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À la rencontre de Stéphanie Adjoua Koffi, « spice-trotteuse »

Fondatrice de La Fine Sélection d’Adjoua, une épicerie sélecte d’Abidjan, Stéphanie Adjoua Koffi s’est donnée pour objectif de valoriser les ressources agricoles africaines, tout en jouant la carte de l’excellence. Forbes Afrique est parti à sa rencontre.  

Par Harley McKenson-Kenguéléwa

La passion qui anime Stéphanie Adjoua Koffi lorsqu’elle parle de son métier- la quête permanente des meilleures épices et saveurs d’Afrique- saute aux yeux. Et de fait, entre le poivre Lady Melzah, la tisane Akantea, le thé des savanes Lippia Multiflora, le  miel Holy Bzzz ou encore la gamme cosmétique Mlle Adjoua, les étalages de son épicerie La Fine Sélection d’Adjoua– créée en 2019 et située dans le quartier de Riviera Faya, à Abidjan- témoignent de ce vrai coup de cœur.  

Une passion pour l’excellence qui s’est vue couronner, en 2019, d’une médaille d’argent au concours des Épicures de l’épicerie fine  et du second Prix de l’innovation SAGASDOM- Francophonie ; deux distinctions décernées à Paris, capitale mondiale de la gastronomie. Une consécration suprême pour la cheffe d’entreprise ivoirienne, attachée à la mise en valeur du savoir-faire local. 

Celle que les intimes appellent Phany peut s’enorgueillir d’avoir des chefs et restaurateurs renommés dans sa liste de prestigieux clients prisant ses condiments haut de gamme. Et de citer, pêle-mêle « l’ancien Chef Guillaume Gomez du Palais de l’Élysée, le Chef Exécutif & directeur des arts culinaires Chef Eric Briffard, l’ex-Chef de Pullman Abidjan Loic Dable, la Cheffe Anto ou encore la Cheffe Prisca Gilbert … ». Notre interlocutrice s’empresse alors de saisir l’occasion pour prodiguer des conseils aux gourmets les plus exigeants :  « Le poivre de Tipadipa se marie très bien avec du poulet braisé et des grillades de viande rouge et de poisson [ … ]. Je recommande de l’incorporer à l’issue de la cuisson, afin de faire ressortir tous les arômes [ … ]. Recelant des notes de muscade, ce poivre peut être utilisé pour assaisonner des huîtres ou des salades de fruits ! », s’enthousiame Stéphanie Adjoua Koffi. 

Un parcours atypique 

Le CV de Stéphanie Adjoua Koffi ne prédisposait pourtant en rien la cheffe d’entreprise à devenir un jour une puriste d’épices. Tout au long de ses années de lycée, la jeune femme fréquente les bancs du CSP de Cocody, puis s’installe en France aux seules fins d’y poursuivre ses études pour obtenir beaucoup plus tard un DSCG (Diplôme Supérieur de Comptabilité et de Gestion) à l’INTEC à Paris en 2015. Elle exerce entre-temps les fonctions tranquilles d’assistante comptable au sein de divers cabinets, il est vrai, sans grande conviction, avant d’embrayer sur une année complète en tant qu’assistante de gestion à l’APASEA (Comité d’Entreprise des cabinets d’experts en Automobiles de France). Attirée davantage par la pratique des affaires sur le terrain que la manipulation de chiffres dans un bureau, elle décide alors de s’inscrire au campus du MBA ESG, une école de commerce toujours basée au sein de la capitale française, où elle apprend de manière “boulimique” le management, le marketing stratégique et la conduite du changement. 

Une fois son MBA (Master of Business Administration) en poche, Stéphanie Adjoua Koffi est aux tous premiers balbutiements de son aventure entrepreneuriale, en cofondant en Juin 2017 “l’Atelier des Pros du Naturel” , une société de production d’huile et de beurres végétaux 100% naturel. Cette idée de business lui rapporte juste de quoi vivoter. Mais parallèlement, un échange de conversation avec Mélanie Zahui bouscule son projet de carrière. Cette cultivatrice issue de Tipadipa, un village situé à proximité de Gagnoa au centre-ouest de la Côte d’Ivoire, lui fait découvrir un poivre noir aux potentialités encore sous-exploitées. De cet échange, naît une étroite collaboration entre les intéressées, avec une répartition claire des tâches et des responsabilités qui incombe à l’une et à l’autre, à savoir les opérations de récolte, lavage, ébouillantage et séchage du poivre de Tipadipa pour Mélanie Zahui ; la réalisation des objectifs de qualité, de conditionnement et commercialisation pour Stéphanie. Par reconnaissance envers  Mélanie Zahui, Stéphanie baptise son  poivre “Patience” de Tipadipa de Lady Melzah” (acronyme de Mélanie Zahui).

