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Touria El Glaoui : la foire 1-54, plateforme de la création contemporaine africaine

Touria El Glaoui
Touria-El-Glaoui

Première foire d’art contemporain dédiée à l’Afrique et à sa diaspora, 1-54-  qui se tient chaque année à Londres, New York, Marrakech et depuis peu, Paris-  a célébré du 13 au 16 octobre 2022 sa dixième édition dans la capitale britannique. Créé par l’entrepreneuse franco-marocaine Touria El Glaoui, cet événement s’est très vite imposé comme la vitrine incontournable d’une scène artistique jusque-là peu connue du marché international.  Entre passion, défis et ambitions nouvelles, sa fondatrice dresse le bilan de ces 10 ans, de ce marché de l’art désormais en pleine mutation et de l’importance du soutien des institutions et des collectionneurs africains pour le développement d’un écosystème local.

Par Anna Djigo-Koffi

Forbes Afrique : 1-54, c’est un continent, cinquante-quatre pays et dix rendez-vous à Londres. Pour cette édition anniversaire post-Covid, ce sont plus de cent trente artistes présentés par cinquante galeries qui se retrouveront à la Somerset House de Londres. Comment s’articulera ce moment tant attendu ?

Touria El Glaoui : Je tiens d’abord à préciser que l’édition de Londres est l’une des seules foires à s’être maintenue pendant ces deux années de pandémie. On a vraiment été résilients à ce niveau-là et on est ravis de revenir : pour la célébration de nos dix ans, on s’agrandit, en accueillant une cinquantaine de galeries contre une quarantaine les années précédentes. Pour marquer ces dix ans de 1-54, nous avons prévu plusieurs événements autour de la foire, à la Somerset House, qui a été une véritable « maison spirituelle » pour nous : une installation majeure de l’artiste pluridisciplinaire portugaise Grada Kilomba au milieu de la cour, accompagnée d’une performance musicale de l’écrivain-musicien angolais Kalaf Epalanga ; un parcours culinaire composé par le Chef ghanéen Akwasi Brenya-Mensa, qui vient d’ouvrir son restaurant à l’African Center à Londres… La veille de l’ouverture VIP de la foire aura également lieu l’édition inaugurale d’un événement que nous avons jugé nécessaire de créer : une plateforme de networking pour les fondations et institutions d’art du continent africain. Et il y a bien sûr notre volet éducatif avec le 1-54 Forum, lancé en 2013, qui a apporté beaucoup de gravitas à la foire sur sa partie pédagogique. Le curateur, le Dr Omar Kholeif, directeur des collections et conservateur principal à la Sharjah Art Foundation, a préparé un programme incroyable … Pour ces dix ans, l’idée, c’était aussi d’inclure tous ceux qui ont contribué au succès de 1-54 : les galeries, les artistes ; tous ceux qui ont participé à la foire à ses débuts, tous ceux qui ont fait ce voyage avec nous…

« Pour ce rendez-vous anniversaire, nous avons rehaussé notre degré d’exigence, car nous souhaitions vraiment montrer ce qui se fait de mieux sur le continent et au niveau de la diaspora »

Forbes Afrique : Comment s’est opéré le choix des galeries, des artistes ?

Touria El Glaoui : Nous avons un comité de sélection pour chaque rencontre. Il est très important pour nous d’avoir un contenu et un programme variés à présenter d’une édition à l’autre, afin que le public puisse vivre chaque fois une expérience différente, notamment ceux qui nous suivent depuis nos débuts. Pour ce rendez-vous anniversaire de l’édition de Londres, nous avons rehaussé notre degré d’exigence, car nous souhaitions vraiment montrer ce qui se fait de mieux sur le continent et au niveau de la diaspora.

Forbes Afrique : Parlez-nous de vous, du parcours qui vous a mené à imaginer un concept comme celui de la 1-54 Art Fair… De votre passion pour l’art, mais aussi, pour la création contemporaine inspirée ou née du continent africain.


Touria El Glaoui : À titre personnel, je dois dire que c’est ma carrière professionnelle qui m’a amenée à vraiment découvrir les talents artistiques du continent. À l’époque, je travaillais pour un groupe américain qui me faisait beaucoup voyager à travers l’Afrique. J’étais toujours très enthousiaste par mes découvertes, mais je ne voyais pas vraiment ces talents traverser les géographies.Je suis aussi la fille d’un artiste établi au Maroc : Hassan El Glaoui. J’ai donc eu la chance de recevoir ma première éducation artistique par mon père.  À travers sa carrière, et parce que j’ai eu la chance de l’accompagner dans son travail à un moment de ma vie, j’ai tout de suite compris l’importance de la visibilité internationale pour les artistes africains et ce qu’il fallait leur apporter : l’accès !
Forbes Afrique : Aux prémices du projet, il y avait donc cette volonté d’insuffler une dynamique nouvelle au marché de l’art contemporain…

Touria El Glaoui : Oui, à ses débuts, la mission de 1-54 était effectivement d’offrir de la visibilité aux artistes du continent africain, à cette géographie qui avait été jusque-là complètement ignorée par le monde de l’art contemporain. 1-54 a permis à ces artistes d’avoir accès au marché étranger, à ses musées, ses curateurs, ses collectionneurs internationaux… Cela a changé la donne pour un grand nombre de galeries et d’artistes. Et cela a également contribué à modifier l’image que les gens se faisaient de l’Afrique.

Forbes Afrique : D’un point de vue organisationnel, comment se structure un événement tel que 1-54  ?

