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Ange Kacou Diagou, New Digital Africa

L’adoption, en Afrique, de réseaux d’accès internet hybrides (câble sous-marin et satellite) pourrait permettre de faire face aux incidents sur la fibre optique tel celui du 14 mars dernier, qui a touché une partie du continent. C’est en tout cas l’avis d’Ange Kacou Diagou, à la tête depuis 2020 du groupe africain New Digital Africa (NDA), spécialisé dans les technologies de l’information et de la communication.

Par Goudet ABALÉ


Le 14 mars 2024, un incident d’une ampleur inédite a mis en lumière la vulnérabilité de la connectivité africaine. Des vibrations du fond marin ont en effet provoqué la rupture de plusieurs câbles de fibre optique – MainOne, le West Africa Cable System (WACS), l’Africa Coast to Europe (ACE), et SAT-3 –, affectant l’accès à Internet dans une douzaine de pays, dont le Nigéria, l’Afrique du Sud ou encore le Burkina Faso et le Bénin. Mais de tous, c’est la Côte d’Ivoire qui fut le plus durement touché, avec un taux de capacité disponible évalué, le jour de l’incident, à 4 %, contre 83 % au Nigéria, selon l’organisation de surveillance Netblocks.

« La clé pour une connectivité fiable réside dans l’hybridation intelligente des technologies »


La Fibre Optique : Incontournable, Mais Vulnérable

C’est justement de la Côte d’Ivoire qu’est originaire Ange Kacou Diagou, fondateur de New Digital Africa (NDA), l’un des rares fournisseurs de services et d’infrastructures numériques (data centers, télécoms, cloud et cybersécurité) 100 % africain. Selon lui, l’incident du 14 mars souligne un constat éloquent : si la fibre optique demeure incontournable, ses limites se font de plus en plus sentir. Pour rappel, cette technologie, composée de fils de verre ou de plastique aussi fins que des cheveux humains, permet la transmission de données – jusqu’à 100 térabits par seconde (Tbps) pour une seule fibre – sous forme de signaux lumineux. Ces caractéristiques techniques avantageuses l’ont érigée en référence du secteur au cours de la dernière décennie, au point où près de 99 % du trafic mondial Internet transite sur plus de 400 lignes sous-marines selon The Conversation. « Cette concentration géographique des câbles, notamment au niveau de leur point d’atterrissement, rend nos réseaux vulnérables aux mêmes dégâts physiques et environnementaux : usure, corrosion, séismes, comme on a pu l’expérimenter, ou rupture due à une ancre de navires, et même à un filet de pêche ! », alerte Kacou Diagou, qui rappelle que la plupart des opérateurs de Côte d’Ivoire (Orange Côte d’Ivoire, MTN et Moov) utilisent souvent les mêmes circuits. « C’est la raison pour laquelle sur trois opérateurs, le seul qui a pu assurer une continuité de service à ses utilisateurs est celui qui n’était pas connecté aux mêmes câbles que les autres – MainOne, WACS et ACE – mais adossé à West Africa (Maroc Telecom) ». Long de 8 600 kilomètres avec une capacité de 20-40 Tbps, ce dernier relie le Maroc à la Côte d’Ivoire, au Togo, au Bénin, au Gabon et à la Mauritanie via sept points (Casablanca, Dakhla, Abidjan, Lomé, Cotonou, Libreville et Nouadhibou). Il a servi de bouée de sauvetage à MTN et Orange, dont les câbles principaux sont en phase de réparation pouvant durer jusqu’à 5 semaines ! De plus, un tel événement s’était déjà produit en 2018, lorsque le câble African Coast to Europe (ACE) avait été sectionné devant Nouakchott, en Mauritanie, causant d’importantes perturbations des services Internet dans une demi-douzaine de pays africains. Ce fut aussi le cas en 2020, au niveau de l’Afrique centrale, avec le WACS cette fois. Face à ce qui semble être une épée de Damoclès pesant sur les réseaux africains, les services satellitaires sont, pour le PDG de NDA, la solution à adopter pour une connectivité durable et exempte d’interruption.


Un Nouvel Élan Du Satellite : Les Constellations En Orbite Terrestre Basse (LEO)

Autrefois en vogue, le satellite retrouve – depuis quelques années – son attractivité, grâce à l’émergence de constellations en orbite terrestre basse (LEO) qui « se déplacent rapidement autour de la Terre, permettant une latence réduite et une transmission de données plus rapide, contrairement aux satellites géostationnaires traditionnels, qui orbitent à des altitudes beaucoup plus élevées », explique Kacou Diagou. Avec cette architecture dynamique, les services LEO sont capables d’offrir une couverture mondiale, y compris dans les régions les plus reculées. Car c’est là l’une des principales difficultés auxquelles sont confrontés les pays africains en matière de connectivité. Le déploiement de la fibre nécessite des investissements considérables en infrastructures physiques, en planification et en capital humain. Au point qu’en 2023, le rapport de la Commission sur le haut débit des Nations Unies « The State of Broadband 2023 : Digital Connectivity, A Transformative Opportunity » rapportait que si plus d’un million de kilomètres de fibre terrestre relient les populations africaines entre elles et au reste du monde, à partir de plus d’une vingtaine de systèmes sous-marins, seulement 25 % des habitants du continent vivaient à moins de 10 kilomètres d’un réseau de fibre optique. Certains pays, comme la Mauritanie, la Guinée, le Liberia, la Sierra Leone, la Gambie ou encore la Guinée Bissau, ne sont connectés qu’à un seul système sous marin de fibre optique, tandis que d’autres, plus enclavés, dépendent des liaisons terrestres des pays voisins. C’est notamment le cas du Mali, du Niger, du Burkina Faso, du Tchad, ou encore de la Centrafrique. Au contraire, les solutions satellitaires proposées par des acteurs tels que Dataconnect (NDA), Lynk Global, AST SpaceMobile, OneWeb Eutelsat ou encore Al Yah Satellite Communications Company (YahSat), offrent un déploiement rapide – en quelques heures, peu importe la zone (1). « Aujourd’hui, vous avez des technologies, les satellites LEO à basse orbite, qui en termes de vitesse, rivalisent avec la fibre optique », fait observer Kacou Diagou, ajoutant que le satellite offre un taux de disponibilité de 99,85 %. Une performance qui séduit de plus en plus d’abonnés – à l’instar de Richard Kue, jeune Camerounais à l’origine d’une start-up dans le domaine des paiements transfrontaliers, REasy, convaincu par les prouesses du satellite : «Franchement, c’est l’avenir. On a installé une connexion Starlink dans nos bureaux de Douala. 300 Tbps, plus aucune latence, le résultat est incroyable ! ». De fait, même les opérateurs « traditionnels » s’intéressent à cette révolution : MTN a ainsi noué un partenariat avec Omnispace quelques jours après l’incident, tandis qu’Orange a signé, il y a un an déjà, un accord de distribution avec OneWeb.

