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Pétrole et Gaz : Un Atout Ou Un Piège Pour l’Afrique ?

La production africaine devrait atteindre 11,4 millions de barils par jour d’ici 2026. Un chiffre qui témoigne du potentiel énergétique du continent, mais qui relance le débat : comment concilier exploitation des hydrocarbures et transition énergétique mondiale ? L’Afrique risque-t-elle de rester dépendante des rentes pétrolières, alors que le monde se tourne vers le vert ?

Par Dounia Ben Mohamed


L’annonce récente de l’Algérie – investir 60 milliards de dollars dans des projets énergétiques d’ici 2029, couvrant pétrole, gaz et hydrogène, avec 80 % des fonds consacrés à l’exploration et à la production fossile, le reste à la pétrochimie et au raffinage, tout en lançant des projets renouvelables de 3 200 MW – illustre bien le dilemme.

De manière similaire, plusieurs pays africains découvrent ou exploitent de nouveaux gisements : le Sénégal avance avec le projet Greater Tortue Ahmeyim (GTA) de gaz liquéfié, tandis que la Namibie a trouvé d’importantes réserves offshore (comme le champ Venus-1X), et que le Mozambique continue son développement gazier.

De l’autre côté, des États comme le Kenya, le Maroc, et la Namibie déjà citée se distinguent par leur dynamique dans le domaine des énergies renouvelables. Le Kenya tire aujourd’hui près de 90 % de son électricité de sources renouvelables (géothermie, hydro, solaire, éolien), avec des projets comme Menengai (465 MW) qui viennent renforcer cette position. Le Maroc, de son côté, a accru sa capacité renouvelable à 24 % du mix électrique, et vise 52 % d’ici 2030.

Le Maroc a accru sa capacité renouvelable à 24 % du mix électrique, et vise 52 % d’ici 2030.


L’Afrique Abrite Près de 7,5 % des Réserves Mondiales Prouvées de Pétrole et d’Immenses Gisements Gaziers Encore Inexplorés

L’Afrique se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Riche de près de 7,5 % des réserves mondiales prouvées de pétrole et d’immenses gisements gaziers encore inexplorés, le continent attire les convoitises et nourrit les espoirs de développement. Pourtant, dans un monde en pleine transition énergétique, la question se pose avec acuité : cette richesse fossile est-elle une chance ou un fardeau pour l’avenir du continent ?

Pour Jean Van Wetter, directeur général d’Enabel, l’agence belge de développement, de nombreux pays africains – Algérie, Mozambique, Sénégal, Namibie – disposent d’importantes réserves qu’ils doivent choisir d’exploiter ou non. « Il est tentant de le faire, reconnaît-il, car ces ressources peuvent générer des fonds souverains à la manière de la Norvège. Mais si l’Afrique consomme les énergies fossiles comme le reste du monde, le risque pour la planète est énorme ».

« Si l’Afrique consomme les énergies fossiles comme le reste du monde, le risque pour la planète est énorme »

Jean Van Wetter (à droite) ©Enabel

« Il Faut Créer Le Marché »

L’enjeu, poursuit-il, est donc de construire des plans de transition énergétique réalistes, en conciliant le potentiel fossile et les énergies renouvelables. Enabel soutient déjà plusieurs pays, dont le Mozambique, dans l’élaboration de ces stratégies. « La Namibie, par exemple, a un potentiel immense en hydrogène vert. Ce carburant du futur pourrait offrir à l’Afrique un avantage concurrentiel considérable. Mais il faut créer le marché », insiste Van Wetter, soulignant la nécessité d’un cadre international incitatif pour rendre l’hydrogène vert abordable et attractif.

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Dans cette perspective, l’Union européenne, à travers son initiative Global Gateway, joue un rôle déterminant. Le programme, doté de 300 milliards d’euros d’ici 2027, vise notamment à renforcer les infrastructures vertes et numériques sur le continent africain. Une part importante de ces investissements est consacrée aux énergies renouvelables, à la production d’hydrogène vert et à la modernisation des réseaux électriques. Des projets pilotes sont déjà en cours en Namibie, au Maroc et au Kenya, où l’UE finance des partenariats public-privé pour accélérer la décarbonation et soutenir la création d’emplois verts.

Ces initiatives illustrent une approche complémentaire entre coopération internationale et stratégies nationales, où l’Afrique devient non plus seulement un fournisseur de ressources, mais un acteur clé de la transition énergétique mondiale.

