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L’Afrique de plus en plus accro aux cryptomonnaies

bitcoin © DR

Le continent est de plus en plus friand de devises numériques, qui apportent nombre de solutions à de vrais problématiques. Gare toutefois au mirage de la panacée financière !    

Par Léopold Muta

Le récent décrochage des cours des cryptomonnaies n’y fera rien : les devises numériques sont là pour durer. Utilisées tant par les artistes qui découvrent les avantages des NFT pour vendre leurs œuvres (que par les travailleurs de la Diaspora, qui peuvent envoyer en un temps record de l’argent dans leur pays d’origine à un coût réduit, les cryptomonnaies sont devenues une alternative sérieuse aux systèmes bancaires traditionnels, souvent coûteux et contraignants. Un état de fait qui n’a pas échappé aux usagers venus d’Afrique.  Publié en début d’année, le Global Crypto Adoption Index de la société d’analyse Chainalysis, estime ainsi qu’entre juillet 2020 et juin 2021, le marché africain des cryptomonnaies aurait bondi de 1200% (!) pour une valeur transactionnelle totale de 105,6 milliards de dollars d’actifs numériques. De quoi accréditer l’idée selon laquelle l’Afrique serait la prochaine frontière des monnaies digitales. De fait, leur utilisation ne requiert souvent qu’un smartphone- déjà plébiscité avec des applications de paiement telles que M-Pesa (48 millions d’usagers à fin mars 2021)- pour accéder aux réseaux de la blockchain.

Six pays africains dans le Top 20 mondial du Global Crypto Adoption Index

Résultat, ce n’est pas moins de six pays africains qui figurent dans le Top 20 mondial du Global Crypto Adoption Index, (Kenya, Nigeria, Togo, Afrique du Sud, Ghana, Tanzanie), « le coût élevé de l’intermédiation financière, les restrictions sur les mouvements de capitaux et l’instabilité des monnaies nationales » étant les principales raisons avancées par les concepteurs de l’indice pour justifier cette appétence africaine pour les cryptomonnaies.  De même, « aucune région n’utilise les plateformes P2P à un taux plus élevé que les utilisateurs africains de cryptomonnaies, puisqu’elles représentent 1,2 % de l’ensemble du volume des transactions africaines et 2,6 % de l’ensemble du volume pour le bitcoin spécifiquement », précisent les équipes de Chainalysis. En outre, « les transferts interrégionaux représentent une part plus importante du marché des cryptomonnaies en Afrique que dans toute autre région, avec 96 % du volume total des transactions, contre 78 % pour toutes les régions confondues », poursuivent les spécialistes de Chainalysis. 

Il n’empêche, « certains problèmes empêchent l’adoption généralisée des cryptomonnaies, leur volatilité, en partie liée aux restrictions gouvernementales, étant encore trop élevée », mettent en garde Angela Gallo et Francesco Rodriguez Tous, deux Maîtres de conférences en banque-finance à la Bayes Business School de Londres (Royaume-Uni) qui, dans une récente tribune parue dans le quotidien français Le Monde, ont également rappelé que « certaines plates-formes d’échanges [connaissaient] des problèmes de cybersécurité ». Plus largement, en dépit de leurs avantages- bien réels- les cryptomonnaies ne sauraient être vues comme une panacée permettant de régler tous les problèmes. De ce point de vue, la décision récente de la Centrafrique d’instaurer le bitcoin comme devise officielle sur son territoire, aux côtés du franc CFA, a d’abord été vue pour ce qu’elle était : la fuite en avant d’un pays « blacklisté » par une grande partie de la communauté internationale, financièrement aux abois depuis de nombreuses années et qui cherche des sources de financement- notamment en provenance de Russie- sans intermédiaires soupçonneux (la BCE et le BEAC pour les transactions en euros en CFA). D’où l’attrait d’une devise numérique telle que le bitcoin. Une monnaie digitale dont le « minage »- ces calculs informatiques qui servent à créer le bitcoin et authentifier les transactions via la blockchain- sera toutefois compliqué dans un pays pauvre en infrastructures et où seul un habitant sur six à accès à l’électricité.

Le contre-exemple du Salvador

Sans parler du fait que les avantages attendus pourraient ne jamais se matérialiser alors que les risques associés sont eux, bien présents. Premier pays au monde à avoir adopté le bitcoin comme monnaie légale, le Salvador s’est ainsi vu sanctionner par les agences de notation Moody’s et S&P, qui ont abaissé drastiquement leur notation souveraine, au motif que la décision salvadorienne impliquait des risques significatifs pour la stabilité financière. Résultat, la capacité d’emprunt du pays d’Amérique centrale est aujourd’hui fortement obérée par des taux d’emprunt supérieurs à 20 %. Un comble pour une nation qui souhaitait lever plus facilement des fonds… Pas étonnant dans ces conditions que nombre de gouvernements, notamment africains, restent méfiants vis-à-vis d’outils financiers qui sont hors de leur contrôle. Tout en étant souvent hostiles aux échanges de cryptomonnaies, nombre de pays autorisent toutefois l’innovation en matière de cryptomonnaies et de technologies liées à la blockchain. C’est de fait cette voie médiane qui a été adoptée par le Nigeria, la première puissance économique africaine interdisant par exemple aux banques d’effectuer des transactions en cryptomonnaies tout en promouvant sa propre monnaie numérique, l’eNaira, un actif virtuel géré par sa banque centrale.  

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