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Industries Créatives Africaines : Le Pari d’Une Transformation Globale

Les industries culturelles et créatives (ICC) ont connu une croissance remarquable en Afrique au cours des dix dernières années. Pourtant, leur impact sur l’économie est encore largement sous-exploité. En cause : des écosystèmes insuffisamment structurés et une capacité limitée à exporter des produits à forte valeur ajoutée vers les principaux marchés internationaux. C’est précisément ce défi qu’Afreximbank s’efforce de relever à travers son programme Creative Africa Nexus (CANEX), dont la prochaine édition se tiendra du 16 au 19 octobre à Alger. Tour d’horizon.

Par Goudet Abalé


Delphine Arnault, directrice générale adjointe de Louis Vuitton, pose, en ce 4 septembre 2019, aux côtés de l’actrice suédoise Alicia Vikander et d’un jeune homme à l’allure longiligne, au visage de chérubin et au sourire pincé, en contraste avec l’émotion qu’il doit sans doute éprouver ce jour-là. Car en ce 4 septembre, pour la première fois, un styliste africain vient de remporter le prestigieux Prix LVMH pour les Jeunes Créateurs de Mode. Ce styliste, né, élevé et formé en Afrique du Sud, c’est Thebe Magugu. Il fait ainsi son entrée sur la scène internationale, prouvant au passage que la mode made in Africa n’est plus qu’une tendance émergente, mais une force créative à part entière, capable de rivaliser avec les plus grands. Une reconnaissance internationale qui n’efface pas les défis auxquels sont confrontés les créateurs africains. Magugu lui-même le reconnaît : « Être créateur de mode [en Afrique] est un véritable défi, surtout lorsqu’il s’agit de distribution et d’exportation ».

L’actrice Alicia Vikander, le designer Thebe Magugu et Delphine Arnault, DGA de Louis Vuitton ©LVMH-2019-Droits Réservés

La Mode Africaine : Entre Ambitions Globales Et Défis Structurels

L’industrie africaine de la mode – dont la valeur à l’export est estimée à 15,5 milliards de dollars annuels – aspire aujourd’hui à se hisser parmi les leaders mondiaux. Pourtant, jusqu’à présent, c’est surtout par son rôle dans les chaînes de valeur du textile que l’Afrique s’est fait connaître– avec 37 pays producteurs de coton sur 54. Paradoxalement, le continent importe pour 23,1 milliards de dollars de vêtements, textiles et chaussures. Ce déséquilibre met en lumière des défis structurels majeurs, relevés par l’UNESCO dans son rapport de 2023, intitulé Le secteur de la mode en Afrique : Tendances, défis et opportunités de croissance. En particulier, l’organisation multilatérale pointe du doigt le manque de protections juridiques des créateurs et des professionnels de la mode, lui-même lié à « l’informalité » du secteur, ainsi que les faibles niveaux d’investissement dans les petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent pourtant 90 % des entreprises continentales. Selon Marie Lora-Mungai, experte du domaine, « 99 % du secteur est constitué de petites ou très petites entreprises générant entre 100 000 et 600 000 dollars par an ». Avec une demande de haute couture africaine projetée en hausse de 42 % au cours de la prochaine décennie selon l’UNESCO, une question se pose : comment le continent peut-il répondre à cette demande croissante, et quelles initiatives sont mises en place pour y parvenir ?

« 99 % du secteur est constitué de petites ou très petites entreprises générant entre 100 000 et 600 000 dollars par an ».