« Jean Van Wetter [souligne] la nécessité d’un cadre international incitatif pour rendre l’hydrogène vert abordable et attractif »


« Le Pétrole Peut Devenir un Accélérateur de la Transition, et Non un Obstacle »

Pour Tony Tiyou, fondateur de Renewables in Africa, la question du timing est cruciale : « Le continent dispose d’une fenêtre de tir d’une dizaine d’années. Il y a un réel potentiel à court terme, mais la fenêtre pour le fossile se referme ». L’expert estime que l’Afrique doit utiliser ses revenus pétroliers pour financer les énergies propres : « Nous devons ring-fencer [séparer, NDLR] une partie des revenus du pétrole dans des fonds de transition, dédiés au solaire, à l’éolien ou à l’hydrogène. C’est ainsi que le pétrole peut devenir un accélérateur de la transition, et non un obstacle ».

Cette logique du « financer le futur avec les revenus du présent » est aussi défendue par Ransom Olukotun, consultant en durabilité : « L’Afrique a une fenêtre de 10 à 15 ans pour monétiser ses ressources fossiles avant que la demande mondiale ne commence à décliner. L’enjeu n’est pas de savoir si le continent doit produire plus de pétrole, mais comment le faire intelligemment. » Il met en garde contre le risque de « stranded assets » – ces infrastructures pétrolières qui perdront leur valeur lorsque le monde basculera vers le vert – et contre le piège de la dépendance. « Les pays qui investissent sans stratégie de transition claire se retrouveront vulnérables. »

« L’enjeu n’est pas de savoir si le continent doit produire plus de pétrole, mais comment le faire intelligemment »


Adopter un Modèle de Finance de Transition

Selon Olukotun, l’Afrique doit « adopter un modèle de finance de transition » inspiré de la Norvège ou de l’Égypte, qui a utilisé ses revenus gaziers pour bâtir le gigantesque Benban Solar Park. Il appelle à des cadres de gouvernance solides, à une transparence totale sur la gestion des revenus pétroliers, et à des obligations d’investissement vert imposées aux compagnies exploitantes. « Les États africains doivent exiger des majors qu’elles investissent au moins 15 à 20 % de leurs dépenses dans le renouvelable », dit-il.

« Les États africains doivent exiger des majors qu’elles investissent au moins 15 à 20 % de leurs dépenses dans le renouvelable », dit Ransom Olukotun, consultant en durabilité.

Mais derrière les chiffres et les stratégies, un dilemme moral persiste. Comme le souligne Jean Van Wetter, « certains dirigeants africains rappellent que le continent ne représente que 4 % des émissions mondiales, et qu’il n’est pas juste de lui interdire d’utiliser ses propres ressources pour se développer ». Pourtant, ajoute-t-il, « il faut accepter que le développement économique et la responsabilité climatique aillent de pair ».

Le débat ne se limite donc pas à l’énergie. Il touche au modèle de développement. « Quand un pays finance ses dépenses publiques grâce au pétrole, il se prive de réformes structurelles et reste vulnérable à la volatilité des prix », analyse Olukotun, évoquant le cas de l’Angola, où 95 % des exportations reposent sur le pétrole. C’est ce qu’on appelle la malédiction des ressources.

 « Il faut accepter que le développement économique et la responsabilité climatique aillent de pair »


« Il ne s’agit plus d’Opposer Fossile et Renouvelable, Mais de Bâtir un Nouveau Modèle de Financement du Développement International, Fondé sur la Finance Climatique et le Partenariat d’Égal à Égal Entre l’Afrique et l’Europe »

Pour en sortir, les experts s’accordent : la diversification économique passe par l’énergie propre. « Le solaire, devenu la source d’électricité la moins chère dans la plupart des marchés africains, peut relancer l’agriculture, la transformation locale et l’industrie », affirme Olukotun. Tony Tiyou abonde : « L’Afrique doit développer ses chaînes de valeur locales, que ce soit dans les hydrocarbures ou les renouvelables. Exporter des matières brutes ne nous a jamais enrichis ».

L’avenir se jouera donc sur la capacité des États à gérer intelligemment cette transition. Comme le résume Jean Van Wetter, « il ne s’agit plus d’opposer fossile et renouvelable, mais de bâtir un nouveau modèle de financement du développement international, fondé sur la finance climatique et le partenariat d’égal à égal entre l’Afrique et l’Europe ».

Entre potentiel énergétique et urgence climatique, entre revenus immédiats et souveraineté future, l’Afrique doit choisir sa trajectoire. Le pétrole et le gaz peuvent être un atout – à condition d’en faire le levier du changement, non la chaîne du passé.

« Le solaire, devenu la source d’électricité la moins chère dans la plupart des marchés africains, peut relancer l’agriculture, la transformation locale et l’industrie »


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