Cette offre de poivre haut de gamme a eu l’occasion de s’affirmer auprès d’une clientèle avertie, à l’instar de “Afrique Eat”, “BMK” ou Maison Grassi. Désormais, cette chasseuse de produits d’exception — comme elle aime se décrire — parcourt toute la Côte d’Ivoire plusieurs mois par an, à la recherche des meilleures épices des producteurs indépendants. «  [ … ] Nous avons déniché récemment une nouvelle pépite, le poivre de Baffia, cultivé dans la région d’Aboisso au Sud-Est de la Côte d’Ivoire. Une véritable explosion de saveurs ! » ajoute-t-elle.  

Stéphanie Adjoua Koffi avoue trouver la tâche consistant à jongler avec les chiffres relatifs à ses activités très fastidieuse, estimant que cette responsabilité incombe exclusivement à la personne en charge de la comptabilité et préférant, au contraire, se consacrer au management appréhendé dans sa globalité. Toutefois, elle se prête volontiers au jeu des estimations les plus réalistes au sujet des poivres de Tipadipa et Baffia: « Nous avons réussi à écouler environ 1750 pots de poivre en France, lors de salons internationaux dédiés à l’agroalimentaire et l’épicerie fine  au cours de l’exercice 2019. Contexte de crise lié à la pandémie de Covid-19 oblige, le nombre de pots concernant ces poivres haut de gamme vendus ne s’est élevé qu’à 382 en 2020, en Côte d’Ivoire. Toutefois, nous sommes parvenus à remonter la pente en 2021, avec 755 pots de poivre qui ont trouvé preneurs, toujours au pays ».

Un impact social évident  

D’une manière générale, la réalité de l’exploitation et de la commercialisation des épices se révèle souvent plus complexe qu’escompté. Dans un contexte de structuration des filières alimentaires et agroalimentaires ivoiriennes, se pose clairement la question de la répartition de la plus-value dans la chaîne de valeur agricole. L’offre locale de poivre — malgré ses 180 tonnes annuelles en moyenne ces toutes dernières années, si l’on en croit les statistiques de la FAO- ne parvient pas à satisfaire totalement la demande des consommateurs. Une aubaine pour les exploitants agricoles qui seraient tentés d’accroître leur production et, de ce fait, augmenter leurs revenus. Or, malheureusement, le niveau d’intégration avec les circuits nationaux de distribution n’est pas optimal et les agriculteurs, potentiels garants de la souveraineté alimentaire à laquelle aspire grandement la Côte d’Ivoire, ne bénéficient pas d’une bien meilleure rémunération.  

Stéphanie Adjoua Koffi, qui a l’habitude de se rendre au village de Baffia, met un point d’honneur à prendre à bras-le-corps cette question centrale, de telle sorte que les producteurs à petite échelle, avec qui elle collabore, puissent profiter pleinement des fruits de leur labeur, pérenniser leur activité et donc sauvegarder les emplois directs et indirects :  

« Nous achetons aux producteurs locaux leur poivre dans une fourchette comprise entre 5000 et 25000 francs CFA (7,6 et 38 euros) le kilo, soit un montant deux à trois fois supérieur à celui pratiqué sur le marché. Il est important de bien les rémunérer ». 

Ben Affro, un exploitant agricole qui a signé un contrat d’exclusivité avec la cheffe d’entreprise pour la transformation et la distribution de poivre issu du village de Baffia, prend le relais : 

« [ … ]Nous misons sur l’expertise marketing et commerciale de Stéphanie pour promouvoir efficacement nos produits du terroir, afin qu’elle puisse les amener le plus loin possible jusque dans les circuits de grande consommation ». 

Autre signe de la profonde implication de Stéphanie Koffi : sa présence au sein d’un comité, aux côtés de représentants du Ministère ivoirien de l’Agriculture & du Développement Rural, du FIRCA (Fonds Interprofessionnel pour la Recherche et le Conseil Agricoles), du CNRA (Centre national de recherche agronomique), de l’ESA (École Supérieure d’Agronomie) et d’agriculteurs, dans le cadre d’un atelier de réflexion qui s’est tenu début Février 2022 à Grand-Bassam, visant à développer des pistes de réflexion afin d’améliorer les perspectives économiques de la filière poivre en Côte d’Ivoire. 

