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Laurent Boillot, PDG de Hennessy : “Il est fondamental de tenir compte de l’influence de l’Afrique sur le reste du monde”

Après avoir effectué une grande partie de sa carrière chez Guerlain (groupe LVMH), dont il a été président, Laurent Boillot dirige depuis 2020 la maison Hennessy, qu’il s’emploie à relancer en Afrique, au moyen notamment de campagnes publicitaires éloignées des conventions. Dans cet entretien, il évoque également son propre lien à ce continent ainsi que l’engagement du groupe pour la protection des forêts à travers son programme « Forest Destination ».

Entretien paru dans l’édition N°76 – Propos recueillis par Thomas Mondo


Forbes Afrique : Comment va le H de LVMH ?

Laurent Boillot : Le H va bien, et sur la durée. Je crois que la mission de tous les dirigeants des maisons du groupe LVMH, c’est « préserver, développer, transmettre ». Je garde toujours cela en tête. Nous emmenons tout le patrimoine de Hennessy vers l’avenir.


Quelle place occupe cette maison au sein du plus grand groupe de luxe du monde ?

L. B. : En matière de profit, nous sommes la troisième maison (sur 75) de LVMH. C’est une maison historiquement importante, les deux autres étant Louis Vuitton et Dior. Le marché des spiritueux équivaut à 66 milliards de dollars (environ 61 milliards d’euros) de chiffre d’affaires et le cognac à 12 milliards (11,2 milliards d’euros). La part de marché de Hennessy est de 7,5 %, soit environ 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires retail. Nous sommes le leader du marché des spiritueux, sachant que le cognac représente environ 12 % de l’ensemble des spiritueux haut de gamme. Le marché du cognac est en expansion en Afrique et l’Afrique du Sud est devenue, cette année, le cinquième marché du cognac, avec + 42,7 % en volume et + 43,1 % en valeur. Cela ouvre de belles perspectives pour la filière.

Le marché des spiritueux équivaut à 66 milliards de dollars (environ 61 milliards d’euros) de chiffre d’affaires et le cognac à 12 milliards (11,2 milliards d’euros). La part de marché de Hennessy est de 7,5 %, soit environ 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires retail.


Quelle est la singularité de la maison Hennessy par rapport à ses concurrentes ?

L. B. : Tout le monde parle de qualité, mais pour nous c’est une véritable obsession. L’excellence fait partie de nos valeurs depuis 258 ans. Nous sommes la seule maison à en être à sa huitième génération de maîtres assembleurs au sein de la même famille : les Fillioux. Nous avons donc bien la transmission des savoir-faire chevillée à notre ADN : préserver, enrichir et développer, telle est notre mission. Ensuite, il y a l’envergure mondiale de Hennessy : nous sommes implantés dans 160 pays. Cette présence historique et l’association à la culture locale font la force actuelle de la maison. Je pense notamment aux États-Unis où l’on doit à Jacob Schieffelin, distributeur de notre cognac dans ce pays au XIXe siècle, d’avoir voulu aider la société afro-américaine en lui donnant accès à l’éducation et en faisant rentrer ses étudiants dans des entreprises. La main qui a servi le cognac est aussi celle qui a, un peu, aidé les Afro-Américains à s’émanciper.

Cette notion culturelle, qui est prégnante chez Hennessy comme nulle part ailleurs, fait notre singularité. C’est un modèle très décentralisé. Nous ne sommes pas une marque globale au sens monolithique du terme. Nous essayons toujours d’avoir des implantations locales, connaissant bien le marché. Autre exemple : lorsque je voyage, un tiers de mon temps est dédié à la compréhension culturelle. Ce n’est bien sûr jamais suffisant, mais cela sert à véhiculer aux équipes le message que c’est avant tout cela qui compte. La culture, c’est d’abord une communauté, donc d’abord des gens, parfois différents, mais ayant une passion commune. Ensuite, le temps façonne la culture. Et celle-ci est la base du luxe.


