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Benedict Oramah, le Banquier de la Relance

Basée au Caire, la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) fait aujourd’hui partie des institutions bancaires de référence sur le continent. Une puissance financière qui doit beaucoup à l’activisme de l’actuel président de l’institution, Benedict Oramah. Portrait du financeur en chef du continent africain.

Par Blamé Ékoué et Jérémie Suchard – Paru dans l’édition N°63


Lorsqu’il est nommé président de la Banque africaine d’import-export en juin 2015, au terme des 22e assemblées générales de l’institution financière organisées à Lusaka (Zambie), Benedict Oramah est le candidat du consensus. Un favori naturel à la succession de l’Ivoirien Jean-Louis Ekra, et qui connaît déjà parfaitement la maison : titulaire d’un doctorat en économie agricole obtenu à l’université d’Obafemi-Awolowo au Nigeria, Benedict Oramah a travaillé au sein de la Banque nigériane d’import-export (Nexim) avant de rejoindre l’Afreximbank en 1994 en tant que chef analyste. Une période assurément difficile : ce sont les années noires de l’afropessimisme, marquées par les tensions et conflits, une croissance atone, les redoutés programmes d’ajustements structurels, le choc de la dévaluation du franc CFA et une paupérisation insidieuse d’une large partie de la population du continent. Fondée à cette époque – en 1993 – dans le but de soutenir les échanges commerciaux en Afrique, Afreximbank suscite tout naturellement le scepticisme d’une partie des observateurs, plusieurs d’entre eux ne donnant pas cher de la pérennité de la jeune institution, pensée par feu Babacar Ndiaye, alors patron de la Banque africaine de développement (BAD). Après tout, pourquoi financer le commerce – une activité qui n’est pas sans risque – quand tous les éléments semblent ligués contre le continent, disent les cassandres d’alors. Un pessimisme initial qui, en fi n de compte, aura presque fait oublier l’essentiel, à savoir que la conjoncture est toujours cyclique et que toute nuit noire est une aube en devenir.

Benedict Oramah (2e à gauche), président d’Afreximbank, Olusegun Obasanjo (3e à gauche), ancien président nigérian, accompagnés de Christopher Edordu, premier président d’Afreximbank (à gauche), et Jean-Louis Ekra, président sortant d’Afreximbank, lors de la retraite à mi-parcours sur le plan stratégique à Kampala, en Ouganda.


Années d’Ascension

C’est ainsi que lentement mais sûrement, l’institution panafricaine de financement prend ses marques dans le paysage bancaire continental. Tout comme Benedict Oramah, qui gravit peu à peu les échelons : directeur senior chargé de la planification et du développement commercial en 2007, il devient vice-président exécutif chargé du développement commercial et des banques d’affaires en 2008 avant d’accéder à la marche suprême en 2015. Après un peu plus de deux décennies au sein de l’institution, le fidèle lieutenant qui a supervisé la préparation des quatre plans stratégiques d’Afreximbank établis depuis 1995 s’est finalement mué en général, prêt à exécuter son grand dessein : booster le commerce du continent en le finançant significativement, et ce tant pour les échanges interrégionaux que pour ceux avec le reste du monde. Pour accroître la valeur des marchandises vendues, il est notamment l’un des premiers dirigeants financiers du continent à soutenir les exportations de produits transformés, comme le prouve sa première grande initiative prise en la matière, l’opération Cacao Afrique, un mécanisme lancé en 2012 et destiné à renforcer les capacités de transformation en Afrique, premier continent producteur de cacao. Au moment de l’arrivée de Benedict Oramah à la présidence d’Afreximbank, la banque – sous l’impulsion de son vice-président devenu président – avait d’ores et déjà consacré près de 400 millions de dollars à cette initiative. Un clin d’oeil peut-être à la toute première opération réalisée par l’institution bancaire panafricaine, deux décennies plus tôt : un financement octroyé au Conseil ghanéen du cacao, le Cocobod. C’est néanmoins par temps de crise que le dirigeant d’origine nigériane a donné la pleine mesure de son pouvoir d’action, décisif dans nombre de cas. Ainsi, alors qu’une partie des pays exportateurs d’hydrocarbures du continent voyaient leurs recettes fondre comme neige au soleil au moment du krach pétrolier de 2015-2016, la banque – sous la houlette de son nouveau président – n’a pas hésité à sortir son chéquier pour appuyer les filières énergétiques malmenées des pays concernés (Congo-Brazzaville, Gabon, Nigeria, Angola, Guinée équatoriale…). Un activisme qui s’est de nouveau manifesté durant l’épidémie d’Ebola, avec un soutien résolu aux États et au secteur privé. Plus tôt, c’est un autre pays en difficulté chronique, le Zimbabwe, qui avait bénéficié d’un mécanisme d’Afreximbank de 100 millions de dollars pour aider les banques locales à régler leurs problèmes de liquidités.