Quoi qu’il en soit, les débouchés commerciaux du poivre, qu’il s’agisse de marques haut de gamme ou bon marché, sont réels, le goût des consommateurs ivoiriens pour ce produit paraissant s’inscrire dans une tendance de fond plutôt que dans un phénomène de mode. Un constat qui fait écho aux déclarations prononcées par Issam Fakhry, directeur d’exploitation du groupe Prosuma qui détient plusieurs supermarchés abidjanais : 

« [ … ] Notre engagement en faveur de la promotion des produits locaux, en l’occurrence ceux émanant des artisans et des petits exploitants qui font de la qualité leur principal critère, représente en quelque sorte notre “ADN”. Notre choix de travailler avec Stéphanie Adjoua Koffi a été motivé par le fait que les produits qu’elle commercialise proviennent en effet de nos terroirs et sont de grande qualité, avec en prime un design de packaging dédié à l’épicerie fine, digne des grandes marques internationales [ … ]. Les poivres de Stéphanie se vendent très bien. Il y a très peu de ruptures de stock ; les commandes sont livrées en fonction de nos sorties. Au début de notre partenariat, le chiffre d’affaires lié aux ventes de sa gamme de poivre dans l’un de nos supermarchés ne s’élevait qu’à 1 million de francs CFA, pour ensuite voir soudainement son montant tripler au cours des années suivantes, ce qui laisse entrevoir des perspectives très prometteuses dans un avenir proche » .  

Volonté d’expansion 

Au départ axé sur la recherche de poivres et épices d’exception, “La Fine Sélection d’Adjoua” s’est désormais ouverte à d’autres saveurs telles que les noix de cajous “poivrés”, les “Chouchoucajous gingembre” (noix de cajou caramélisées au gingembre), les “Chouchoucahuètes gingembre” (arachides caramélisées au gingembre), les “Chouchoucahuètes au sel et les chips “Kankankan”, destinées à la grande distribution. « Rien que l’année dernière, nous avons vendu à peu près de 1 300 boîtes de saveurs “cajous” et 800 boîtes de gourmandises à base d’arachide », dévoile Stéphanie Adjoua Koffi qui envisage par ailleurs de « commercialiser d’ici peu de la poudre de crevettes et de poisson séchés, ainsi que de la poudre de gnangnan »

L’affaire, qui emploie six collaborateurs — dont un coordinateur des opérations, une chargée de développement commercial et une cheffe de production — travaille actuellement en partenariat avec une dizaine d’exploitants agricoles, ayant comme spécialité la production de poivre, de miel et de tisane, qui sont répartis dans les villes d’Aboisso, Azaguié, Bouaké, Gagnoa, Nassian, Toumodi et Yamoussokro. La patronne de la société, qui reste très investie dans la promotion du poivre, caresse l’idée de pouvoir fournir un jour l’ensemble des meilleurs restaurants d’Abidjan et les enseignes de grande distribution les plus fréquentées au sein de la capitale économique ivoirienne, en s’érigeant à la fois en négociante et logisticienne. Mais elle sait pertinemment qu’il y a encore du chemin à faire pour atteindre ses objectifs, malgré le fait que son entreprise recèle d’importants potentiels. 

Capitaliser sur les produits du terroir n’est pas suffisant. Il va sans dire que l’avenir de la filière poivre passera aussi par la crédibilité de “La Fine Sélection d’Adjoua”. Une éventuelle démarche de labellisation viendrait renforcer à coup sûr la légitimité de l’immense variété de produits agricoles souvent méconnus. « Je n’hésite pas à mentionner sur les étiquettes de mes pots de poivre en provenance de Tipadipa et Baffia, l’expression “Grand Cru”, une appellation qui est généralement utilisée dans le champ lexical de la viniculture ; c’est une manière pour moi de magnifier ces trésors culinaires. Mais dans la perspective d’une future stratégie commerciale visant à conquérir d’importantes parts de marché en Europe, j’entamerai bien entendu des démarches pour obtenir le label “Appellation d’Origine Contrôlée” (AOC), ce qui me permettra de limiter les pratiques abusives de concurrents peu scrupuleux liées aux contrefaçons et exporter mes poivres à un prix plus ou moins élevé qu’aujourd’hui », conclut Stéphanie Adjoua Koffi. 

© Samuel Trazie

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