Rui Mendes Da Silva, 33 ans, est le cofondateur de Kemet Automotive, première marque de véhicules électriques made in Africa. Actuellement en quête de fonds pour entamer son développement industriel, la jeune société affiche son ambition : bâtir un écosystème complet alliant design local, stations solaires et formation d’ingénieurs. La commercialisation de ses premiers modèles – un tricyle, puis un SUV compact – est prévue à partir de 2026.
Entretien réalisé par Olivia Yéré Daubrey
Forbes Afrique : Vous Avez Grandi en France, puis Travaillé entre l’Europe et les États-Unis avant de Revenir en Afrique. Qu’est-ce qui a été le Déclic pour tout Quitter et Lancer un Projet Industriel sur le Continent ?
Rui Mendes Da Silva : Je suis d’origine bissau-guinéenne et sénégalaise, mais j’ai grandi en France. Plusieurs facteurs expliquent ce choix. D’abord, l’impact : tout entrepreneur cherche certes à générer des revenus, mais surtout à transformer la société et à améliorer le quotidien. Or, si l’innovation est abondante en Occident, c’est dans les pays du Sud – et en tant qu’Africain, sur mon propre continent – que l’impact peut être le plus fort. Ensuite, la quête de sens : je travaillais déjà dans la mobilité électrique, motivé par la réduction des émissions de CO₂. Mais dans des capitales africaines comme Dakar, Abidjan ou Lagos, la pollution est un problème quotidien. J’ai compris que je pouvais y avoir un impact bien plus décisif. Enfin, une logique économique : l’Afrique concentre aujourd’hui certaines des plus fortes dynamiques de croissance. Là où des marchés sont saturés en Occident, les perspectives restent ouvertes en Afrique.
« Là où des marchés sont saturés en Occident, les perspectives restent ouvertes en Afrique »

Votre Première Expérience Entrepreneuriale s’est Faite aux Côtés de votre Frère, avec Greenlux Car, à Paris, dans la Location de Véhicules Électriques. Qu’avez-vous Appris de Cette Aventure qui vous Sert Aujourd’hui avec Kemet ?
R. M. D. S. : La première leçon, c’est que les pionniers rencontrent toujours des difficultés, mais c’est là que se trouvent les opportunités majeures. En 2013, nous avons lancé le premier service de location de véhicules électriques à Paris. L’écosystème n’était pas prêt, les clients doutaient. Mais une fois les premiers convaincus et les prestations réussies, la dynamique s’est enclenchée. C’est ce qui m’a donné la conviction, avec Kemet Automotive, de créer la première marque de véhicules électriques made in Africa. Le contexte est complexe, mais les perspectives sont immenses. Deuxième leçon : la résilience. Rien ne se passe jamais comme prévu ; chaque difficulté apporte un apprentissage. L’important est de persévérer et de s’entourer des bonnes personnes.
Avant Kemet, Dont vous êtes co-CEO, vous avez Également Lancé une Société de Conciergerie de Luxe et une Entreprise de Transformation Digitale. Qu’est-ce Qui Vous Attire dans le Défi Industriel, Beaucoup plus Capitalistique et Risqué ?
R. M. D. S. : Ces activités – Low-Key Concierge et la société de transformation digitale – avaient pour but de générer du cash-flow à réinvestir dans des projets à fort potentiel. Mais l’ambition industrielle est venue progressivement. Au départ, je voulais simplement importer des véhicules électriques en Afrique. Puis, à travers des rencontres et des échanges, j’ai compris qu’il ne fallait pas reproduire l’erreur de l’importation de produits finis sans valeur ajoutée locale. Avec mon associée Nissi Ogulu1, nous avons commencé par le design, puis sollicité des partenaires industriels. Ces premiers pas nous ont permis de lever des fonds, de développer des prototypes et de poser les bases d’une véritable industrie. L’objectif est clair : bâtir une filière intégrée, avec usines, formation et maintenance.
