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Taxer le Mobile Money au Sénégal : Entre Impératif Budgétaire et Menace Pour l’Inclusion Financière

Le Sénégal a dévoilé son Plan de redressement économique et social (PRES) 2025-2028, destiné à restaurer les équilibres macroéconomiques dans un contexte de dette publique élevée et de déficit budgétaire préoccupant. Parmi les mesures phares figure la taxation des transactions de mobile money. Si le gouvernement justifie ce choix par la nécessité de renforcer la souveraineté fiscale, la mesure suscite de vives inquiétudes quant à ses effets sur l’inclusion financière et le quotidien des ménages modestes.

Par Bylkiss Mentari


Le 18 septembre 2025, Dakar a accueilli la 4e édition de la Rentrée Numérique du Sénégal, rencontre organisée par Gainde 2000. Placé sous le thème de la souveraineté, de la sécurité et de la performance numérique, l’événement s’est tenu dans un contexte de tension :  la taxation des transactions de mobile money, mesure phare du Plan de redressement économique et social (PRES) 2025-2028, suscite en effet de l’inquiétude dans le secteur du numérique sénégalais.

L’économie sénégalaise traverse une période de fortes turbulences. La dette publique a atteint en 2024 l’équivalent de 119 % du produit intérieur brut, tandis que le déficit budgétaire avoisine 14 %. Dans ce contexte, l’exécutif a misé sur une mobilisation accrue des ressources domestiques. Le PRES, plan triennal évalué à environ 10,12 milliards de dollars, prévoit de lever 3,77 milliards de dollars grâce à de nouvelles recettes fiscales. La fiscalisation du mobile money doit, à elle seule, générer près de 410 millions de dollars sur trois ans.

« La fiscalisation du mobile money doit, à elle seule, générer près de 410 millions de dollars sur trois ans »

Pour le ministre des Finances et du Budget, Cheikh Diba, il s’agit d’une question de justice fiscale : « Tous les secteurs de l’économie doivent contribuer à l’effort national. Le numérique, en pleine expansion, ne peut rester en marge », a-t-il déclaré lors d’une séance à l’Assemblée nationale. « Taxer le mobile money, ce n’est pas dans la dentelle, mais c’est nécessaire. Nous devons faire attention aux surtaxes de sociétés », a-t-il déclaré.


Une Réforme Sensible

Le projet de loi adopté en septembre 2025 prévoit une taxe de 0,5 % sur les transferts d’argent et de 1 % à 1,5 % sur les paiements marchands. Certaines exonérations sont envisagées, notamment pour les salaires, les bourses étudiantes ou les opérations de faible montant. La taxe serait par ailleurs plafonnée à 3,5 dollars environ par transaction.

Le gouvernement insiste sur la cohérence de cette mesure avec la philosophie du PRES. Lors de la présentation du PRES 2025-2028, le 1er août dernier, le premier ministre Ousmane Sonko déclarait ainsi : « Nous avons énormément de niches, notamment dans le secteur du numérique. Il est un secteur en plein essor, mais sous-fiscalisé ou pas du tout fiscalisé jusque-là : il s’agit des jeux de hasard en ligne, du mobile money, des transferts marchands, etc. ».

« Le projet de loi adopté en septembre 2025 prévoit une taxe de 0,5 % sur les transferts d’argent et de 1 % à 1,5 % sur les paiements marchands »


Le Mobile Money, Pilier de l’Inclusion Financière

En une décennie, le mobile money est devenu central dans la vie économique et sociale du Sénégal. Moins de 30 % des habitants possèdent un compte bancaire classique, mais plus de 86 % des adultes détiennent un portefeuille électronique. Les opérateurs tels qu’Orange Money, Wave ou Mixx by Yas (ex-Free Money) se sont imposés comme de véritables relais financiers, permettant à des millions de Sénégalais de transférer de l’argent, payer les factures et frais de scolarité, financer de petites activités ou épargner.

« Moins de 30 % des habitants possèdent un compte bancaire classique, mais plus de 86 % des adultes détiennent un portefeuille électronique »

La croissance est fulgurante : entre 2013 et 2023, le nombre de comptes enregistrés est passé de 7 à 38 millions, et la valeur des transactions a plus que triplé pour dépasser 230 millions de dollars. Selon l’association internationale d’opérateurs de téléphonie mobile GSMA, le mobile money a contribué à hauteur de 8,6 % au PIB sénégalais en 2023, un poids économique supérieur à celui de secteurs structurants comme l’immobilier ou la construction.

« Le mobile money a contribué à hauteur de 8,6 % au PIB sénégalais en 2023, un poids économique supérieur à celui de secteurs structurants comme l’immobilier ou la construction »


Les Risques d’Un Effet Contre-Productif

Cette taxation suscite toutefois des réserves. L’Union nationale des consommateurs du Sénégal (UNCS) a averti que la mesure « pourrait compromettre l’inclusion financière » et peser disproportionnellement sur les ménages modestes. Pour les petits commerçants, les étudiants ou les familles rurales qui effectuent quotidiennement de petites transactions, même une hausse marginale des coûts peut devenir dissuasive.

Les expériences d’autres pays de la sous-région renforcent ces inquiétudes. En Ouganda comme au Cameroun, l’introduction de taxes sur le Mobile Money a provoqué un retour massif à l’usage du cash, entraînant une baisse des volumes, une contraction de la base fiscale et, paradoxalement, une diminution des recettes attendues.


Une Équation Délicate

Au-delà du cas du mobile money, le PRES traduit une volonté de transformation structurelle. Le plan prévoit une rationalisation des dépenses publiques, la réduction du train de vie de l’État, une meilleure fiscalisation du foncier et la renégociation des contrats dans les hydrocarbures et les mines. L’objectif affiché est de ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB, une cible ambitieuse qui suppose discipline budgétaire et mobilisation accrue de recettes internes. Dans le cadre du New Deal Technologique, le pays vise la création de plus de 50 000 emplois directs et 160 000 emplois indirects, ainsi qu’une contribution de 10 % du secteur numérique à l’économie sénégalaise d’ici 2030.

Et si, plutôt que de faire peser le fardeau sur les utilisateurs, la taxe était supportée par les opérateurs eux-mêmes ? Une piste évoquée par certains observateurs pour concilier fiscalité et inclusion financière.

« L’objectif affiché est de ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB, une cible ambitieuse qui suppose discipline budgétaire et mobilisation accrue de recettes internes »


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