Nichée au cœur du Plateau, la OH Gallery se découvre comme un espace conçu dans une forme d’intimisme savamment pensé pour mettre en lumière la création contemporaine, dans toute sa pluralité. Dans un minimalisme sophistiqué qui se mue selon que l’on soit un collectionneur, un enfant ou un profane en quête de découverte, la OH Gallery est réputée pour avoir su construire ce « relationnel sur-mesure », ancré dans l’idée d’offrir des moments privilégiés à ses publics. Sous l’impulsion de sa fondatrice, la sénégalaise Océane Harati, 30 ans, la jeune galerie dakaroise propose une approche où la culture de la collection et celle de la transmission se font écho sur fond d’une douce universalité. Une expérience à vivre, notamment dans le cadre de la Biennale de Dakar !
Par Anna Djigo-Koffi
Forbes Afrique : Océane Harati, vous avez lancé la OH Gallery en 2018. Quelle était votre principale intention en créant cet espace ?
Océane Harati : Il a toujours été évident pour moi que le projet serait à Dakar car l’impact que je souhaite avoir est ici. Répondre aux problématiques qui ont été les miennes jeune fille et jeune femme : le manque d’accès à l’art, le manque de compréhension et de médiation liée à l’Art contemporain, l’hermétisme du marché pour un non initié ou encore la difficulté d’acquérir des artistes importants sans pour autant bénéficier de gros budgets…
Lorsque j’ai fondé la galerie, nous fonctionnions uniquement sur rendez-vous. Le but était de proposer des moments privilégiés à nos collectionneurs et visiteurs, de prendre le temps de faire découvrir les artistes, le métier de galerie, de créer des collections. À plus long terme, de faire comprendre les enjeux liés à l’art contemporain mais aussi les répercussions de l’art sur des pans entiers de la société.
Les ambitions de la galerie ont changé, depuis décembre 2021, avec notre nouvel espace dont l’accès est libre. Nous avons ainsi formé des médiateurs afin de continuer à maintenir le contact avec nos visiteurs, agrandissant ainsi l’impact des projets de la galerie.
Forbes Afrique : Parlez-nous de votre parcours, de votre passion pour l’art…
Océane Harati : Ma rencontre avec l’art s’est faite assez tardivement. Ma famille n’a jamais collectionné, acheté de l’art, nous n’allions pas visiter de galerie, d‘expositions ou encore de musée. J’ai donc appris tout cela par moi-même, en autodidacte. Et la première porte d’entrée a été la littérature française grâce à l’école avec la pièce de théâtre Hernani de Victor Hugo. Une œuvre qui m’a totalement bouleversée et fait changer de voix, faire un choix.
J’ai effectué un bac L avant de suivre une licence en Médiation culturelle à Paris III puis de faire un MBA en Ingénierie culturelle à l’école des Arts et de la Culture de Paris. J’ai pu l’effectuer à distance en étant à Dakar, ce qui m’a permis de travailler sur les prémices de OH GALLERY à travers mon mémoire « Entreprenariat culturel au Sénégal : entre un besoin culturel émergent et une géopolitique à risque ». En 2014, J’ai ouvert une première entreprise dans l’évènementiel culturel que j’ai très vite fermée pour reprendre la gestion d’une galerie de la place, une expérience qui m’a permis de me forger avant d’ouvrir OH GALLERY en novembre 2018.
Forbes Afrique : Vos artistes sont hybrides, votre approche tout autant. Comment vous positionnez-vous et qu’est-ce qui fait la particularité de la OH Gallery ?
Océane Harati : OH GALLERY est une galerie d’art contemporain en Afrique. J’ai beaucoup revendiqué et souligné notre africanité avant de comprendre que je m’enfermais dans une case. Les artistes issus du continent sont des artistes contemporains au même titre que d’autres de la scène internationale et sont totalement libres dans leurs propos et créations. Il me paraissait important que chacun puisse être vu comme tel, pouvant se confronter aux regards extérieurs, dialoguer avec des artistes venus d’Europe, d’Asie ou d’Amérique tout en étant traité et pris au sérieux de la même manière. Il ne s’agit pas d’exotisme et il serait temps d’en finir avec cette vision unique, excessivement commerciale et occidentalisée de ce qu’est l’Afrique et de ce qui s’y passe. Le continent et ses nations, de manière individuelle, sont riches de leurs diversités, de leurs pluralités.
