En misant sur l’alliance entre tradition et modernité, le PDG de LVMH Bernard Arnault a forgé le plus grand empire du luxe au monde et a amassé une fortune de plus de 100 milliards de dollars. Et il est prêt à viser encore plus haut.
En septembre dernier, Sheron Barber est venu tout droit de Los Angeles pour découvrir l’édifice monumental de la place Vendôme, à Paris, qui accueille la nouvelle adresse de Louis Vuitton. En pleine Fashion Week parisienne, il est aussi là pour rendre hommage à un homme qu’il admire, Bernard Arnault, patron du géant du luxe LVMH. Le créateur de 38 ans arbore un look impressionnant. Cheveux fuchsia et jaunes coupés ras, sur lesquels se détache le signe du dollar peint au pochoir, dents dissimulées derrière une gouttière décorative vert émeraude et cou habillé d’une chaîne en inox ornée de multiples cadenas Vuitton. « J’ai dépensé des centaines de milliers de dollars chez Louis Vuitton l’an dernier », révèle l’artiste, qui détourne les articles de luxe pour personnaliser les looks de musiciens comme le groupe Migos et le rappeur Post Malone. Dans sa dernière vidéo, Saint-Tropez, Post Malone porte un plastron que Sheron Barber a confectionné à partir des pièces d’un sac Vuitton et de chutes de cuir noir. Pour le styliste, Bernard Arnault « a défini à lui seul les codes du luxe moderne ».
« C’est une maison d’une singularité remarquable, commente le PDG de LVMH à propos de l’édifice de la place Vendôme […]. Tout l’univers de la marque y est réuni. » Inauguré il y a deux ans, le lieu est à mi-chemin entre un musée et un club privé. Toute une gamme d’articles Louis Vuitton est disposée dans les vitrines rutilantes et sur les étagères disposées avec raffinement. L’escalier de marbre et ses balustrades en verre mènent à un atelier privé au quatrième niveau, où six couturières façonnent des robes sur mesure pour des célébrités telles que Lady Gaga ou Emma Stone. « Je me suis beaucoup investi dans la conception des lieux », précise l’homme d’affaires.
Ce patron méticuleux suit de près les performances de ses marques phares, notamment Louis Vuitton, la poule aux œufs d’or du conglomérat, qui a généré près d’un quart du chiffre d’affaires 2018 de LVMH (54 milliards de dollars) et jusqu’à 47 % des profits du groupe, selon les analystes. (LVMH publie les résultats généraux de ses cinq principales divisions, mais ne communique pas les performances de ses marques.) Les collections de sacs, de vêtements et d’accessoires de la maison Vuitton, jamais soldées ni vendues en gros, se réinventent sans cesse entre tradition et modernité, à l’image de l’édition limitée du sac Capucines (8 600 dollars) en cuir turquoise, rehaussé d’un patchwork de formes imaginé par l’artiste de 29 ans Tschabalala Self, originaire de Harlem. L’Américain Virgil Abloh, 39 ans, nouveau directeur artistique des collections homme de Vuitton, a fait sensation début 2019 avec un sac phosphorescent intégrant une technologie de fibre optique qui éclaire la toile Monogram aux couleurs de l’arc-en- ciel. « Qu’est-ce qui fait le succès de marques telles que Louis Vuitton et Dior ? interroge Bernard Arnault. Elles réunissent deux caractéristiques a priori contradictoires : l’intemporalité et une extraordinaire modernité. Elles sont comme le feu et l’eau. »
Ce paradoxe vaut à LVMH, et à son portefeuille de plus de 70 marques, dont Fendi, Bulgari, Dom Pérignon et Givenchy, de générer des ventes et des bénéfices record. Qui à leur tour tirent vers le haut le prix de l’action LVMH, lequel a presque triplé en moins de quatre ans. Bernard Arnault, dont la holding familiale détient 47 % du groupe, possède une fortune évaluée à 102 milliards de dollars, soit 68 milliards de plus qu’en 2016. Il est la troisième fortune mondiale, derrière Jeff Bezos (110 milliards de dollars) et Bill Gates (106 milliards).
Mais l’appétit de l’homme d’affaires de 70 ans est loin d’être satisfait. Fin octobre dernier, LVMH a présenté une offre non sollicitée de 14,5 milliards de dollars au joaillier américain Tiffany, fondé il y a cent quatre-vingt-deux ans. Avec cette acquisition, actée en novembre, Bernard Arnault a signé un nouveau record. « Microsoft est un géant en comparaison, commente le PDG. Avec une capitalisation boursière de 214 milliards de dollars, LVMH, est à la traîne derrière le mastodonte de l’informatique (1100 milliards de dollars de capitalisation). Mais nous n’en sommes qu’aux débuts.»
DES AMBITIONS INTERNATIONALES
Bernard Arnault est né dans le nord de la France, dans un bassin industriel aux antipodes de l’empire du luxe qu’il dirige aujourd’hui. Il est passionné de piano, mais son talent ne suffira pas à faire de lui un concertiste. Qu’importe, en 1971, diplômé de Polytechnique, il rejoint son père dans l’entreprise de construction fondée par son grand-père à Roubaix.
C’est à l’occasion d’un voyage à New York la même année, lors d’une conversation avec un chauffeur de taxi, que lui viendra l’idée-force derrière LVMH. Bernard Arnault avait demandé au chauffeur s’il connaissait Georges Pompidou, le président français. «Non, mais je connais Christian Dior», lui a alors répondu son interlocuteur.
À 25 ans, Bernard Arnault reprend l’affaire familiale. L’arrivée du socialiste François Mitterrand à la présidence en 1981 le pousse à s’installer aux États-Unis, où il tente de s’implanter. Ses ambitions le porteront bien au-delà du secteur de la construction. Il souhaite bâtir un véritable empire, une entité aux racines françaises et au rayonnement international.
En 1984, il apprend que Christian Dior est à vendre. Le fabricant de textile et de couches-culottes jetables Boussac, maison mère du couturier, a fait faillite et le gouvernement français est à la recherche d’un repreneur. L’homme d’affaires saute sur l’occasion, il pioche 15 millions de dollars dans la cassette familiale et la banque Lazard complète la somme pour atteindre les 80 millions de dollars nécessaires au rachat. Selon certains, Bernard Arnault s’était engagé à redynamiser les activités et à préserver les emplois. Mais il licenciera 9 000 employés et empochera 500 millions de dollars grâce à la vente de l’essentiel des activités. Ses détracteurs critiqueront son cynisme à l’américaine, qui détonne dans la « bonne » société française. Un caractère qui lui vaudra d’être surnommé « le loup en manteau de cachemire » par les médias.
Le prédateur s’attaque ensuite à une nouvelle proie, la branche parfums de Dior. Pour parvenir à ses fins, il exploite les frictions entre les dirigeants du groupe Louis Vuitton Moët Hennessy, propriétaire du parfumeur. Bernard Arnaud s’allie au patron de Vuitton, le maroquinier dont le fondateur avait confectionné des malles sur mesure pour l’impératrice Eugénie, l’épouse de Napoléon III. Il aide le numéro 1 de Vuitton à évincer le patron de Moët, pour mieux l’écarter lui aussi. En 1990, soutenu une nouvelle fois par Lazard et grâce à l’argent récupéré après le démantèlement de Boussac, il prend le contrôle du groupe, et par là de Moët & Chandon, le célèbre producteur de champagne, et de Hennessy, le producteur de cognac français fondé en 1765. Après cette conquête, il dépense des milliards pour…
Pour lire l’intégralité de cet article, rendez-vous pages 66-75 du numéro 62 Novembre 2019