Parlez-nous de l’importance de l’Afrique aujourd’hui pour Hennessy.

L. B. : L’Afrique, c’est un milliard de personnes. C’est un continent qui connaît le luxe, qui le consomme et qui commence à le créer. Le luxe est aussi africain, maintenant. Car le luxe, c’est à la fois la culture, les commandes des mécènes, la main qui façonne et l’idée qui imagine, et c’est aussi le temps. L’Afrique a déjà tout cela et de grandes marques de luxe vont bientôt en émerger. Il faut aussi une audience voulant faire commerce. Si nous regardons l’histoire des marques françaises, elles ont eu la culture, l’artisanat, l’imagination, le temps, mais surtout l’avènement, au XIXe siècle, d’une clientèle d’aristocrates et de hauts bourgeois qui ont permis au luxe français de trouver son envol. Cela arrivera, et commence d’ailleurs à arriver en Afrique. De plus, ce continent a pour lui une fascinante quête du beau, de l’esthétique et du sacré.

« L’Afrique connaît le luxe, le consomme et commence à le créer »


Quelles sont les spécificités du marché africain ?

L. B. : Tout d’abord la puissance de sa jeunesse, cette vague permanente. La vibration avec laquelle il faut que l’on puisse résonner. Nous nous concentrons sur la partie locale encore plus qu’ailleurs, afin que les équipes comprennent et agissent en connaissance de cause. J’ai été marqué par l’influence de l’Afrique sur les États-Unis et non le contraire. Le Musée du hip-hop à Johannesburg [South African Hip-Hop Museum, NDLR] éclaire et explique les racines africaines. Il est fondamental de tenir compte de l’influence de l’Afrique sur le reste du monde.


Nigéria, Afrique du Sud et Côte d’Ivoire sont les pays les plus souvent cités en tant que leaders en termes de croissance. Quelles stratégies y mettez-vous en place ?

L. B. : Une stratégie 100 % locale. Certes, il y a des échanges avec les équipes à Paris pour déterminer ce que nous voulons raconter sur la marque, mais la culture locale est centrale. L’Afrique du Sud est trois fois plus importante que le Nigéria et trois fois et demie plus grosse que l’Angleterre ! C’est le troisième pays au monde pour nous en Very Special [l’un des cognacs les plus populaires au monde, NDLR]. D’où la nécessité du maillage de la licence : être partout, aux endroits pertinents, dans la culture. Si nous étions une marque globale classique, nous prendrions la campagne « Never Stop, Never Settle » [avec cette campagne publicitaire et toute première campagne panafricaine, Hennessy a choisi de rompre avec les conventions et la communication basées sur une représentation datée de la masculinité, de la réussite et de la vie nocturne, pour célébrer designers, photographes, danseurs et créateurs de mode réinventant l’Afrique et offrant une nouvelle signification au credo de la marque, NDLR] et la diffuserions telle quelle dans le monde entier. Mais l’intelligence de la maison est d’avoir su écouter l’Afrique du Sud et d’avoir changé la signature locale pour « All I Need » afin qu’elle sonne plus juste. Avec cette campagne, nous voulons montrer des gens créatifs qui ont réussi et qui racontent leurs histoires. Et il était important de raconter une histoire à la sud-africaine.


À travers les campagnes de type « Safer Africa » et « Hennesy VS. Africa », il semble que la communication soit plutôt « afro-américaine », à la fois dans l’esthétique et les codes… Comment l’expliquez-vous ?

L. B. : Chez Hennessy, notre culture et notre croyance sont notre boussole idéologique, même s’il est parfois intéressant d’être à la limite de l’incohérence. C’est comme une famille avec nos enfants : ils sont à la fois communs et tellement différents. Le jeu, c’est de les laisser déployer leurs ailes dans leurs univers, et en même temps les garder dans la sécurité du cocon familial. Les racines Hennessy, ce sont nos valeurs communes. Après, ils peuvent déployer leurs ailes et s’envoler tout en restant dans le cadre. C’est ça, Hennessy… On a gardé un esprit d’explorateurs, et on ne veut surtout pas s’embourgeoiser.


