Portées par la bonne tenue des cours, les matières premières ont le vent en poupe en ce début d’année. Une bonne occasion de rappeler que plusieurs milliardaires étrangers ont bâti leur empire dans ce secteur stratégique. Parfois de manière trouble. Itinéraire de trois des plus connus d’entre eux.
Beny Steinmetz
À la tête du Beny Steinmetz Group Resources (BSGR), l’homme d’affaires israélien Beny Steinmetz connaît l’Afrique comme sa poche. Et pour cause, ce fils de tailleur de diamants sillonne le continent depuis près de quatre décennies pour fournir l’entreprise familiale en pierres brutes. Et peu importe le chaos des guerres civiles, qu’il a souvent constaté de visu dans les pays où ses deals l’ont mené : Angola, Sierra Leone, RDC… Là où les plus timorés n’osent s’aventurer, lui rafle les bonnes affaires à tour de bras, jusqu’à se voir attribuer une fortune supérieure au milliard de dollars (1,1 milliard de dollars) par Forbes. Une réussite financière qui doit sans conteste beaucoup à son carnet d’adresses exceptionnellement bien fourni, notamment au sein des élites politiques du continent.
Il n’empêche, l’opérateur israélien suscite souvent la controverse. Et sa proximité avec le pouvoir, qui l’a si longtemps servi, peut à l’occasion se retourner contre lui. Accusé par les autorités de Guinée-Conakry d’avoir acquis frauduleusement des permis miniers au mont Simandou – le plus gros gisement de fer du monde – à l’époque de feu le président Lansana Conté, le magnat a dû se résoudre, fin février 2019, à renoncer officiellement à ses prétentions, en échange d’un abandon des poursuites judiciaires. En affaires comme dans la vie, on ne peut gagner à tous les coups. Depuis, on le dit intéressé par les mines de nickel ivoiriennes, qu’il lorgne via la Compagnie minière du Bafing.
Jean-Claude Mimran
Dirigeant du groupe de négoce Mimran, Jean-Claude Mimran est l’héritier de Jacques Mimran, un Juif séfarade venu d’Algérie et devenu « le roi du sucre » au Sénégal en créant la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS) dans les années 1970. À la mort du fondateur, en 1975, le fils reprend la main et fait prospérer l’entreprise avec une série d’acquisitions réalisées à bon compte. Au gré des opportunités, l’habile héritier place ses pions dans le secteur bancaire africain (rachat de la CBAO), tandis qu’en Europe, il se lance dans la construction automobile (prise de contrôle de Lamborghini) ou… la transformation charcutière (reprise du groupe Olida-Caby). Autant de « coups » qu’il soldera ensuite à profit. Opportuniste, il l’est également en entretenant des liens étroits avec les pouvoirs en place et… en sentant le vent tourner. Propriétés ultra-rentables de la famille durant des décennies, les Grands moulins de Dakar et d’Abidjan (minoteries industrielles) ont ainsi été cédés en 2018 à l’Américain Seaboard Corporation, les marges ayant fondu dans le secteur avec l’arrivée de la concurrence.
L’encre de l’accord à peine séchée, l’homme d’affaires se lançait dans la filière minière en acquérant notamment 13 % du canadien Teranga Gold et en multipliant les prises de participation au Sénégal et dans le reste de la sous-région (or, phosphates). Un timing parfait : fin novembre 2020, Teranga Gold concluait un accord en vue de se faire racheter pour 1,86 milliard de dollars par son compatriote Endeavour, démultipliant ainsi par plus de 7 l’investissement initial de Jean-Claude Mimran. Les affaires sont les affaires pour ce businessman qui dit avoir appris de son père à « ne jamais se retourner ». Une inclination d’esprit faite de risques calculés et de détachement, qui explique probablement sa réussite hors-norme : il est classé aujourd’hui 65e fortune française (1,7 milliard d’euros) par le magazine économique Challenges. Un rang que le principal intéressé – résidant en Suisse – réfute, arguant qu’il n’est plus français depuis de longues années.
Dan Gertler
Né en Israël, l’homme d’affaires doit d’abord sa fortune (1,2 milliard de dollars, selon le dernier décompte de Forbes) aux deals miniers conclus en Afrique, notamment en RDC. Issu d’une famille de diamantaires, tout comme son compatriote Beny Steinmetz, le jeune Gertler débarque pour la première fois à Kinshasa en 1997. Le régime de Mobutu Sese Seko est sur le point de tomber et le chef rebelle Laurent Désiré Kabila a besoin de cash pour financer ses opérations militaires. L’israélien convoite quant à lui les diamants de l’Est du pays. L’affaire est conclue et, très vite, Dan Gertler obtient de Kabila, devenu président, un quasi-monopole sur les pierres précieuses congolaises. Joseph Kabila, le fils du Mzee, renouvellera par la suite ces bonnes dispositions à l’égard de l’« ami » Dan, jusqu’à son départ du pouvoir en 2019. Un personnage influent –et controversé– qui s’est bâti au fil du temps un véritable empire minier intégrant, outre le diamant, du cobalt, du fer, de l’or, du manganèse et surtout du cuivre. Il a ainsi profité à plein du démembrement de la structure étatique Gécamines (Société générale des carrières et des mines) pour se positionner à bon compte dans l’activité cuprifère au Haut-Katanga, avant de revendre à profit ses actifs au géant suisse des matières premières Glencore pour 960 millions de dollars en 2017.
Il n’a cependant guère eu l’occasion d’en profiter : accusé par l’administration américaine d’avoir joué de « ses relations avec le chef d’État congolais pour servir d’intermédiaire pour la vente d’actifs miniers en RDC, imposant à des compagnies multinationales de passer par Gertler pour faire affaire avec l’État congolais », il fait aujourd’hui l’objet de dures sanctions financières, la principale étant qu’il ne peut officiellement plus manipuler de dollars, la devise utilisée de facto en RDC. Pas sûr néanmoins que l’Oncle Sam parvienne totalement à ses fins, malgré de nouvelles mesures prises contre l’homme d’affaires en mars 2021 : selon plusieurs ONG, dont Global Witness, Dan Gertler aurait depuis réussi à réorganiser son empire, via notamment des sociétés-écrans.