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Anvers, capitale mondiale du joyau éternel 

Avec un total de 37,23 milliards de dollars d’importations et d’exportations en 2021, Anvers occupe une place prépondérante dans l’industrie du diamant. Une position de monopole qui se heurte toutefois à une concurrence de plus en plus féroce au niveau international, particulièrement à l’heure où la crise ukrainienne pourrait rebattre les cartes. Reportage.

Par Szymon Jagiello

Il suffit de faire quelques pas dans le One Square Mile — surnom octroyé au quartier des diamantaires —, pour qu’une immense affiche nous annonce la couleur. À la gauche d’une femme ornée de pierres précieuses, une signature au jeu de mots anglophones subtils apparaît : « It’s in our DnA, Diamonds & Antwerp. » Histoire de bien informer les piétons qu’ici, les diamants sont rois, mais ne brillent pas pour autant de la même manière pour tous. Ainsi, explique amèrement Simon, patron de Simon’s Jewelery comptabilisant plus de vingt-cinq ans d’expérience dans le domaine, « le volume des clients fréquentant le secteur a chuté de 50 % au cours des cinq à dix dernières années, et ceux qui viennent ne dépensent plus qu’entre 600 et 800 euros pour acheter des bijoux, au lieu de 2 000 à 3 000 euros auparavant ».

Un fléchissement des activités — souligne quelques pas plus loin un autre joaillier qui a souhaité rester anonyme et dont le chiffre d’affaires a baissé de 30 % ces trois dernières années, imputable au fait que « les personnes en général organisent moins de fêtes comme les mariages, et [que] la situation internationale créée par la pandémie de Covid-19, ainsi que l’augmentation des prix de l’énergie due à la guerre en Ukraine n’ont pas arrangé les choses. » Autant d’éléments expliquant que « des biens de moindre qualité [soient] exposés dans les vitrines des commerces alentours », comme l’évoque Simon. 

Les carats se négocient à l’abri des regards

On est donc bien loin de l’époque où de beaux diamants se déversaient sur les tables du café Flora à la fin du siècle passé, et où la découverte des mines sud-africaines avait stimulé le commerce du diamant dans cette ville. Aujourd’hui, les carats se négocient, se taillent et se vendent à prix d’or à l’abri des regards, derrière les gros murs grisâtres de la Beurs Voor Diamanthandel (Bourse du diamant), par exemple, à raison de volumes qui ont de quoi faire tourner la tête.  
Ainsi, en 2021, plus de 204,6 millions de carats ont été marchandés ; Anvers représentait plus de 86 % de l’ensemble des diamants bruts et 50 % des diamants taillés. Des transactions pharaoniques menées dans un quartier d’un kilomètre carré à peine, composé de cinq rues qui ont permis aux diamants de peser 5 % du total des exportations belges. Cette situation de carrefour majeur pour les joyaux s’explique par « un positionnement central en Europe, un climat des affaires propice au commerce des diamants, et l’utilisation d’une technologie de pointe sans égale dans la taille de précision », précise fièrement un diamantaire sous couvert d’anonymat. 

Coté africain, en 2019, la cité portuaire a importé en tout plus de 8 millions de carats de pierres polies et brutes — pour un montant avoisinant 970 millions d’euros — issues d’Afrique du Sud et du Botswana, pays qui se hissent dans le Top 10 des destinations d’importation, selon l’International Peace Information Service (IPIS) basé à Anvers. Mieux : le troisième plus gros diamant de l’histoire, d’une valeur estimée à 1  175 carats et plusieurs dizaines de millions de dollars, est arrivé ici cet été du « Pays des Tswanas », considéré comme le second producteur mondial de diamants avec plus de 22,88 millions de carats extraits de ses mines, d’après les chiffres avancés par Statista. Des montants certes importants, mais qui, apparemment, tendent à diminuer. 

Des échanges qui tendent à diminuer avec l’Afrique

Ainsi, explique le docteur M’Zée Fula Ngenge, président du Conseil africain du diamant, « lorsqu’on se réfère aux diamants africains destinés et commercialisés dans le quartier des diamantaires d’Anvers, on constate que les chiffres sont nettement inférieurs à ce qu’ils étaient il y a dix ans. Alors que la disponibilité et les prix des produits africains sont globalement en hausse, il y a une baisse notable du brut et du taillé africains dans cette métropole. » Pourtant, ajoute le responsable angolais, « dans le passé, Africains et Juifs ont travaillé main dans la main avec succès pour construire et préserver le dynamisme du centre anversois du diamant, mais les frustrations provoquées par une interface d’acheteur et fournisseur croissante et introvertie finissent souvent par entraîner des réticences défavorables. » 

Une mutation des relations visible à l’œil nu en battant le pavé de ce minuscule quartier où de nombreux écriteaux traduisent l’apparition d’acteurs venus d’ailleurs, comme l’Inde. Ce qui suscite une question : les jours d’Anvers en tant que capitale mondiale du diamant sont-ils comptés ? Peut-être… notamment si l’on s’en réfère à la sérieuse concurrence issue des Émirats arabes unis qui tentent bel et bien de se tailler une place de choix sur le marché juteux des joyaux, en proposant des modalités sur lesquelles peu de pays peuvent s’aligner. Comme l’écrit le chercheur belge Hans Market, « Dubaï attire les entreprises vers le Dubai Multi Commodities Centre (DMCC) créée en 2002 avec des conditions qu’Anvers ne peut pas offrir et n’offrira jamais, comme un congé fiscal de cinquante ans, une surveillance gouvernementale limitée, la possibilité de l’ouverture d’un bureau en moins de cinq jours et une exonération du loyer du bureau les six premiers mois. » Résultat : la cité émiratie a exporté pour plus de 12,96 milliards dollars de diamants bruts en 2021, détrônant au passage la ville flamande qui, elle, n’a exporté que l’équivalent de 11,12 milliards de dollars durant la même période. Une perte de monopole qui pourrait s’accentuer si les sanctions européennes contre la Russie devaient comprendre l’importation de diamants, dont Moscou est le premier producteur à l’échelle de la planète. Un embargo de ce type signerait certes la fin d’Anvers, mais créerait « de nombreuses opportunités pour les nations africaines productrices de diamants d’accroître leur influence au niveau mondial », conclut M’Zée Fula Ngenge.

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