« L’objectif est clair : bâtir une filière intégrée, avec usines, formation et maintenance »

Vous êtes Lauréat du Choiseul 100 Africa. Comment Cette Reconnaissance Influence-t-elle Votre Crédibilité Auprès des Investisseurs et Partenaires Internationaux ?
R. M. D. S. : Cette distinction a marqué un tournant. Grâce au Choiseul Business Forum en 2023, nous avons pu rencontrer le gouvernement du Bénin, via la Présidence et l’APIEx [Agence de promotion des investissements et des exportations, NDLR], qui se sont montrés très intéressés par la mobilité électrique et l’industrialisation. L’événement a aussi réuni des personnalités de premier plan, ce qui a renforcé notre visibilité et notre crédibilité.
Kemet Automotive a Conçu le Premier Tricycle Électrique Africain, le Gezo, qui Compte Déjà 10 000 Précommandes. Comment Expliquez-Vous cet Engouement Avant Même la Mise Sur le Marché ? Qui Sont Vos Clients ?
R. M. D. S. : Le tricycle est un mode de transport central au Nigéria, au Bénin ou en Afrique de l’Est. Le passage à l’électrique offre des avantages décisifs : près de 70 % d’économies sur les coûts d’exploitation, une identité industrielle africaine affirmée, et des prix compétitifs. Nos précommandes sont principalement issues de gestionnaires de flottes en Afrique de l’Ouest, centrale et orientale, notamment des plateformes numériques de mobilité.
« Nos clients sont principalement des gestionnaires de flottes en Afrique de l’Ouest, centrale et orientale, notamment des plateformes numériques de mobilité »




Votre Modèle Repose sur un Écosystème Complet : Design Local, Stations Solaires, Échange de Batteries. Est-ce que Kemet se Définit Comme un Constructeur Automobile ou Comme un Acteur Global de la Mobilité Durable ?
R. M. D. S. : Nous sommes avant tout constructeur, mais notre compétitivité repose sur l’intégration verticale et sur un écosystème local. Cela inclut la formation, avec nos partenariats universitaires pour créer les premiers designers automobiles africains ; l’énergie solaire, ressource encore largement sous-exploitée ; et enfin le « battery swapping » [batterie interchangeable, NDLR], qui fait gagner un temps considérable aux usagers.
« Comme les grands constructeurs mondiaux, nous bâtissons un écosystème complet afin de réduire coûts et délais »
Vous Avez Attiré des Investisseurs Prestigieux, Comme le Chanteur Burna Boy ou l’Organisation Repat Africa2. Qu’est-ce qui, Selon Vous, Séduit Aujourd’hui ces Profils Dans une Aventure Industrielle Africaine ?
R. M. D. S. : C’est d’abord la vision : démontrer qu’en Afrique, il est possible de mener des projets industriels ambitieux, de qualité internationale, et de nourrir une véritable fierté continentale. Ces investisseurs nous ont rejoints très tôt, alors que nous n’en étions encore qu’au stade des prototypes. Leur soutien nous a permis de financer les premiers développements et de recruter les meilleures compétences.
L’automobile est l’Un des Secteurs les Plus Compétitifs au Monde. Comment Kemet Peut-il Rivaliser avec des Groupes Comme BYD, Toyota ou Bajaj (motocyclettes) sur le Terrain Africain ?
R. M. D. S. : En misant sur nos atouts locaux. Là où les grands constructeurs conçoivent leurs modèles ailleurs, nous intégrons directement les réalités africaines : routes, climat, usages. Cela fait toute la différence. Nous bénéficions aussi d’un atout symbolique puissant : l’image de marque et la fierté continentale. Enfin, grâce à l’intégration locale, nous restons compétitifs sur les prix. Pertinence fonctionnelle, branding et compétitivité : voilà notre force.