Je pense que la spécificité de la galerie est liée à cette direction artistique à travers les artistes représentés qui sont issus du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Cameroun, du Togo, du Maroc, d’Égypte, de Mauritanie mais aussi de Corée du Sud, d’Allemagne ou encore de France. Il y a un réel fils d’Ariane entre eux. Une galerie, parce qu’elle est en Afrique, ne doit pas être contrainte de n’exposer que des artistes africains. La question ne se poserait pas pour une galerie en Europe. Et Dakar, grâce à son histoire, a largement gagné son statut de capitale internationale de l’Art contemporain.
Enfin je pense que notre positionnement y est pour beaucoup : un programme en galerie, un programme hors les murs au Sénégal et à l’étranger riches de divers projets, notre présence en ligne est forte car sur différentes plateformes comme Artsy et South South. Mais surtout nous nous adressons, certes à des collectionneurs, mais pas que. Faciliter l’acquisition au marché local a toujours été une priorité pour moi et dans ce sens nous avons développé une branche entière à travers notre Store : un espace qui regroupe des œuvres originales d’artistes pour tous les budgets (à partir de 50€). Cette démocratisation nous permet de sensibiliser et d’accompagner tous les publics afin de réellement développer un marché de l’art au Sénégal et de faire en sorte que les œuvres restent aussi sur le continent.
Forbes Afrique : La biennale de Dakar est de retour après 4 ans d’absence… Quelle est la proposition de la OH Gallery ?
Océane Harati : Beaucoup de choses ! Sur 14 de nos artistes, 12 sont présentés durant la Biennale. Hako Hankson est sélectionné sur le IN et la galerie le présente également une exposition monographique dans le OFF. Le photographe Ibrahima Thiam est sélectionné pour un projet spécial au Musée de l’IFAN sous le commissariat d’Emmanuelle Chérel et El Hadji Malick Sy.
En OFF à la galerie, nous présentons un groupe show Tell me your story réunissant Souad Abdelrasoul, Gopal Dagnogo, Lune Diagne et Sambou Diouf. Dans notre showroom privé (uniquement sur rendez-vous), la galerie présente l’exposition Mangrove avec Amina Benbouchta et Félicité Codjo. Nous présentons également une exposition d’œuvres monumentales avec Oumar Ball, Aliou Diack et Patrick-Joël Tatcheda Yonkeu. Dans notre programme hors les murs, nous collaborons avec Altdel et le Musée historique de Gorée pour présenter dans l’ancien fort d’Estrée une exposition de Mischa Sanders & Philipp Putzer, Fabrice Monteiro et Ibrahima Thiam.
Enfin, en évènements ponctuels, la galerie a accueilli la dédicace du livre pour enfants Noa visite une expo ! Avec qui nous avons collaboré. Ainsi que la projection à l’Océanium du film sur le premier Musée sous-marin d’Afrique. Tout cela sans compter d’autres projets auxquels nos artistes participent également dans le programme du OFF.
Forbes Afrique : Quels ont été vos moments les plus beaux et les plus marquants au cours de ces dernières années… Et que vous inspire l’avenir ? En quelle couleur voyez-vous celui-ci ?
Océane Harati : Les défis sont plus que nombreux depuis l’ouverture et je dois avouer que jamais je n’aurais imaginé accomplir ce que je fais actuellement. Certes nous avons énormément travaillé, il n’y a pas de secret. Toutefois, tout a évolué très vite et mieux que ce que je ne l’avais prévu.
En moments forts, bien évidemment, l’ouverture de la galerie, l’entrée de chaque artiste de notre « famille », notre première participation à une foire (Artissima, en 2021), l’ouverture de notre nouvel espace (2021), chaque exposition, certaines ventes. La vie d’une galerie est rythmée de moments forts. Malgré les difficultés, nous avons beaucoup de chance.
L’avenir est bien sûr de poursuivre ce travail, de nous développer et de faire grandir nos artistes, de toujours plus nous professionnaliser pour rivaliser avec les meilleurs en Afrique et ailleurs, de surprendre nos publics et collectionneurs et de relever de nouveaux défis plus grands encore. Cette édition de la Biennale de Dakar est importante. Concrétiser tous ces projets est un défi et enchaîner avec la foire de référence dans le monde de l’art en est un autre. En effet, ce mois de juin, la galerie participera à Art Basel à Bâle avec un solo show de l’artiste Aliou Diack ! Pour répondre intuitivement, je dirais que le rouge, cette couleur forte, énergétique, représente cet avenir. Mais avec un temps de réflexion, je pense également que le blanc pourrait assez bien annoncer cette nouvelle période qui commence.
OH Gallery
143 Avenue Lamine Gueye
Dakar, Sénégal
Du mardi au samedi, 10h à 18h
(+221) 33 822 84 66