futur Boddhi Satva est saisi d’une émotion révélatrice, qui le submerge. Ce moment marque le début de sa passion pour la musique traditionnelle africaine.

À travers elle, c’est un message de ses ancêtres qu’il croit avoir reçu. « La mort c’est la vie, la vie c’est la mort » : la puissance de cette affirmation que lui souffle un jour un ami le dérange de prime abord ; puis il comprend que, dans la conception africaine de l’Existence, son frère n’est que physiquement mort. Cette prise de conscience réhabilite sa foi en un Être supérieur et ancre définitivement sa spiritualité. Il accepte la mort du frère bien-aimé et sent très concrètement sa présence dans sa vie.

LA QUÊTE DE SENS

Son père l’envoie préparer son bac ES à Bruxelles. Il rate l’examen en 2001, avant d’être confié au meilleur tailleur de diamants d’Anvers, afin d’apprendre la gemmologie. Pour lui qui se considérait exclusivement comme un Noir, même s’il peut passer pour un Blanc, cette expérience sera aussi l’occasion de connaître l’autre aspect de son métissage.

Mais le futur Boddhi Satva entend déjà son appel et sait que sa voie n’est pas dans le monde du diamant. Impossible, pour autant, de le dire à ses parents car, comme dans beaucoup de (bonnes) familles africaines, la musique n’est pas une noble vocation. Au fond de lui, le jeune homme veut apprendre  à façonner ses propres morceaux de musique ancestrale. Et pour cela, la Belgique est « the place to be », avec une capitale, Bruxelles, reconnue comme un haut lieu de la musique électronique en Europe. Deux rencontres décisives vont renforcer sa formation musicale. D’abord avec Alton Miller, pionnier de la house, qui vient vivre chez lui durant quatre ans. Il deviendra son mentor et lui permettra de mieux appréhender son art. À la même période, en 2005, il rencontre Osunlade, autre référence de l’afro house et grand prêtre de la religion yoruba d’Ifá, qui l’aidera à approfondir sa spiritualité et produira son premier titre, Bria’s offering , sous son label Yoruba Records.

Après ces expériences initiatiques, il devient philosophe de l’Existence par la musique. Mais n’y voyez aucun triomphalisme de sa part : « La musique doit toujours avoir une valeur plus profonde, perceptible et palpable », dit-il. C’est pourquoi celle qu’il crée vise avant tout à toucher l’âme de celui qui l’écoute, à la réhabiliter et la régénérer. Lui-même est la preuve vivante que la musique a fait écho à ses tiraillements intérieurs, qu’elle a fait ressurgir des émotions oubliées et profondément enfouies. Et c’est précisément pour cette raison qu’il fait de la musique cathartique : pour toucher le plus grand nombre, d’une manière ou d’une autre. Jusqu’en 2015 et la sortie de son deuxième album, Transition, Boddhi Satva garde le broto comme base mélodique et rythmique de sa musique. Depuis lors, il est pleinement dans l’ancrage et l’ouverture. Il explore davantage les musiques transportées par l’odyssée des enfants d’Afrique à travers le monde pour les relier à leur continent, leur mère nourricière. Ainsi, après les artistes Davido (Nigeria), Bilal (États-Unis) et DJ Arafat (Côte d’Ivoire), sans doute assistera-t-on un jour à une collaboration entre Boddhi Satva et Saeid Shanbehzadeh, musicien iranien qui cultive et perpétue l’héritage des descendants d’Africains-Iraniens. Dans Manifestation, son troisième album sorti en juin 2022 et avec lequel il clôt la trilogie, Boddhi Satva nous invite à un pèlerinage et à un exercice spirituel pour notre ascèse. Car derrière chaque souffrance réside un trésor.

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