« Là où les grands constructeurs conçoivent leurs modèles ailleurs, nous intégrons directement les réalités africaines : routes, climat, usages. Cela fait toute la différence »
Vous Annoncez 70 % d’Économie sur les Coûts d’Exploitation et une Réduction de 2,5 Tonnes de CO₂ par Véhicule/an. Quels Retours des Gestionnaires de Flottes ?
R. M. D. S. : La commercialisation n’a pas encore commencé, mais les prototypes testés parlent d’eux-mêmes. Aujourd’hui, un conducteur de tricycle thermique fait deux vidanges par mois, doit remplacer régulièrement l’embrayage et d’autres pièces très sollicitées. Nos modèles, grâce à leur conception électrique, éliminent une grande partie de ces coûts et contraintes. Nous avons renforcé le châssis pour plus de robustesse, et intégré des technologies IoT permettant une maintenance prédictive. Pour le conducteur, c’est un véritable changement de paradigme : au-delà du marketing, la rentabilité quotidienne est réelle.

Vous avez Signé des Partenariats Stratégiques avec Dassault Systèmes et Nvidia pour le Jumeau Numérique et l’IA. En Quoi ces Collaborations Changent-Elles la Donne Pour une Start-up Africaine ?
R. M. D. S. : C’est une avancée majeure. Ces outils nous permettent de simuler la conception, la fabrication et même l’organisation de nos futures usines dans des conditions proches du réel. Résultat : un gain considérable de temps et de coûts, dans un secteur hautement capitalistique. Nous formons également des étudiants à ces technologies dans nos écoles partenaires, afin de poser les bases d’une industrie moderne et compétitive. Alors que beaucoup d’usines en Afrique de l’Ouest fonctionnent encore avec des process des années 1990, nous intégrons dès le départ l’IA, le jumeau numérique et la robotique.
« Alors que beaucoup d’usines en Afrique de l’Ouest fonctionnent encore avec des process des années 1990, nous intégrons dès le départ l’IA »
Vous avez aussi Lancé le Premier Programme de Design Automobile en Afrique Francophone, avec Africa Design School. Est-ce une Façon de Créer une Nouvelle Génération de Talents et d’Ancrer une Filière Industrielle Locale ?
R. M. D. S. : Absolument. Une industrie compétitive repose sur ses propres talents, ressources et technologies. Le design automobile est le point de départ ; or il est encore peu développé en Afrique. Former des designers localement, c’est à la fois créer de l’emploi, renforcer les compétences et réduire les coûts. C’est exactement ce qu’ont fait d’autres puissances industrielles avant nous, comme la Chine.
« Former des designers localement, c’est à la fois créer de l’emploi, renforcer les compétences et réduire les coûts »
Le Marché de la Mobilité Africaine est Estimé à Plus de 10 Milliards de Dollars d’ici 2030. Quel Rôle Souhaitez-vous que Kemet Occupe dans Cette Transformation et Quel est Votre Rêve à Dix ans ?
R. M. D. S. : Nous voulons être un acteur central de cette transformation. Notre objectif est qu’une part significative de ce marché bénéficie directement à l’industrie locale, à l’instar des dynamiques de réindustrialisation en Europe ou aux États-Unis. Nous formons déjà des talents, développons des technologies et construisons de véritables véhicules made in Africa. À dix ans, notre ambition est claire : faire de Kemet un fleuron industriel africain, compétitif au niveau international, capable de générer de la valeur, des emplois et de la fierté sur le continent.
« Notre ambition est claire : faire de Kemet un fleuron industriel africain, compétitif au niveau international, capable de générer de la valeur, des emplois et de la fierté sur le continent »
1. Chanteuse, compositrice, entrepreneuse et ingénieure nigériane, Nissi Ogulu a remporté le prix Youth Icon Award au sommet des femmes de Forbes 2025 en Afrique du Sud. Elle est la sœur cadette de Burna Boy.
2. Organisation dédiée à favoriser et concrétiser les investissements et les migrations vers l’Afrique, qui œuvre au développement entrepreneurial et économique du continent.