Quel sens donnez-vous à « Never Stop, Never Settle » [en français : « Ne vous arrêtez jamais, ne vous contentez jamais »], la devise de vos campagnes publicitaires ?

L. B. : C’est justement ça ! Ne surtout pas s’installer dans une forme de conformisme… C’est l’adversité permanente qui nous permet de nous dépasser. Le « Never Stop, Never Settle », c’est d’abord le dépassement de soi, notamment dans la culture afro-américaine… On le retrouve aussi dans les sports américains comme le basket.


Au-delà du patrimoine culturel, c’est aussi le patrimoine naturel qu’il faut protéger. Votre programme « Forest Destination » peut-il être mis en place, par exemple, en forêt équatoriale ?


L. B. : Nous avons avancé pendant trois ans sur notre stratégie RSE et maintenant nous savons où nous allons. La première intuition, c’est de dire qu’il y a un lien très fort entre la forêt, celle de la région dont nous dépendons, et notre métier. Nous nous intéressons à l’agroforesterie, en nous posant la question de la qualité du sol. Nous allons changer le paysage cognassier des 30 prochaines années en y remettant des arbres et des haies et nous allons étudier l’impact de ce replanting sur les sols. C’est le début de l’histoire et nous le faisons pour nous protéger. Sinon, nous aurons un problème de viticulture et de réglementation. En tant que troisième maison du groupe, il y a ensuite une responsabilité de faire « au-delà ». Nous avons donc décidé de régénérer les forêts dans le monde, en commençant par les pays dans lesquels la maison est présente, si les projets arrivent et sont intéressants : l’Afrique du Sud, le Nigéria (avec ses zones de mangrove), la Tanzanie, le Kenya, et il y en aura d’autres. Ce sont 50 000 hectares en dix ans depuis 2020, soit cinq fois la superficie de Paris. C’est à la fois énormément de régénération et peu à l’échelle du monde. Alors pourquoi pas la forêt équatoriale ?

« Nous avons décidé de régénérer les forêts dans le monde, en commençant par les pays dans lesquels la maison est présente »

Outre la séquestration du carbone et la biodiversité, le cycle de l’eau est un sujet particulièrement important, car il va y avoir des guerres pour l’eau. L’une des solutions, ce sont les forêts. Elles dirigent le cycle de l’eau sur la planète. Nous allons ainsi nous focaliser sur la réactivation des « rivières volantes » [mouvement de grandes quantités de vapeur d’eau transportées dans l’atmosphère, NDLR] et nous faisons un travail sur la région charentaise pour trouver, peut-être, un moyen d’arrêter les épisodes de grêle et autres. Les forêts sont capables de changer le climat.

Nyandira village Tanzanie ©Michael Goima


En 2021, Hennessy fêtait ses 100 ans de présence au Nigéria avec une série limitée. Est-ce pour vous la bonne façon de mêler culture africaine et savoir-faire ? Cognac qui rencontre Lagos ?

L. B. : Une série limitée, bien sûr qu’il faut la faire. La célébration aussi est importante, il ne faut pas toujours être trop intellectuel. Nous plaçons un marqueur. C’est l’anniversaire ? Offrons-nous un cadeau d’anniversaire. Ensuite, la bonne mise en scène est une question d’exécution, mais ce qui est génial, c’est de se dire « Oui, 100 ans au Nigéria ! », car peu de gens pouvaient l’imaginer, et nous en sommes très fiers.


Quelles émotions le continent africain vous évoque-t-il ?

L. B. : Je suis allé en Afrique du Sud, mais aussi au Zaïre [redevenu la République démocratique du Congo en 1997, NDLR], au Kenya, en Afrique du Nord. J’ai été soufflé par l’énergie, la nature très puissante, la chaleur et l’énergie des gens, les couleurs. C’est un continent tellement vivant.


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