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Samba Bathily, Monsieur Solutions

Aussi ambitieux qu’insaisissable, le PDG d’Africa Development Solutions (ADS) a fait de son groupe diversifié l’un des champions du capitalisme panafricain. Une réussite bâtie sur un mot d’ordre : trouver des réponses africaines aux défis africains.

Par Patrick Ndungidi et Léopold Muta


Les équipes de Forbes Afrique avaient été prévenues : joindre l’entrepreneur malien Samba Bathily – ne serait-ce que pour un échange téléphonique de quelques minutes – serait « compliqué ». La précaution oratoire se sera avérée parfaitement justifiée. Il aura fallu des semaines de coups de fil incessants avec sa garde rapprochée et, finalement, un créneau téléphonique minuté avec le patron lui-même, pour réunir la matière nécessaire à la rédaction de cet article. Constamment sollicité et le plus souvent entre deux avions, l’homme est de fait occupé et pressé. C’est ainsi qu’on dirige un conglomérat d’entreprises tel que le sien : le groupe Africa Development Solutions (ADS) revendique aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de deux cent quarante millions de dollars et près de 1000 employés.

« Homme de terrain », selon ses proches, Samba Bathily est aujourd’hui à la tête d’un petit empire commercial, dont les activités vont de la structuration financière (ADS Consulting) à l’énergie renouvelable (Solektra International), en passant par les infrastructures (location de matériel et construction), les technologies de l’information et de la communication (TIC) la distribution dans l’automobile et la logistique, l’hôtellerie et la promotion immobilière. Au total, ADS, c’est un portefeuille de 25 marques présentes dans 18 pays, et constitué à partir de 2004, en fédérant un premier noyau d’entreprises lancées au cours des années 90.


Débuts Contrariés

Cette success story africaine n’aurait sans doute pas vu le jour si le chef d’entreprise avait persévéré dans sa volonté initiale de devenir juriste. Après son bac, obtenu au Mali, le futur homme d’affaires suit deux premières années d’études de droit à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (Belgique), qu’il ne pourra cependant achever pour des raisons de visa. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il décide alors de suivre son instinct entrepreneurial et se lance dans les affaires, affinant son mode opératoire et saisissant les opportunités au fur et à mesure qu’elles se présentent à lui. Avec le succès qu’on lui connaît aujourd’hui. Samba Bathily a, il est vrai, de qui tenir : l’entrepreneur est lui-même fils d’un grand commerçant et ex-député de la région de Kayes (ville de l’ouest du Mali, à 495 km de Bamako), qui a bâti sa prospérité dans le négoce du pétrole notamment. Mais au-delà de la réussite financière, c’est le mode opératoire de l’homme d’affaires – « un problem solver de premier plan », dit de lui, sous couvert d’anonymat, un partenaire d’affaires admiratif – qui force le respect de nombre d’interlocuteurs interrogés au cours de notre enquête.  « Derrière le personnage un peu abrupt, Samba Bathily, c’est d’abord un instinct sûr », explique aune productrice de télé ivoirienne qui a eu à établir plusieurs partenariats avec lui et qui souligne « son caractère anticonformiste, aimant sortir des sentiers battus » pour mener à bien ses différents projets.

Désormais aux commandes d’un groupe panafricain, Samba Bathily a choisi d’installer le siège de sa holding à Dakar et trois usines au cœur de la plateforme industrielle de la ville de Diamniadio, au Sénégal ; un lieu stratégique pour accompagner les ambitions d’ADS, la cité nouvelle étant appelée à devenir un cluster économique de premier ordre. Mais plus encore, cette décision stratégique révèle une autre facette de l’entrepreneur, son panafricanisme assumé et actif : né à Bamako, Samba Bathily se considère « avant tout comme un Africain », au-delà de ses origines maliennes. De fait, dans le cadre de ses activités, il sillonne inlassablement les différents pays du continent, réalisant ainsi l’objectif qu’il s’était assigné plus jeune, au moment de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale : « partir à la conquête de l’Afrique, comprendre celle-ci, connaître du monde et acquérir de l’expérience », rappelle, sans fausse modestie, l’intéressé, qui précise que ses « près de trente ans d’expérience entrepreneuriale lui permettent aujourd’hui d’avoir une vision claire du développement [de l’Afrique] ». Son leitmotiv : des réponses africaines aux défis africains.