Un Facilitateur de Liens

Une partie de la solution semble résider dans les efforts de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) qui, à travers son initiative Creative Africa Nexus (CANEX), lancée en 2020, s’engage à soutenir les créateurs africains sur la scène internationale, leur offrant les ressources nécessaires pour développer et exporter leurs créations. L’une des personnalités soutenues par Afreximbank est justement le créateur sud- africain Thebe Magugu, que l’institution bancaire a mis en lumière lors de la Fashion Week de Paris de septembre dernier. « Nous facilitons les liens entre les créateurs et les acteurs de l’industrie, y compris les acheteurs, investisseurs, fabricants et la presse, leur offrant des opportunités d’accès à de nouveaux marchés et facilitant l’intégration de l’industrie de la mode africaine dans la chaîne de valeur mondiale », explique Kanayo Awani, Vice- Présidente Exécutive d’Afreximbank en charge du Commerce Intra-africain et du Développement des Exportations. Cette démarche trouve écho au salon TRANOÏ – le salon le plus fréquenté par les acheteurs internationaux et le principal événement de mode pour les créatrices féminines pendant la Fashion Week de Paris –, qui joue un rôle majeur dans la mise en avant de créateurs internationaux émergents. Le partenariat établi en 2022 entre le programme CANEX d’Afreximbank et TRANOÏ a permis d’offrir une visibilité unique à une nouvelle vague de talents africains venus du Ghana, du Kenya, du Nigéria et de Côte d’Ivoire. À l’occasion de l’édition 2024 de la Fashion Week de Paris, Afreximbank a réuni ces créateurs (20, provenant de 11 pays du continent) dans un pavillon dédié au Palais Brongniart/ex-Palais de la Bourse. L’un des événements les plus marquants a été le défilé de mode de trois marques exclusives (Lagos Space Programme, Sukeina et Thebe Magugu), sous la direction artistique du prodigieux Jenke Ahmed Tailly. Des tables rondes et des événements dédiés ont également été organisés aux Galeries Lafayette Haussmann. Grâce à cette initiative, Afreximbank a non seulement soutenu la diversité de la mode africaine, mais aussi son ambition d’avoir un impact sur la scène mondiale.


Un Levier Économique Transformateur

Loin de se limiter à l’industrie de la mode, Afreximbank embrasse l’ensemble des industries culturelles et créatives (ICC) africaines. Lesquelles regroupent la musique, le cinéma, la mode, le sport, la littérature, la gastronomie, l’art et l’artisanat. En pleine expansion, le secteur– actuellement estimé à 58 milliards de dollars pour l’Afrique et le Moyen-Orient selon l’UNESCO – pourrait représenter jusqu’à 4 % du PIB africain d’ici 2030, employant plus de 20 millions de personnes. Rien d’étonnant à ce qu’une institution financière dont le mandat est de financer et de promouvoir le commerce intra-africain et extra-africain œuvre à son développement avec, à la clé, une véritable manne financière pour le continent.

« En pleine expansion, le secteur des ICC – actuellement estimé à 58 milliards de dollars pour l’Afrique et le Moyen-Orient selon l’UNESCO – pourrait représenter jusqu’à 4 % du PIB africain d’ici 2030, employant plus de 20 millions de personnes »

D’autant plus que les économies industrialisées ont fait des ICC l’un des principaux vecteurs de leur influence. Aux États Unis, par exemple, le secteur a généré plus de 1 000 milliards de dollars en 2022, soit près de 4,3 % du produit intérieur brut. Un autre exemple est le « Hallyu » (la « vague coréenne », qui décrit une augmentation significative de la diffusion de la culture sud-coréenne dans le monde), véritable pilier économique, attirant des investissements et renforçant la position de la Corée du Sud sur la scène mondiale, avec une valeur à l’export des produits culturels estimée à 7 milliards de dollars en 2021. Les économies africaines, qui ne représentent encore que 1,5 % de l’industrie créative à l’échelle mondiale, tentent de suivre le mouvement, mais peinent encore à structurer et industrialiser leurs secteurs. Surtout, aucune n’a encore atteint le niveau de développement du Nigéria. Symbole de cette avancée, Nollywood est passée d’une production à petite échelle à une industrie colossale, désormais classée troisième centre de production cinématographique au monde, derrière les États-Unis (Hollywood) et l’Inde (Bollywood). Avec environ 2 500 films produits chaque année, l’industrie contribue à hauteur de 590 millions de dollars (près de 530 millions d’euros) au PIB du pays. Et ce succès ne se limite pas au cinéma. Le secteur musical nigérian est tout aussi prospère, avec l’explosion du streaming musical propulsé par le succès mondial de l’Afrobeat.