Touria El Glaoui : J’ai pris 2 ans hors de ma carrière professionnelle et mes fonds personnels pour pouvoir monter le projet. À l’époque, je n’avais pas de connaissances très poussées sur le monde des foires, des salons, ce n’était pas mon monde. J’ai donc fait beaucoup de recherches sur le marché, en visitant des foires, en essayant de comprendre pourquoi elles avaient un certain succès.J’ai vraiment voulu structurer l’évènement comme une foire internationale avec un angle spécialisé dans l’art contemporain africain. J’ai décidé de me lancer pendant la Frieze Art Fair, une des grandes foires anglaises. Nous avons commencé par une très petite foire, avec 17 galeries. Puis on a doublé de taille l’édition suivante.  Après le succès des deux premières années à Londres, on a décidé de lancer New York. Je me suis alors posé la question suivante : quelles sont les capitales mondiales de l’art et comment accélérer cette intégration au marché international ? Londres, c’était bien pour l’Europe. Mais New York reste quand même le marché le plus important du monde de l’art contemporain ; on se devait d’y être aussi. Sur ce point, la décision d’organiser 1-54 à New York a été extrêmement importante. Avec l’édition de Londres, cela nous a donné une fenêtre de marketing et d’intégration sur deux continents. Cela nous a fait connaître un grand nombre d’institutions, de musées, de collectionneurs, de maisons de vente aux enchères… C’est ce qui a permis à la foire de devenir une référence dans le monde de l’art contemporain africain.

Forbes Afrique : Parlons un peu chiffres… Quel bilan faites-vous de ces dix ans sur le volet financier ? Quel budget faut-il pour organiser un événement d’une telle envergure ?

Touria El Glaoui : 1-54 est financée sur la base de fonds personnels et du sponsoring. Malheureusement, nous évoluons dans un secteur où les soutiens sont assez frileux — même de la part des entreprises africaines — en termes de mécénat et de sponsoring culturel… De fait, nos sponsors sont plutôt internationaux et nous avons toujours dû réinvestir les revenus générés dans le financement des foires à venir. La contribution maximum que nous demandons s’élève à 150 000 £ (un peu plus de 170 000 euros) et nous n’avons quasiment jamais pu obtenir cette somme.

« Il faut soutenir l’écosystème local, parce que sans la base d’institutions ou de collectionneurs locaux, africains, nous sommes dépendants d’une audience internationale et ce n’est pas ce que nous voulons »


Forbes Afrique : Que diriez-vous aux investisseurs, aux collectionneurs pour les inciter à financer des projets comme 1-54 ?

Touria El Glaoui : À tous ceux qui en ont les moyens — que ce soit d’un point de vue corporate ou personnel, je dirais qu’il faut soutenir l’écosystème local, parce que sans la base d’institutions ou de collectionneurs locaux, africains, nous sommes dépendants d’une audience internationale et ce n’est pas ce que nous voulons. On ne veut pas retomber dans les clichés. Investir dans ces œuvres, c’est une façon de contribuer au développement d’écosystèmes résistants dans chaque pays du continent.

Forbes Afrique : Dans la continuité de cette édition phare à Londres, 1-54 c’est également un évènement tournant, avec des éditions à New York, à Marrakech et depuis peu, à Paris. Comment l’évènement se vit-il selon les lieux ?

Touria El Glaoui : La dynamique est vraiment très différente. Londres est un peu notre flagship. C’est par là que l’on a commencé et que tout a changé au niveau de l’écosystème de l’art contemporain à Londres. En termes de logistique, c’est aussi un bon point de rencontre pour les galeries du continent africain. A New York, on a eu la chance de toucher d’autres audiences. Les communautés afro-américaines aux États-Unis ont un pouvoir d’achat élevé et elles bénéficient également du soutien des institutions. Un musée comme le MOMA (Museum of Modern Art de New York, ndlr), par exemple, a un groupe de collectionneurs afro-américains qui s’intéresse tout particulièrement aux travaux d’artistes noirs ou de descendance africaine.  L’édition de New York nous a donc permis de toucher une audience avec un pouvoir d’achat différent, et elle nous a également permis d’ouvrir la foire aux artistes afro-américains et des Caraïbes, vivant aux États-Unis.

Marrakech a été important depuis le début parce que l’évènement se tient sur le continent africain. Mais il y a également le fait qu’il n’y a rien autour de nous. À New York et à Londres, nous avons des foires comme Frieze, qui ont lieu à la même période. Il y a donc un engouement existant avec les collectionneurs présents pendant cette semaine-là. À Marrakech, nous sommes le principal centre d’attention. L’évènement s’est développé avec un soutien total des plateformes culturelles de la ville. La foire est toute petite mais le programme est beaucoup plus riche en expériences, en découvertes. Et il y a maintenant Paris, que l’on organise depuis deux ans. Il s’avère que cette foire parisienne remplit deux nouvelles fonctions : celle d’entretenir notre communauté de collectionneurs français et de galeries qui se déplacent moins à Londres du fait du Covid et du Brexit. De ce point de vue, 1-54 Paris a eu beaucoup de succès.

Forbes Afrique : Quelle est la promesse pour les visiteurs de cette édition d’octobre 2022 ?


Touria El Glaoui : Une promesse de célébration, de surprise mais aussi de renouveau. Nous sommes dans le changement de notre manifeste : le premier était basé sur la notion de visibilité pour les artistes du continent africain et de la diaspora africaine. Aujourd’hui, nous allons plutôt confirmer notre statut de plateforme de découverte d’artistes de qualité. Le voyage ne fait que commencer. Nous vous invitons à venir avec un grand esprit d’ouverture… et de curiosité !

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