Par Ricardo Vita
Cannes 2022 s’est déroulé sous le signe d’une époque inquiétante. Entre le discours poignant mais optimiste du président du jury, Vincent Lindon, qui a déclaré que le cinéma était une arme d’émotion massive pour réveiller les consciences et bousculer les indifférences, le message vidéo surprise du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, de Kiev, diffusé en ouverture sur l’écran de l’auditorium Louis Lumière, le cinéaste Kelvin Redvers, membre du peuple déné des Territoires du Nord-Ouest du Canada, qui s’est vu refouler du tapis rouge le 22 mai en raison de ses mocassins traditionnels, et un palmarès dédié essentiellement à la défense des grandes causes du monde, trois femmes ont porté le message des Afro-descendants avec conviction et optimisme durant les 12 jours du plus grand marché du film au monde. Et ce fut à travers le Pavillon Afriques, le Pavillon Africain et l’AfroCannes, trois présences nécessaires, trois projets portés par trois femmes puissantes bien décidées à représenter la créativité des Afro-descendants. Karine Barclais, Aminata Diop Johnson et Prudence Kolong, respectivement, sont des femmes passionnées et elles se battent chacune de son côté pour ajouter leur voix à celles qui veulent changer ce monde pour le rendre plus humain et plus inclusif. À travers elles, le Festival de Cannes 2022 a donné aux Afro-descendants l’opportunité d’interagir avec 12 500 professionnels de l’industrie venus de 121 pays. Parce qu’elles pensent que cet événement, qui est le 4ème événement mondial sur le plan médiatique, derrière la Coupe du Monde de Football, les Jeux Olympiques et le Tour de France, est un formidable rendez-vous pour promouvoir les créations foisonnantes de l’Afrique et de ses diasporas. Et cette 75e édition de Cannes était véritablement la première post-pandémie, celle de 2020 ayant été annulée et celle de 2021 soumise à des contrôles sanitaires très stricts. Alors, malgré tout, l’esprit de retrouvailles a été plus grand pour tout le monde et on saura dans quelques mois si l’industrie retrouvera la santé, puisque le prix d’achat des films a chuté jusqu’à 30% de la normale et que les spectateurs ont déserté le salles.
Nollywood, deuxième marché mondial en nombre de films produits
Les Afro-descendants ne peuvent plus être absents ou uniquement représentés par les Noirs américains sur le plus grand marché du film au monde, où les gens viennent présenter des films aux vendeurs internationaux et développer des projets cinématographiques. Si le Nigeria est aujourd’hui le deuxième marché mondial en nombre de films produits par an, derrière l’Inde mais devant les Etats-Unis, il lui manque encore, comme les autres pays africains, une plus grande visibilité internationale, dû au fait que la contribution des pays africains aux exportations mondiales de biens culturels est encore marginale et qu’elle ne représente que moins de 1% des exportations mondiales, selon une étude de 2015 du cabinet de conseil EY. C’est dans ce contexte que ces trois femmes s’organisent pour assurer la présence des professionnels afro-descendants du secteur à Cannes, un marché incontournable dont les volumes d’affaires réalisés en 12 jours peuvent dépasser le milliard d’euros. Les trois initiatives sont légitimes et complémentaires, même si l’on peut parfois confondre le Pavillon Afriques et le Pavillon Africain. Mais chacun des pavillons a son propre positionnement et les deux se complètent.
Pavillon Afriques
Quand Karine Barclais a pour sa part créé le Pavillon Afriques en 2019, de l’autre coté Aminata Diop Johnson a créé le Pavillon Africain la même année et les deux femmes ne se connaissaient pas. L’ambition du Pavillon Afriques est d’être « une maison de l’Afrique qui accueille le monde ». Dans sa volonté de promouvoir le continent, ce pavillon s’adresse aux personnes désireuses de connaître l’Afrique. Sa vocation est purement ancrée dans le business du film, c’est-à-dire le financement et le lobbying. Ainsi, à Cannes, lieu de son événement phare, le pavillon propose des tables rondes sur les investissements, comme des sessions de pitch où les projets sont débattus devant des investisseurs venus du monde entier, notamment des Etats-Unis. Pour l’édition 2022, seuls les ministres de la Culture de Côte d’Ivoire et d’Afrique du Sud et un représentant du Togo étaient venus. Le pavillon organise également des présentations pays, des panels de discussion, des tables rondes et des ateliers spécifiques. Et sa plateforme Ecole de cinéma fonctionne toute l’année. C’est un espace en ligne qui promeut les cinéastes d’ascendance africaine et crée un écosystème qui vise à améliorer les échanges entre eux et le monde. Cette plateforme est un autre lieu de rencontre pour « trouver des solutions en créant des réponses aux problèmes”, insiste Karine Barclais, qui définit ainsi son Pavillon Afriques. Elle pense aussi que l’international commence par le pays d’à côté, qu’il ne faut pas nécessairement aller plus loin. « Avec un milliard d’habitants en Afrique, pourquoi on ne diffuse pas de films africains en Afrique?», demande-t-elle à juste titre. Cannes 2022, deuxième édition physique de son pavillon, a été une bonne année selon Karine Barclais. Il y a eu 52 événements dont 3 projections de films.