Solutions Panafricaines

Typique de cette approche continentale et holistique dans la conception de solutions, Solektra International, filiale d’ADS spécialisée dans la fourniture d’eau et d’électricité via des technologies solaires, a été lancée en 2014 pour soutenir l’initiative Akon Lighting Africa, qui visait à électrifier le continent en s’appuyant sur la célébrité du chanteur sénégalo-américain Akon. À ce jour, plus de 1800 localités rassemblant 7 millions de personnes, ont été positivement impactées par ce projet sur le continent, indique la direction d’ADS. Idem pour la filiale Multi-Industries Group, qui propose des solutions d’éclairage, de bureautique et de mobilité verte, et qui a ouvert une première usine dédiée sur la plateforme industrielle de Diamniadio, au Sénégal, avec pour objectif de servir l’ensemble de la région ouest-africaine. De fait, pour l’homme d’affaires qu’est Samba Bathily, la logique panafricaine est aussi une démarche qui fait financièrement sens car « il faut raisonner sur des grands ensembles régionaux pour être en mesure de réaliser les économies d’échelle nécessaires. En deçà, on continuera de rester de petits acteurs économiques », plaide le patron d’ADS pour qui il est impératif que « les Africains prennent en main leur destin ». Sur le plan du financement des projets et du conseil, Samba Bathily demeure également un interlocuteur privilégié, ADS accompagnant en particulier la structuration financière de grands projets africains tels que le barrage de Souapiti, en Guinée, l’un des plus gros projets hydrauliques jamais lancés sur le continent, qui devrait à terme disposer d’une capacité de production d’électricité de 450 mégawatts. En outre, le groupe ADS accompagne l’association Smart Africa, dédiée à la promotion du digital sur le continent, notamment dans la première phase du projet « Single Africa Digital Market », qui vise un accès généralisé aux services et technologies digitales. Autant d’initiatives qui traduisent une volonté évidente de raisonner à grande échelle. Dans sa monumentale biographie de Napoléon, parue en 1931, l’historien Jacques Bainville, évoquant le conquérant d’origine corse, notait qu’il était homme à « voir loin, viser haut et toujours calculer en vue du grand ». Près d’un siècle plus tard, nul doute que ce jugement de valeur pourrait aussi s’appliquer à notre capitaine d’industrie ouest-africain, qui ne manque assurément pas d’ambition.


Le Pari Sur Les Industries Créatives

Mindelo, Cap-vert

Parmi ses derniers projets justement, la mise en place de l’AfroCreativeEcosystem (A.C.E.), une plateforme destinée à rassembler des représentants de toutes les industries créatives du continent afin de positionner – et monétiser – au mieux les création et savoir-faire africains. De fait, pour Samba Bathily, la chose la plus partagée en Afrique, ce sont les talents. « Chaque Africain a du talent, il est né avec. Dans la danse, le sport, la mode, on est les meilleurs. La question c’est comment monétiser ses talents ? Nous avons besoin d’un cadre dans lequel les investisseurs vont pouvoir rencontrer et investir dans ces talents », explique le patron d’ADS, qui rappelle qu’il a investi 900 000 dollars de sa poche pour financer le premier événement organisé par l’ACE, en décembre 2019 à Mindelo – la ville de naissance de Cesaria Evora et capitale culturelle du Cap-Vert – dont il veut faire une plateforme qui rassemblerait à terme tous les créatifs d’Afrique et de la diaspora. Au total, c’est plus de 170 acteurs représentant la grande diversité des communautés créatives africaines (cinéma, mode, beaux-arts, littérature, et production audiovisuelle) qui auront fait le déplacement au frais du « Boss », jamais avare de largesses. Peu après, on apprenait son engagement financier dans la production du film « Citation », une œuvre réalisée par le Nigérian Kunle Afolayan et contant l’histoire d’une étudiante qui dénonce un professeur respecté, qui aurait tenté de la violer. Là encore, l’entrepreneur se positionne, s’engage et trace des pistes, qui seront ensuite empruntées par d’autres. Idem s’agissant de son partenariat avec la Basketball Africa League (BAL), cette initiative portée par la prestigieuse NBA américaine et qui « vise à développer l’écosystème auquel le sport appartient en Afrique, un marché 1,2 milliard d’habitants », précise Samba Bathily qui, manie du reste abondamment les chiffres dans ses propos, comme pour rappeler le caractère factuel et évident de l’argumentaire exposé. Président de la BAL, le sénégalais Mamadou Gallo Fall, ne tarit en tous les cas pas d’éloges sur le patron d’ADS, en qui il voit « un champion du secteur privé, dont l’association (avec la BAL depuis 2016) a permis de faire avancer la cause du sport et d’identifier nombre de talents locaux ».

Mansa Floating Studio de Mindelo


AfroChampion

De fait, ce statut de « champion de la cause africaine » est d’abord vu comme une responsabilité aussi insigne qu’exigeante par l’intéressé lui-même : Samba Bathily est l’un des cofondateurs de l’initiative « AfroChampions », une plateforme d’échanges mobilisant les multinationales africaines, présidée par le milliardaire nigérian Aliko Dangote et dont l’ambition est de favoriser l’émergence  de champions économiques africains et l’intégration économique du continent. « Rien de solide et de durable ne peut se bâtir dans la désunion. Il faut que les Africains se mettent ensemble, qu’on mutualise les infrastructures, qu’on intègre nos économies afin d’avoir de plus gros marchés et de réduire les facteurs de production. Les autres réfléchissent sur des décennies. Il faut qu’on commence à planifier le développement de ce continent », soutient le fondateur d’ADS pour qui réussir ce pari permettra « d’assurer un avenir meilleur pour nos enfants ». Le pari d’une vie déjà bien remplie et dont la réussite ultime – l’émergence de tout un continent – aurait assurément plus de portée historique que tous les succès financiers individuels cumulés.


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