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59e Assemblée de la BAD : La Réforme De l’Architecture Mondiale Au Cœur Des Échanges

L’édition 2024 des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD), qui s’est tenue au Kenya du 27 au 31 mai, vient de s’achever. Durant cinq jours, accueillis au centre international de conférence Kenyatta de Nairobi, chefs d’État et gouverneurs, représentants du secteur privé et autres parties prenantes ont proposé des mesures concrètes pour mobiliser des ressources en faveur des besoins de développement du continent.

Par Olivia Yéré Daubrey, envoyée spéciale à Nairobi


Avec le chiffre record de 8 300 participants, la plus grande participation jamais enregistrée, la dernière édition des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) a marqué le point de départ de la célébration du 60e anniversaire de l’institution. Au programme de cet événement, des discussions de haut niveau autour du thème : « La transformation de l’Afrique, le Groupe de la Banque africaine de développement et la réforme de l’architecture financière mondiale ». 

Architecture Financière Internationale : Pour Une Réforme De Fond

Ces débats furent d’abord l’occasion de rappeler un constat : l’Afrique aura besoin d’environ 13 000 milliards de dollars (+/- 11 980 milliards d’euros) par an pour atteindre les Objectifs de développement durable d’ici 2030 et pour combler le fossé financier, qui risque de s’accentuer en raison de la croissance démographique rapide du continent. L’urgence est donc à la réforme de l’architecture financière mondiale, selon la Banque africaine de Développement. Pour son président, Akinwumi Adesina, le constat est sans appel : cette architecture internationale « ne répond pas aux problèmes de l’Afrique et ne sert pas ses intérêts ». Le Nigérian à la tête de l’Institution depuis  2015 a plaidé pour que « les besoins du continent soient pris en compte, qu’il y ait équité et justice dans le traitement des questions les plus urgentes, notamment climatiques », soulignant les efforts de la BAD dans la mise en place d’initiatives visant à renforcer la capacité des économies africaines à accéder aux financements internationaux (200 milliards de dollars soit 184 milliards d’euros investis dans des projets de développement à travers le continent depuis sa création en 1964, et « plus de 10 milliards de dollars [9 milliards d’euros, NDLR] répartis sur l’ensemble de nos priorités » en 2023). Aussi s’est-il félicité du premier pas franchi par le Fonds monétaire international (FMI) qui a approuvé l’utilisation de droits de tirage spéciaux (DTS) comme capital hybride, et donné à l’Afrique un troisième siège dans son Conseil d’administration. « Il y a des espaces qui se créent », a reconnu le président Adesina.

« L’architecture financière mondiale ne répond pas aux problèmes de l’Afrique et ne sert pas ses intérêts »

Akinwumi Adesina, Président de la BAD


Le Soutien Du Kenya

De son côté, le président du pays hôte, William Ruto, a appelé de manière pragmatique à la création d’une Agence africaine de notation financière, afin de garantir une notation correcte et équitable des États africains souverains et non souverains. En signe de soutien aux efforts de la Banque, le président Ruto a annoncé que le Kenya dépenserait 100 millions de dollars (environ 92 millions d’euros) au cours des trois prochaines années pour augmenter sa participation dans la Banque africaine de développement, Afreximbank et la Banque de commerce et de développement de l’Afrique orientale et australe (TDB). En outre, il a annoncé un engagement de 20 millions de dollars en faveur du Fonds africain de développement, le guichet de financement concessionnel du Groupe de la Banque : « Nous devons croire en nous-mêmes pour que d’autres puissent croire en nous. Et nous devons investir dans nos institutions pour que d’autres fassent de même », a-t-il déclaré.

