Dans l’ombre des géants du numérique africain, le Cameroun aspire à devenir un terrain fertile pour l’innovation technologique. De fait, malgré des défis structurels persistants – à commencer par un accès limité à l’Internet haut débit dans certaines régions –, le pays est aujourd’hui bel et bien porté par des initiatives locales prometteuses. Analyse Sectorielle
Par Harley Mckenson-Kenguéléwa
C’est à partir de 2015 que la question de l’économie numérique est apparue comme une priorité dans le discours des autorités camerounaises. À l’époque, le chef de l’État avait fait don de 500 000 ordinateurs aux étudiants camerounais, dans une opération baptisée « un étudiant – un ordinateur ». Une façon de montrer l’intérêt du pays à engager les jeunes dans le développement de cette économie. Dix ans plus tard, le Cameroun construit son chemin au sein de la « Silicon Mountain », du nom attribué à cet écosystème d’innovation centré sur la ville de Buea (chef-lieu de la région du Sud Ouest). L’atout majeur dont il dispose repose sur la qualité de son capital humain : sa population, jeune et instruite, concentre ingénieurs, développeurs et entrepreneurs issus de grandes écoles. De quoi dynamiser un paysage tech en pleine effervescence. « Les jeunes Camerounais se distinguent par leur créativité et leur adaptabilité. Ils font preuve d’une grande capacité à trouver des solutions en toutes circonstances », souligne Jean-Patrick Ketcha, membre du conseil d’administration du programme Afric’innov et coordinateur du Boukarou, structure d’accompagnement à l’entrepreneuriat innovant et citoyen. De fait, les success-stories ne manquent pas : ST Digital, acteur incontournable de la transformation digitale et du cloud à Douala, Matrix Télécoms, qui offre des solutions basées sur le protocole IP, et Arno Technologies, spécialiste en génie électrique et industriel, sont trois des champions numériques camerounais. L’écosystème des startups est tout aussi dynamique, avec la marketplace agricole eFarm.cm ou encore la fintech Katika. Autre innovation, FindMe, une application mobile créée par Brandon Wanguep, qui permet de générer une adresse postale pour les particuliers ou les entreprises. D’autre part, des structures d’appui telles que Mountain Hub, ActivSpaces ou Le Boukarou offrent un accompagnement aux projets innovants, à travers des formations et du mentorat. Enfin, les événements tech ne sont pas en reste. Élodie Nonga-Kenla, fondatrice de l’association WETECH (Women in Entrepreneurship and Technology), mentionne ainsi « le Cameroon International Tech Summit (CITS) et le Cameroun Digital Tank (CADIT) », qui rassemblent les acteurs du numérique « pour partager expériences et savoirs ».
Les Failles d’Un Écosystème Fragile
Le financement demeure le talon d’Achille des startups camerounaises. En 2024, elles n’ont levé que 14 millions de dollars (13,3 millions d’euros) sur trois « deals » selon Partech. Le pays se classe 12e en Afrique, loin derrière le Nigéria (520 millions de dollars/496 millions d’euros) et l’Afrique du Sud (459 millions de dollars/437 millions d’euros). « Le développement des startups est freiné par l’absence de réglementations et de fiscalité adaptées, mais aussi de financements à long terme. De plus, l’influence politique sur le judiciaire accroît l’incertitude et impacte les investissements», explique Vivian Tchuente Tchatchueng, le directeur général de Fako Capital. Face à ce manque de soutiens financiers dédiés aux entrepreneurs, le gouvernement a mis en place en 2019 le programme Youth Connekt, qui vise à accélérer la connexion des jeunes aux opportunités en vue de leur autonomisation. Par ailleurs, le fonds de garantie Fogajeune finance depuis 2023 les 15-35 ans porteurs de projets sur l’économie numérique ou l’innovation technologique. Malgré ces initiatives, le pays reste confronté à un taux de pénétration d’Internet très modéré. Selon DataReportal, il comptait 12,73 millions d’utilisateurs (43,9 % de la population) en 2024, laissant plus de la moitié de la population exclue de l’économie numérique. Par ailleurs, le Cameroun devra encore patienter pour voir Starlink y étendre ses services Internet par satellite : son arrivée, en accord avec la réglementation nationale en vigueur, est désormais prévue pour 2026.
3 Questions À Jean Lobe Lobe, Fondateur et PDG de la Plateforme d’e-santé Waspito : “Le Principal Défi est d’Ordre Infrastructurel, Lié à la Connectivité Internet”
Faciliter l’accès aux soins, telle est la mission que s’est fixée Jean Lobe Lobe, le fondateur de la start-up Waspito. Basée à Douala, cette structure, qui a déjà levé plus de 5,2 millions de dollars (4,9 millions d’euros) depuis mars 2022, propose des solutions adaptées aux réalités camerounaises.
Forbes Afrique : Quels sont les défis à relever pour que les solutions de télésanté puissent transformer le quotidien des Camerounais, en particulier dans les zones rurales ?
Jean Lobe Lobe : Le principal défi est d’ordre infrastructurel, lié à la connectivité Internet. Malgré les progrès réalisés au cours de ces dernières années, les entreprises de télécommunications doivent poursuivre leurs investissements dans ce domaine. La majorité des régions du pays devraient bénéficier d’une couverture 3G au minimum, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.
Comment Waspito s’adapte-t-elle aux réalités technologiques des utilisateurs du Cameroun ?
J. L. L. : L’accès aux smartphones haut de gamme constitue aussi un véritable challenge. Cependant, l’arrivée croissante sur le marché camerounais de téléphones mobiles de qualité, et à des prix plus abordables, permet à un plus grand nombre de personnes d’accéder de manière efficace aux services numériques. Pour s’adapter à cette réalité, notre société a développé « Waspito Lite », une version allégée et optimisée de notre plateforme, pour fonctionner sur des smartphones basiques.
Quelles Sont Vos Ambitions à Long Terme ?
J. L. L. : Notre vision est de connecter l’ensemble des acteurs de l’écosystème de la santé au sein des pays d’Afrique. Au-delà des consultations médicales en ligne, Waspito propose des services de pharmacie mobile. Après la consultation médicale et la réception de l’ordonnance, les patients peuvent rester chez eux pendant que des laboratoires se déplacent pour collecter des échantillons, puis livrer les résultats. Nos partenaires pharmaceutiques assurent aussi la livraison des médicaments à domicile. Notre société, qui compte actuellement 40 emplois directs, prépare pour l’année en cours une levée de fonds en Série A de 10 millions de dollars [9,6 millions d’euros, NDLR]. Notre objectif est de consolider notre présence au Cameroun et en Côte d’Ivoire, tout en accélérant notre expansion vers le Sénégal et la République démocratique du Congo.
À Lire Aussi
