En discussion pour acquérir une participation dans De Beers, les autorités angolaises font le pari qu’investir dans le diamantaire sud-africain stimulera la demande mondiale de diamants naturels, aujourd’hui délaissés au profit des pierres de synthèse. Un pari aussi ambitieux qu’incertain.
Par Jacques Leroueil
La lune de miel se poursuit entre l’Angola et le géant sud-africain du diamant De Beers. Après avoir signé en 2022 un accord avec le groupe minier en vue de reprendre l’exploration dans le pays et annoncé le mois dernier la découverte d’un important champ de kimberlite – la roche connue pour abriter les diamants –, le gouvernement angolais serait désormais en discussions pour entrer au capital du conglomérat sud-africain. Selon des sources proches du dossier et citées par nos confrères de Forbes Africa Lusofona, « Luanda aurait manifesté son intention d’acquérir environ 25 % de De Beers, l’entreprise la plus emblématique de la filière diamant », actuellement détenue à 85 % par le minier Anglo American. Les autorités angolaises ne sont du reste pas les seules à être sur les rangs. Déjà détenteur de 15 % du capital de De Beers, le Botswana – partenaire historique du diamantaire sud-africain, qui y tire 70 % de ses approvisionnements en diamants bruts – serait également à l’affût, conseillé par la banque d’investissement Lazard.
« Déjà détenteur de 15 % du capital de De Beers, le Botswana […] serait également à l’affût, conseillé par la banque d’investissement Lazard »
Remonter La Chaîne de Valeur
De fait, l’enjeu est de taille pour l’Angola : deuxième exportateur africain de diamants (1,4 milliard de dollars de diamants livrés en 2024) derrière le Botswana, le pays d’Afrique australe cherche à renforcer sa filière nationale en augmentant en particulier la valeur ajoutée localement, via ses joint-ventures avec les opérateurs miniers privés. Une formule déjà déployée avec succès par le Botswana. Via la co-entreprise Debswana, détenue à parts égales par le gouvernement botswanais et De Beers, ce prospère pays semi-désertique (20 000 dollars de PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat), peuplé de seulement 2,5 millions d’habitants, a inauguré en 2006 son propre centre de tri et lancé dès 2011 la commercialisation sur place de ses diamants. Autant de mesures clés qui ont permis à Gaborone – par ailleurs actionnaire du fabricant belge de diamants HB Antwerp – de remonter la chaîne de valeur et d’engranger ainsi une part croissante des profits.
« Via la co-entreprise Debswana, détenue à parts égales par le gouvernement botswanais et De Beers, [le Bostwana] a inauguré en 2006 son propre centre de tri et lancé dès 2011 la commercialisation sur place de ses diamants »
C’est cette stratégie gagnante que les autorités angolaises cherchent à présent à répliquer chez elles. Davantage, cet intérêt angolais pour le diamantaire sud-africain arrive à un moment opportun : un an après l’offensive ratée du géant minier anglo-australien BHP pour prendre son contrôle, le conglomérat minier Anglo American (en passe de fusionner avec le Canadien Teck Resources) a lancé un vaste plan de restructuration qui comprend justement la cession de De Beers, sa marque la plus célèbre, mais aussi… la plus menacée. Fondée à la fin du XIXe siècle par l’aventurier britannique Cecil Rhodes et longtemps synonyme de référence absolue dans l’univers feutré des diamantaires, De Beers n’a cessé de voir sa part s’éroder depuis les années 2000. En cause, la conjonction d’une montée en puissance de la concurrence – notamment russe avec l’opérateur Alrosa – d’une mauvaise conjoncture, mais plus encore, d’une rupture technologique provoquée par le déferlement des diamants de synthèse, conçus en laboratoire.
« Le conglomérat minier Anglo American (en passe de fusionner avec le Canadien Teck Resources) a lancé un vaste plan de restructuration qui comprend justement la cession de De Beers, sa marque la plus célèbre, mais aussi… la plus menacée »

Un Pari Simple…
Dans ces conditions, le pari financier du gouvernement angolais sur le diamantaire sud-africain est simple, « faire en sorte que De Beers reste entre les mains d’acteurs alignés sur la défense du diamant naturel, face à la menace croissante des diamants synthétiques, qui pèsent sur les prix et les marges », décrypte notre consœur Nilza Rodrigues de Forbes Africa Lusofona qui rappelle que pour l’Angola, « il s’agit d’une question existentielle […], le pays [considérant] le diamant naturel comme un actif stratégique pour les recettes de l’État et pour son image internationale ».
Dans cette optique, Endiama et Sodiam, les deux compagnies publiques angolaises en charge de la production et du négoce des diamants ont d’ores et déjà allié leurs forces à De Beers pour consacrer conjointement 16 millions de dollars à une campagne publicitaire mondiale en faveur des gemmes naturelles. Piloté par le Natural Diamond Council (NDC), ce projet de campagne a été annoncé en juin dernier et engage en outre le Botswana, l’Afrique du Sud, la Namibie et la République démocratique du Congo.
« Faire en sorte que De Beers reste entre les mains d’acteurs alignés sur la défense du diamant naturel, face à la menace croissante des diamants synthétiques, qui pèsent sur les prix et les marges »
… Mais Risqué
Pas sûr toutefois que le pari de l’Angola sur De Beers, s’il devait se confirmer, soit aisément remporté. Cherchant (déjà) à riposter aux diamants artificiels, le géant sud-africain du diamant avait lancé en 2018 sa propre manufacture de pierres de synthèse, sous la marque Lightbox. L’objectif était alors clair : circonscrire les diamants artificiels à l’entrée de gamme pour protéger le diamant naturel sur le segment haut de gamme. La tentative a toutefois tourné court, De Beers annonçant, en mai dernier, la cessation d’activité de Lightbox.
Un échec qui en dit long sur l’ascendant désormais pris par les diamants de laboratoire, longtemps confinés aux usages industriels. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, la dimension éthique associée au rejet des diamants issus de zones de conflit étant de plus en plus prégnante, « notamment depuis la sortie du film Blood Diamond (en 2006) », note Sylvie Arkoun, consultante en marketing pour les marques de joaillerie, qui explique « [que les acheteurs ne supportent] plus aujourd’hui l’idée de porter un bijou entaché du sang des hommes ». Un constat sans fard qui fait écho à l’attrait croissant des grands noms du luxe pour les pierres de synthèse. Fred et Unsaid dans la joaillerie, Breitling et TAG Heuer dans l’horlogerie… Autant de maisons prestigieuses qui utilisent aujourd’hui sans vergogne des pierres artificielles pour sertir leurs articles de luxe. Bon peut-être pour la conscience et le prix final payé par le consommateur, mais assurément plus fâcheux pour les pays africains producteurs de gemmes naturelles…
« Fred et Unsaid dans la joaillerie, Breitling et TAG Heuer dans l’horlogerie… Autant de maisons prestigieuses qui utilisent aujourd’hui sans vergogne des pierres artificielles pour sertir leurs articles de luxe »