« Nous devons investir dans nos institutions pour que d’autres fassent de même »

Un discours salué par certains partenaires au développement présents aux assemblées comme Victoria Sabula, directrice générale d’AECF (Africa Enterprise Challenge Fund), une organisation de développement à but non lucratif qui soutient les entreprises innovantes dans les secteurs de l’agro-industrie et des énergies renouvelables : « L’Afrique est considérée par les agences de notation de crédit à travers un prisme homogène axé davantage sur le risque perçu que sur le risque réel. Je suis d’accord avec le président pour dire que nous avons besoin d’une agence de notation centrée sur l’Afrique, qui évaluera et répartira correctement les risques. Et j’espère que nous verrons moins d’inversion de capital dans le sud de l’Afrique à cause de l’instabilité dans l’extrême ouest du continent ».

Victoria Sabula, directrice générale d’AECF


Accélérer La Transformation Structurelle De l’Afrique

Assemblées annuelles, qui réunissent les gouverneurs du Groupe de la Banque représentant 54 pays africains (et 27 actionnaires non africains), ont aussi été l’occasion pour ces derniers de partager leurs expériences sur les progrès réalisés par leurs pays respectifs dans la transformation de leurs économies. Lors des « événements du savoir », plusieurs chefs d’État ont échangé leurs points de vue sur les principaux obstacles rencontrés dans ce processus, à travers un dialogue axé sur les solutions pour construire l’Afrique.

À la question « Quelles sont les réformes les plus stratégiques à engager pour la transformation structurelle de l’Afrique ? », le président du Rwanda Paul Kagame a répondu que « l’Afrique doit se tourner vers elle-même. (…) Les intérêts des pays africains doivent être pris en charge et c’est à nous de le faire. Lorsque l’on parle de la possibilité de s’exprimer d’une seule voix, il faut que cette voix soit claire, forte et efficace. Il faut travailler ensemble et assurer notre représentation au lieu de demander à d’autres de nous représenter ».

« L’Afrique doit se tourner vers elle-même » 

Partageant l’idée de coopération régionale, Alexandre Barro Chambrier, vice-premier ministre du Gabon, en charge de la Planification et de la Prospective, interrogé par Forbes Afrique en marge de l’événement, a rappelé l’importance de « la prise de conscience de l’unité, de la cohésion de l’Afrique. Quand l’Afrique évolue et parle d’une seule voix, nous pouvons peser sur la table et c’est de ça qu’il est question : comment pouvoir infléchir les décisions en notre faveur, nous qui avons des taux de croissance qui ne sont pas les plus mauvais ? ». Des taux qui s’élèvent à 4 % en 2024-25 selon le dernier rapport de la Banque africaine de développement, dévoilé lors de cette 59e assemblée. Et si, selon ses spécialistes, il faudra atteindre 7 à 8 % de croissance du PIB sur 40 ans pour briser le cycle de la pauvreté en Afrique, la proposition d’intégrer les richesses naturelles dans le PIB des États africains a refait surface au cours des échanges.

De gauche à droite : Professeur N’juguna Ndung’u, gouverneur de la République du Kenya & Président des conseils des gouverneurs, Akinwumi Adesina, Président de la BAD & Kevin Uruma, Économiste en chef et vice-président pour la gouvernance économique et la gestion des connaissances Groupe africain de développement

Le président congolais Denis Sassou Nguesso, en particulier, a plaidé pour que l’Afrique cesse d’être riche en nature, mais pauvre en argent : « Le bassin du Congo, les réserves forestières immenses, les tourbières… Si elles étaient prises en compte dans les richesses des États, le PIB de ces États serait classé à un niveau qui leur permettrait d’emprunter plus, d’avoir plus de moyens », a-t-il regretté. Pour le président zimbabwéen, le changement de perspective et de mentalité a un rôle à jouer dans le cadre de la résolution de la dette et la marche de l’Afrique vers sa prospérité. Il a insisté sur la nécessité pour les pays africains de sortir des divisions héritées des pays colonisateurs et des réalités européennes transférées sur le continent : « Le continent est doté de suffisamment de terre arable pour produire de la nourriture pour les Africains et même en excédent. Cependant il y a encore des pays en Afrique qui importent la nourriture en Europe. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas réussi à rompre ce lien avec le colonialisme. (…) Les pays colonisés par les Britanniques dans la sphère anglophone communiquent entre eux, tandis que ceux qui ont été colonisés par les Français font de même entre eux et l’Afrique se trouve divisée. (…) Le swahili est parlé dans de nombreux pays, pourquoi ne pas en faire une langue nationale pour que nous puissions tous parler le swahili ? »