Pavillon Africain
Le Pavillon Africain, d’Aminata Diop Johnson, permet, notamment aux ressortissants des 55 pays d’Afrique, de se réunir pour échanger sur leurs projets, partager leurs préoccupations avec les partenaires institutionnels et financiers et construire un écosystème d’échanges efficace. S’il se distingue du pavillon précédent, plus grassroot et plus indépendant, par son caractère institutionnel qui accompagne les films africains en compétition à Cannes, il a aussi l’ambition de promouvoir, accompagner, soutenir et donner de la visibilité au cinéma d’Afro- descendants sur ce marché international. Et à travers son programme emblématique lancé en 2019, Talentueuses Caméras d’Afrique, le pavillon souhaite donner à la jeunesse africaine plus de visibilité internationale. Il s’agit d’un programme engagé qui vise à corriger la sous-représentation des réalisatrices et à promouvoir la parité dans le cinéma. Ainsi, 8 talents ont été sélectionnés cette année, cinq jeunes réalisateurs et trois jeunes réalisatrices de différents pays, et le programme a accompagné près de 30 talents en 4 ans. C’est donc aussi un pavillon accélérateur d’opportunités et de visibilité. Aminata Diop Johnson affirme ainsi avoir voulu créer « un espace pour assurer la promotion de nouveaux imaginaires et récits, pour renforcer les compétences des professionnels, pour structurer des échanges et des réflexions sur l’avenir, pour stimuler la créativité et l’innovation à travers la confrontation à une diversité de projets et d’expériences, pour développer les opportunités d’affaires ainsi que les collaborations Nord/Sud et Sud/Sud, pour promouvoir l’excellence au sein des écoles de formation et lancer la carrière des jeunes talents et pour valoriser le patrimoine matériel et immatériel du continent africain ». Pour son ancrage institutionnel, le pavillon a des partenariats stratégiques avec des États comme la France, à travers son Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC), TV5 Monde et, depuis cette année, avec la Ville de Cannes, et l’Union Africaine. Des discussions sont en cours avec Afreximbank, la banque panafricaine qui lui a envoyé une délégation cette année à travers sa branche culturelle, Creative Africa Nexus (CANEX), qui finance les industries créatives et culturelles du continent.
AfroCannes
AfroCannes, de Prudence Kolong, est un événement d’une journée qui offre un espace aux Afro-descendants pour partager leurs histoires afin de créer plus de diversité et d’inclusion. Prudence Kolong a participé à la création du Pavillon Afriques en 2019 dont elle s’est séparée pour lancer AfroCannes en 2022. Son projet vise une perspective plus internationale en termes de networking et semble plus orienté vers le monde anglophone. Ses partenaires, qui étaient tous présents, incluent Women in Film (WIFTI), un réseau mondial de femmes de l’industrie cinématographique qui veulent parler d’une seule voix, et Think-Film Impact Production, une organisation de lobbying qui soutient les cinéastes au niveau mondial pour leur fournir plus de ressources et une meilleure visibilité pour leurs projets à impact social, Alta Global Media, une agence qui représente des talents internationaux, des scénaristes, des réalisateurs et des entreprises de médias. L’agence travaille avec Spike Lee, Jimmy Jean-Louis et Gary Dourdan et a amené ces deux derniers à AfroCannes cette année. AfroCannes est également partenaire du National Film and Video Censors Board, l’organisme qui réglemente l’industrie du film et de la vidéo au Nigeria. Pour Prudence Kolong, Cannes 2022 a aussi été un bon rendez-vous, elle évoque la participation de plus de 15 pays officiellement présents à son événement.
Voici donc trois projets, Pavillon Afriques, Pavillon Africain et AfroCannes, qui représentent l’Afrique et ses diasporas et qui nous subjuguent par leur volonté de se faire entendre, qui font appel à tous les soutiens financiers disponibles, publics et privés, pour renforcer la présence africaine et des afro-descendants à Cannes .