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La vie Forbes

Lafalaise Dion, ambassadrice des cauris

Lafalaise Dion a percé le plafond de verre lorsque l’immense Queen B est apparue dans le clip « Spirit » en portant l’une de ses créations. Depuis, la designer, qui situe son travail entre mode et art, a réalisé plus de 250 pièces ; délicats assemblages de ces petits coquillages si intimement liés à l’histoire et au patrimoine du continent africain. Forbes Afrique est allé à sa rencontre.

Par Karo Diagne-Ndaw

Lorsque l’équipe de Beyoncé a contacté Lafalaise Dion, la jeune femme ne se doutait pas du tournant qu’allait prendre sa carrière. En 2019, la créatrice est approchée « pour produire une dizaine de pièces » dans le cadre d’un tournage. « Dans le lot des pièces envoyées, c’est finalement le masque “Lagbaja” qui a été choisi », précise-t-elle. Quelque temps plus tard, le 17 juillet 2019, lors de la diffusion du clip « Spirit », elle explose de joie et de fierté en découvrant l’immense Queen B accessoirisée « façon Lafalaise ». L’ambassadrice des cauris vient de prendre son envol…

Tout commence en mai 2018. Lafalaise est contactée par Peju, la styliste de Solange Knowles, sœur de Beyoncé, pour confectionner une dizaine de pièces. Celles-ci arrivent à New York, mais « Solange ne [peut] en porter aucune en raison de sa chevelure abondante », explique Lafalaise. Une déception qui boostera sa créativité : « je devais imaginer une pièce qui se porterait différemment ». Elle dessine alors un nouveau modèle appelé « Lagbaja », en hommage au musicien nigérian du même nom — connu pour l’utilisation caractéristique du masque qui cache son identité —, puis envoie la pièce à la styliste de Solange Knowles qui finit par la mettre en relation avec celle de Beyoncé. La suite appartient à l’histoire, comme on dit.

La fille des montagnes

Originaire de la région des Dix-huit montagnes dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, Dion Dewand Marcia Lafalaise doit son surnom (déposé et devenu une marque auprès de l’Organisme africain de la propriété intellectuelle) à une grand-mère maternelle qui « aimait pêcher sur les montagnes ». Deuxième d’une fratrie de cinq enfants, cette fille d’instituteur a grandi à Divo, chef-lieu d’une région du Sud ivoirien où son père était en fonction. Pour échapper au quotidien un peu terne de cette petite ville, la jeune fille rêve de voyages imaginaires et invente d’autres univers avec sa sœur cadette et une amie. « J’avais envie d’être une artiste, de créer, sans savoir ce que je voulais créer. Je voulais être mannequin puis chanteuse, ensuite créatrice de mode et finalement journaliste. » Son baccalauréat en poche, elle met le cap sur Abidjan et y suit une formation en journalisme et communication à l’ISTC (Institut des sciences et techniques de la communication), puis intègre la rédaction du webzine ELLE Côte d’Ivoire, s’initiant en autodidacte à la mode et au design.

Elle se fait remarquer en 2018 lors du festival d’art urbain ChaleWote à Accra. Pour l’occasion, elle a souhaité confectionner une tenue originale : une parure de tête ornée de cauris, prototype de ce qui allait devenir la « griffe » Lafalaise. « Une fois au Ghana, la pièce a fait sensation. J’ai été photographiée. Tout le monde me demandait d’où venait mon bonnet ». Après la diffusion d’une photo par Vogue, « les gens se sont mis à m’écrire pour avoir la même pièce ». Le déclic s’opère. « C’est là que j’ai commencé à penser d’autres modèles, à les créer, les fabriquer à la main. J’avais enfin trouvé le moyen de transmettre mon message. »

« Les cauris parlent : ils communiquent avec des cœurs purs »

Elle s’intéresse alors de plus près à la spiritualité africaine et au pouvoir des cauris ; lit, se documente et effectue des recherches pour en apprendre davantage sur ces petits coquillages longtemps diabolisés afin de laisser le champ libre à d’autres formes de croyances. « J’ai appris que l’histoire de mon peuple, les Dan, était indissociable de celle du cauri.Objet de divination, lien de communication entre les hommes et les esprits, le cauri est présent lors des cérémonies, pour protéger les masques », explique la jeune créatrice. Dès lors, l’utilisation des coquillages devient pour elle un acte militant — fin décembre 2021, Lafalaise a d’ailleurs reçu la médaille de Fierté Dan et été honorée par le gouvernement ivoirien pour son implication dans la promotion de sa culture. Dans un premier temps, ses créations ne rencontrent pas le succès escompté et les ventes restent assez rares. Mais Lafalaise ne se décourage pas, et sa ténacité paiera. Elle mettra à profit la sensation « Lagbaja » pour surfer sur l’effet Beyoncé, et son travail gagnera en visibilité et en notoriété. Si à ce jour, sa marque fonctionne toujours sur fonds propres, la créatrice ivoirienne bénéficie depuis quelques années de l’accompagnement d’Afreximbank, à travers le programme CreativeAfrica Nexus (CANEX). De quoi envisager de nouvelles perspectives…

Crédit-photo : Nuits Balnéaires pour Bubblegum Club Magazine

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