Une opinion partagée par Hafou Toure, experte ivoirienne en développement, qui avait fait le déplacement depuis Abidjan pour assister à la conférence : « Concernant la barrière de la langue, il y a beaucoup de ségrégation entre les anglophones et les francophones et lusophones. Le point est : comment, en tant qu’une seule Afrique, pourrons-nous détruire ces barrières invisibles et construire des ponts plus solides entre nous ? Pour y parvenir, c’est surtout le pont des infrastructures terrestres et même aériennes que nous devons développer », observe-t-elle pour Forbes Afrique.  

« La proposition d’intégrer les richesses naturelles dans le PIB des États africains a refait surface au cours des échanges »

Professeur N’juguna Ndung’u, gouverneur de la République du Kenya & Président des conseils des gouverneurs


Rendre Les Économies Africaines Plus Résilientes Aux Changements Climatiques 

À court terme, plusieurs priorités s’imposent pour que l’Afrique soit au centre de l’architecture financière mondiale. C’est le cas notamment de l’octroi de financements concessionnels plus importants et du financement de la lutte contre le changement climatique. 

Dans un contexte où « les effets dévastateurs du changement climatique se font sentir partout, des sécheresses aux inondations, avec des cyclones aux phénomènes météorologiques imprévisibles, causant des pertes en vies humaines et des dommages matériels, ainsi que des coûts budgétaires énormes pour les pays », le président Adesina a tenu à rappeler le déficit de financement que subit le continent africain à l’échelle mondiale. Alors que les besoins de l’Afrique se situent autour de «277 milliards de dollars par an [254 milliards d’euros, NDLR], l’architecture mondiale ne lui fournit que 30 milliards de dollars», a-t-il déploré. Pour lutter contre le changement climatique, la Banque africaine de développement s’est dit cependant «en bonne voie pour atteindre son objectif de mobiliser 25 milliards de dollars [23 milliards d’euros, NDLR] de financement climatique. L’an dernier, nous avons consacré 45 % du total de nos prêts au financement climatique», a assuré le président.

Pour Akinwumi Adesina, dont le mandat s’achève dans un peu moins d’un an et demi, l’Afrique sera le moteur de l’agenda mondial des énergies renouvelables, en utilisant l’énergie solaire pour répondre aux besoins énergétiques futurs. D’ici 2030, la Banque africaine de développement, en collaboration avec la Banque mondiale, raccordera 300 millions d’Africains à l’électricité.

« L’an dernier, nous avons consacré 45 % du total de nos prêts au financement climatique », a assuré le président Akinwumi Adesina.


Investir Dans Les Femmes Et La Jeunesse 

Ces 59ᵉ Assemblées générales ont également permis d’entériner la stratégie de la BAD pour la prochaine décennie. La Banque prévoit d’investir dans le meilleur atout de l’Afrique : « ses jeunes hommes et femmes dynamiques ». Des initiatives audacieuses soutiendront les pays membres régionaux qui investiront de manière concrète et stratégique dans la jeunesse. Le Groupe de la Banque africaine de développement a d’ailleurs annoncé un accroissement de sa capacité de financement de plus de 70 milliards de dollars (environ 64 milliards d’euros). Enfin, dans une autre décision historique, les gouverneurs représentants les 54 pays africains ont approuvé un nouveau capital général exigible pour la Banque africaine de développement, à hauteur de 117 milliards de dollars (162 milliards d’euros). 


 

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