Ibrahim Bagarama, George Elombi, Prof. Benedict Oramah, le Minsitre Bruno Jean-Richard Itoua, Ludovic-Ngadse, John-Chisholm et Olivier Okota, lors de la signature de l’opération Trident OGX au Congo Brazzaville Sept. 2023


« la puissance de frappe d’Afreximbank [25 milliards de dollars d’actifs à fin 2021] l’apparente à bien des égards à une banque centrale, dans la mesure où elle peut modifier par ses actions certains équilibres macroéconomiques »

Souplesse et Indifférence aux pressions extérieures

Il faut dire que la nature même de l’actionnariat d’Afreximbank – détenu par des États ou institutions publiques africains (64 %) et des leaders locaux du secteur privé (24 %) – lui confère une souplesse et une « imperméabilité » aux pressions externes que lui envient certainement nombre de grandes institutions financières, à commencer par la BAD, dont 40 % du capital est détenu par des pays extérieurs au continent. Cette influence et indépendance financière, cruciales dans bien des cas, font dire à l’agence de notation Moody’s « [qu’] Afreximbank comble une lacune sur le marché africain, où l’appui au crédit à l’exportation est généralement limité ». Un soutien ferme au business qui n’a pas échappé aux champions du commerce intra-africain, nombre d’entre eux (les nigérians Dangote Group et Heirs Holding, le conglomérat tunisien Loukil ou bien encore le géant de l’agro-industrie tanzanien Export Trading Group) étant des fidèles clients de la banque panafricaine. Les équipes de la banque d’investissement African Alliance estiment quant à elles que « la puissance de frappe d’Afreximbank [25 milliards de dollars d’actifs à fin 2021] l’apparente à bien des égards à une banque centrale, dans la mesure où elle peut modifier par ses actions certains équilibres macroéconomiques ». De fait, l’institution panafricaine a à sa disposition toute une palette d’instruments financiers, qui vont des traditionnelles lettres de crédit et garanties commerciales pour les opérateurs actifs dans l’import-export, aux crédits « déguisés » via les prêts accordés par Afreximbank à d’autres institutions financières. Au total, la banque panafricaine a aujourd’hui un portefeuille total de prêts évalué à 22 milliards de dollars et estime avoir mobilisé près de 100 milliards de dollars en faveur du commerce et des acteurs économiques africains depuis sa création. Un ordre de grandeur supérieur au PIB de l’Ethiopie (93 milliards de dollars), deuxième pays le plus peuplé (117 millions d’habitants) du continent africain.

