Dédié à la révélation des scènes créatives émergentes, le Prix Ellipse présente, depuis sa création en 2020, les talents d’une nouvelle génération d’artistes. Après le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Togo, c’est le Bénin qui fut à l’honneur de cette quatrième édition. Victoria Jaunasse, directrice d’Ellipse art projects, nous présente ce prix ainsi que son lauréat 2024, l’artiste peintre Nobel Koty.
Propos recueillis par Anna Djigo-Koffi
Forbes Afrique : Le Prix Ellipse s’illustre par son soutien à la création contemporaine et aux artistes émergents en particulier. Comment cette initiative a-t-elle vu le jour et quels en sont les fondements ?
Victoria Jaunasse : Les prémices du Prix Ellipse ont vu le jour en 2020, alors que le secteur artistique rencontrait de grandes difficultés pendant la crise de la Covid-19. Avec Laura Picard, la présidente du fonds, nous nous sommes demandé comment soutenir les jeunes artistes après cette crise sans précédent. De plus, nous souhaitions fournir une aide aux créateurs des territoires dont les écosystèmes culturels sont moins structurés. Cette période étant assez peu propice aux déplacements, nous avons eu le temps de bien mûrir le projet. Ce qui nous a incontestablement aidés à nous lancer, c’est le soutien remarquable de l’entreprise mécène Ellipse Projects, spécialisée dans les grands projets d’infrastructures de pointe, en Afrique et en Asie.
L’idée d’un prix itinérant s’est donc naturellement affirmée, afin de pouvoir apporter chaque année de la visibilité aux artistes émergents d’une scène différente.
Cette édition 2024 du Prix Ellipse, remis en juin, s’articulait autour d’une rencontre avec la scène artistique béninoise, sous le thème : « Tradition contemporaine ». Comment s’est structurée l’organisation du prix, et pourquoi le choix du Bénin, spécifiquement ?
V. J. : Pour cette quatrième édition, le Bénin s’est présenté comme une évidence. En effet, depuis le lancement du prix et sans l’avoir vraiment planifié, nous avons réalisé un circuit tout au long de la côte ouest du continent africain, où les réseaux se font d’ailleurs écho. Après le Togo, il nous semblait cohérent de dédier l’édition au Bénin, territoire particulièrement dynamique en matière d’arts visuels.
Nous essayons chaque année de renouveler les éditions sous des thématiques plutôt larges, pour éviter d’enfermer les candidats dans une réflexion imposée. « Tradition contemporaine » est un thème que nous trouvions fort et assez représentatif du Bénin, justement entre traditions et modernité.
La sélection des artistes se fait à la suite d’un appel à candidatures sur notre site Internet. Un comité est ensuite organisé pour sélectionner cinq dossiers, puis un, à la majorité des voix. Nous renouvelons le jury à chaque édition pour inclure des personnalités reconnues et investies dans le secteur culturel du territoire en question.
« Après le Togo, il nous semblait cohérent de dédier l’édition au Bénin, territoire particulièrement dynamique en matière d’arts visuels »
Le lauréat du Prix Ellipse 2024 est l’artiste peintre béninois Nobel Koty. Quels aspects de son œuvre ont séduit le jury ?
V. J. : Nobel Koty a été nommé lauréat pour sa pratique plastique avec ces aplats de matière et ces fonds neutres dont jaillit le sujet principal, qui n’est autre que sa propre représentation. En effet, l’artiste travaille essentiellement autour de l’art de l’autoportrait et son projet d’exposition nommé Incertitudes, a été très convaincant.
Outre le lien avec la thématique, la qualité de la facture et l’explication autour de son travail sont des éléments qui ont fait la différence. Nous étions tous d’accord à l’unanimité du choix de Nobel Koty en tant que lauréat de cette édition.
« Nous étions tous d’accord à l’unanimité du choix de Nobel Koty en tant que lauréat de cette édition »
Cette édition a également donné lieu à une exposition des cinq artistes finalistes à Cotonou – une première dans l’histoire de ce Prix. Parlez-nous-en…
V. J. : Cette exposition des cinq finalistes était en effet une première. Au-delà de présenter ces travaux sur le plan local – ce qui nous semble être très important –, voir les œuvres physiquement apporte une tout autre dimension au projet. Initialement, nous avions coutume de présenter leurs travaux sur nos canaux de diffusion. Mais de pouvoir les exposer, c’est une plus grande satisfaction et un réel aboutissement. Nous tenons une nouvelle fois à remercier l’établissement Maison Rouge pour avoir accueilli le projet et nous espérons pouvoir reproduire cette initiative à l’avenir.