Symbole de cette avancée, Nollywood est passée d’une production à petite échelle à une industrie colossale, désormais classée troisième centre de production cinématographique au monde, derrière les États-Unis (Hollywood) et l’Inde (Bollywood).


CANEX 2024 : L’Afrique Créative à la Conquête de la Scène Mondiale

Concrètement, avec CANEX, Afreximbank poursuit une stratégie ambitieuse visant à catalyser la production, le commerce et l’investissement dans les ICC en Afrique. Elle s’appuie pour ce faire sur ses liens et collaborations avec des partenaires clés tels que la Commission de l’Union africaine (CUA), le Secrétariat de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf ), divers gouvernements africains, et de nombreuses institutions financières internationales. En déployant une gamme d’instruments financiers et non financiers, le programme vise à accroître la part de l’Afrique dans les flux commerciaux culturels mondiaux, mais aussi à déployer des ressources pour élever la qualité des productions locales aux normes internationales. Fidèle à son engagement envers le secteur et dans le but de démontrer le véritable potentiel de la collaboration entre l’Afrique et le monde, le programme CANEX, par l’entremise de sa nouvelle entreprise – CANEX Creations Incorporated –, a élargi sa participation aux arts en lançant l’EP « One Drum » le 16 août dernier. Ce projet musical collaboratif réunit des artistes d’Afrique, des Caraïbes, du Brésil, des États- Unis et d’Europe, et présente une usion de sons afrobeats et amapiano. L’EP comprend des contributions d’artistes renommés tels que Stephen Marley, Olodum, DJ Oskido, les Scorpion Kings, Flavour et Sofiya Nzau, célébrant ainsi le riche héritage musical du continent africain et de sa diaspora. Mais pour aller plus loin, l’institution a invité ses parties prenantes à Alger, du 16 au 19 octobre, à l’occasion du CANEX WKND 2024, qui aura pour thème : « Un peuple, Uni dans la culture, créant pour le monde ». Une multitude de sujets stratégiques y seront explorés, allant du renforcement de l’écosystème de la mode et du textile à la promotion et la distribution transfrontalières de contenus culturels. Des questions cruciales telles que la protection des droits de propriété intellectuelle, la numérisation et l’adaptation de l’industrie cinématographique africaine aux exigences mondiales seront également abordées. Au-delà des débats, plusieurs grands événements rythmeront ces journées. Ainsi, le CANEX Music Factory rassemblera des centaines de créateurs musicaux, auteurs-compositeurs et beatmakers pour des sessions d’enregistrement en direct, aboutissant au lancement d’un album comprenant des titres enregistrés lors de l’édition précédente. Le concert CANEX mettra en scène des artistes tels qu’Arya Starr, Scorpion Kings, Qing Madi et Sofia Nzau. Enfin, le défilé de mode CANEX présentera 10 créateurs audacieux d’Afrique et de la diaspora, dévoilant leurs collections dans le cadre du Jardin botanique d’Alger. En somme, « le CANEX WKND 2024 représente une occasion unique pour les industries créatives et culturelles des Afriques de mettre en valeur leur talent pour le commerce et le développement », défend la Vice-Présidente Exécutive de l’institution. Comment ? En réunissant divers talents de tout le continent et de la diaspora. « Nous ne faisons pas que mettre en valeur la créativité africaine ; nous construisons également un écosystème robuste qui propulsera sa culture sur la scène mondiale. » Rendez-vous est pris.

« Nous ne faisons pas que mettre en valeur la créativité africaine ; nous construisons également un écosystème robuste qui propulsera sa culture sur la scène mondiale »



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