Les directions d’Afrexim et d’Access Bank lors d’une visite du gouverneur Sanwo Olu au Caire (Réunion stratégique) I ©Droits Réservés


Une position Clé sur l’échiquier financier continental

De ce point de vue, la crise économique née de la pandémie du Covid-19 n’a fait que renforcer la position désormais centrale d’Afreximbank sur l’échiquier bancaire continental. Et avec elle, l’influence de son président. Dès les débuts de la crise sanitaire, Benedict Oramah a ainsi poussé l’institution qu’il dirige à multiplier les interventions, l’établissement financier décaissant plus de 6,5 milliards de dollars pour la seule année 2020 et plus encore en 2021, puisque fin septembre dernier, il confirmait une aide de 7 milliards de dollars en faveur de quatorze pays africains, dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Peu auparavant, le patron nigérian s’était engagé à décaisser 2 milliards de dollars pour l’achat de plusieurs millions de vaccins Johnson & Johnson à destination du continent, confortant ainsi son statut de premier financeur du continent, tant par temps de crise que dans les périodes subséquentes de reprise. Deux ans après le choc sanitaire et les premiers confinements qui ont mis à l’arrêt les nations du continent, Benedict Oramah est de fait déjà dans « le coup d’après », celui du renforcement de l’intégration économique avec la mise en place de la zone de libre échange continentale africaine (Zlecaf), dont l’Afreximbank entend bien être un acteur incontournable. La banque panafricaine a notamment été mandatée par l’Union africaine (UA) pour mettre sur pied un système panafricain de paiement et de règlement, appelé PAPSS, « destiné notamment à faciliter les paiements transfrontaliers dans les différentes devises locales concernées », rappelle la direction du groupe dans son dernier rapport d’activité annuel. Une confiance de l’UA qui traduit en premier lieu l’engagement toujours plus important de l’Afreximbank en faveur du commerce africain : entre 2015 et 2021, c’est plus de 35 milliards de dollars de crédits qui ont ainsi été accordés au commerce africain, avec une sensible hausse pour les échanges intra-africains, passés dans l’intervalle de 3 % à près d’un tiers du portefeuille total des prêts d’Afreximbank.

Prof. Benedict Oramah & Wamkele Mene, Février 2022, Caire


Plus de 42 Milliards de transactions commerciales

Et histoire d’aller encore plus loin dans cette direction, la banque a initié, à partir de 2018, la première foire commerciale intra-africaine (Intra-African Trade Fair ou IATF) afin de renforcer la visibilité sur les opportunités commerciales existant sur le continent mais aussi, ailleurs dans le monde. Un pari gagnant : après une première édition tenue en décembre 2018 au Caire (Égypte), siège de l’Afreximbank, la seconde foire, organisée à Durban (Afrique du Sud) en novembre 2021, aura drainé plus de 32 000 participants (physiques et virtuels) venant de 128 pays, pour un montant cumulé de transactions conclues supérieur à 42 milliards de dollars. Cette seconde édition de l’IATF a par ailleurs mis l’accent sur le financement des jeunes entrepreneurs africains, le vice-président exécutif d’Afrixembank, George Elombi, rappelant durant l’événement qu’un « mécanisme [permettant] de financer plus de 400 jeunes Africains » avait été mis sur pied. « Vous verrez que ce commerce intra-africain sera exponentiel lorsque la jeunesse sera associée aux opportunités que la Zlecaf donne à l’Afrique. La force la plus dynamique du continent est celle des jeunes », a conclu le dirigeant d’Afrixembank, suivant en cela l’optimisme et la confiance jamais démentis de Benedict Oramah dans les potentialités du continent africain… qui le lui rend bien. Arrivée à l’âge de maturité, l’institution – qui fêtera ses 30 ans d’existence en 2023 – ne s’est jamais aussi bien portée : entre 2015, année d’accession à la présidence d’Oramah, et 2021, le capital de la banque a triplé (de 1,266 milliard de dollars à 3,952 milliards de dollars), de même que les revenus totaux (de 400 millions à 1,1 milliard de dollars) tandis que les bénéfices nets passaient de 134 millions de dollars à 376 millions. De quoi donner des moyens renouvelés, et toujours plus importants, au financeur en chef du continent africain.


L’institution – qui fêtera ses 30 ans d’existence en 2023 – ne s’est jamais aussi bien portée : entre 2015, année d’accession à la présidence d’Oramah, et 2021, son capital a plus que triplé.



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