« Seulement 25 % des habitants du continent vivent à moins de 10 kilomètres d’un réseau de fibre optique »


La Fibre N’a Pas Dit Son Dernier Mot

Malgré les incidents mentionnés et le succès croissant du satellite, la fibre demeure l’un des éléments clés de la connectivité africaine. Une situation qui devrait se renforcer dans les prochains mois, avec le déploiement de plusieurs réseaux majeurs tels que Djoliba, Equiano et 2Africa. Opéré par Orange, Djoliba constitue le premier réseau de fibre optique transfrontalier d’Afrique de l’Ouest, connectant 16 villes dans 8 pays de la sous-région, sur plus de 10 000 kilomètres de fibre terrestre et sous-marine, sans mobiliser des systèmes hors continent. À l’initiative de Google, Equiano reliera, quant à lui, le Portugal à la côte ouest africaine (Nigéria, Namibie, Afrique du Sud) en utilisant la technologie de commutation optique, qui permet d’augmenter la capacité de transmission des câbles par rapport aux systèmes traditionnels, tout en réduisant les coûts associés. Enfin, 2Africa, peut-être le projet le plus ambitieux, avec 45 000 kilomètres de long (Afrique – Moyen-Orient – Europe), est soutenu par un consortium comprenant Meta, China Mobile International, MTN GlobalConnect, ou encore Orange.


Pour Une Hybridation Intelligente Des Technologies

Ces projets sont stratégiques et devraient contribuer à renforcer la diversité, la résilience et la qualité des points de connexion du continent. Ce qui permettra de rendre Internet plus accessible et disponible pour les populations. D’autant qu’en Afrique, le coût d’acquisition d’un équipement satellitaire pour les usagers (environ 50 dollars par mois, en termes d’abonnement) tout comme le coût de lancement d’un satellite pour les États (environ 300 millions de dollars par satellite envoyé) demeurent élevés, voire prohibitifs. Pour le jeune consommateur ivoirien qu’est Mubarak Yakubu, le satellite est utile pour les entreprises, mais en ce qui concerne les particuliers, les tarifs sont encore trop élevés : « En moyenne, je paie 10 000 francs CFA [environ 15,20 euros, NDLR] par mois pour 15 Go. Je ne peux pas payer 33 000 [environ 50 euros, NDLR], même si la connexion est “illimitée” ! » Difficile de ne s’appuyer que sur le satellite pour un usage grand public, donc : « C’est intéressant pour des enjeux professionnels, mais à titre personnel, je n’y vois pas encore d’intérêt ! ». Un constat qui amène Ange Kacou Diagou à conclure sur la nécessité de mobiliser l’ensemble des technologies à disposition de manière complémentaire, et non exclusive. « La clé pour une connectivité fiable réside dans l’hybridation intelligente des technologies : en combinant les avantages des câbles à fibre optique, des solutions satellitaires telles que le vSAT et le D2D, et en utilisant des outils de commutation comme les SD-WAN(2), les usagers peuvent bénéficier de réseaux robustes, capables de répondre à leurs besoins, où qu’ils se trouvent ». Encore faut-il qu’ils en aient les moyens… Mais au vu des récents progrès en termes d’accessibilité, il semble que ce ne soit plus qu’une question de temps.


(1)	Une prouesse rendue possible par l’approche Direct to Device (D2D), qui permet aux utilisateurs de se connecter aux satellites sans avoir besoin d’infrastructures terrestres intermédiaires telles que des stations terriennes ou des relais au sol – à la différence du vSAT (Very Small Aperture Terminal), qui utilise une antenne parabolique fixe pour communiquer avec un satellite géostationnaire.

(2) Le SD-WAN (Software-Defined Wide Area Network) est une technologie de réseau informatique qui simplifie la gestion et l’optimisation des réseaux étendus (WAN) en utilisant des logiciels pour contrôler le routage des données. Contrairement aux réseaux WAN traditionnels, où la configuration et la gestion des équipements se font manuellement, le SD-WAN automatise ces processus, ce qui permet une plus grande flexibilité, une meilleure utilisation des ressources et une réduction des coûts. Cette technologie permet également d’optimiser la performance des applications en choisissant automatiquement le chemin le plus efficace pour le trafic en fonction des conditions du réseau.

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