Quelle lecture faites-vous des différentes scènes artistiques auxquelles vous avez été confrontée ces quatre dernières années – et cela, face au marché international, de l’art, notamment ?
V. J. : Ces différentes scènes artistiques que nous avons pu approcher à travers le Prix Ellipse nous ont tout d’abord démontré les singularités créatives propres à chaque territoire. Malgré leur intégration timide au marché international de l’art, ce sont généralement les mêmes noms qui reviennent sur le devant de la scène. Je trouve dommage que l’on ne cherche pas à donner plus de visibilité aux jeunes qui pourraient s’intégrer à l’international, en apportant de l’innovation au paysage contemporain. C’est justement dans cette approche que réside l’ADN de ce prix, en faisant le lien entre les talents émergents et les réseaux professionnels. Nous avons d’ailleurs constaté que plusieurs des artistes que nous avons accompagnés ont pu décrocher un contrat en galerie ou des collaborations dans des projets de dimension internationale.
« Plusieurs des artistes que nous avons accompagnés ont pu décrocher un contrat en galerie ou des collaborations dans des projets de dimension internationale »
En matière de participation, quels chiffres comptez-vous pour cette édition 2024 ?
V. J. : Pour cette édition 2024, nous avons reçu 72 candidatures incluant une multitude de pratiques différentes : de la peinture à la photographie en passant par la sculpture et le digital.
À combien s’élève le fonds de dotation alloué aux artistes accompagnés par Ellipse Art Projects ?
V. J. : Depuis quatre ans, la dotation allouée aux artistes lauréats s’élève en moyenne à 50 000 euros chaque année, incluant une bourse de production, leur séjour en France, les frais inhérents à l’exposition, au transport ainsi qu’à la communication.
« Depuis quatre ans, la dotation allouée aux artistes lauréats s’élève en moyenne à 50 000 euros chaque année »
À la question « Pourquoi investir dans l’art ? », que répondriez-vous ? Pourquoi s’engager dans le mécénat culturel, et pourquoi en Afrique, spécifiquement ?
V. J. : Les artistes, l’art et la culture en général, sont bien trop souvent négligés, alors qu’ils sont le miroir de nos sociétés. Investir dans l’art, c’est soutenir la création. De même pour le mécénat culturel, qui est un mécanisme essentiel. Aucune entreprise, organisation ou encore individu n’est obligé de s’investir de cette manière. Il faut encourager ces dispositifs, surtout quand les institutions publiques ne peuvent pas suivre. C’est d’autant plus complexe de s’engager en Afrique, en raison du manque de structuration de ce type de soutien, surtout de l’étranger. Avec un mécène ayant des activités sur le continent, c’était pour nous une évidence, une manière admirable de s’engager au-delà de ses activités principales.
Au mois d’octobre, Ellipse arts projects présentera l’œuvre de Nobel Koty à Paris, dans le cadre de la Foire d’art contemporain AKAA 2024. Cette démarche s’inscrit dans le cadre de l’accompagnement réservé au lauréat du prix. À quoi peut s’attendre le public ?
V. J. : Chaque année, le stand d’Ellipse art projects sur AKAA est un lieu de découvertes et de retrouvailles. D’une manière générale, le public vient à la rencontre d’un travail qu’il ne connaît pas, ce qui transforme notre espace en une expérience riche d’échanges. Outre la vente d’œuvres, toutes ces rencontres offrent de nouvelles perspectives professionnelles aux artistes fréquemment sollicités après l’événement.
Et justement, en tant que directrice du Prix Ellipse, que pressentez-vous pour ce talent singulier et si engageant qu’est Nobel Koty ?
V. J. : Nobel Koty est un artiste très talentueux avec une capacité d’évolution dans sa pratique et dans les sujets traités, toujours sous le prisme de l’autoportrait, ce qui est prodigieux. Je pense très sincèrement qu’il est au début d’une très longue et belle carrière. Je vous donne donc rendez-vous en octobre prochain au Carreau du Temple à Paris pour admirer son travail.
« Nobel Koty est au début d’une très longue et belle carrière »