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Denis Charles Kouassi : “La CNPS Est La Première Institution De Prévoyance Sociale À Obtenir La Notation Financière Triple A”

Directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) de Côte d’Ivoire où il a effectué toute sa carrière, Denis Charles Kouassi est le maître d’œuvre des réformes qui ont conduit cette institution jadis déficitaire à devenir l’une des plus prospères d’Afrique de l’Ouest, via notamment des prises de participation dans plusieurs entreprises, dont des banques. Entretien avec un serviteur de l’État qui a su transformer des cotisations sociales en produits financiers.


Forbes Afrique : Vous Êtes À La Tête De La CNPS Depuis 2013. Quelles Sont Les Missions De Cette Institution Et Quelle Était Sa Situation Avant Votre Prise De Fonction ?

Denis Charles Kouassi : La CNPS est chargée de la sécurité sociale des travailleurs salariés, de ceux du secteur informel et des indépendants. Elle a en charge la retraite, les accidents du travail et les maladies professionnelles, ainsi que les prestations familiales et l’assurance-maternité. J’y suis entré en 1988, deux ou trois ans avant qu’elle ne connaisse une grosse crise. Son régime de retraite, inspiré du régime français, est basé sur un système de répartition et de solidarité selon lequel les retraités d’aujourd’hui sont financés par les travailleurs d’aujourd’hui. Il fonctionne selon une « solidarité générationnelle ». Mais la démographie et les systèmes économiques changent, l’espérance de vie augmente et le nombre d’enfants par famille a diminué au fil des ans. À un moment donné, les régimes de retraite se retrouvent donc en difficulté, lorsque les cotisations des travailleurs d’une génération ne suffisent plus pour financer les retraités de cette génération. C’est ce que connaît la France depuis plusieurs années et ce qu’a connu la CNPS au début des années 1990. Le constat a été très sévère. À l’époque, l’entreprise était pratiquement en cessation de paiement et sur 2 000 agents, il était question d’en licencier 1 000 sur cinq ans. J’ai proposé d’en licencier 500 en une fois et d’essayer de redynamiser les activités, pour ne plus avoir à licencier. C’est ce que nous avons fait : après le départ de 500 personnes en 1992, nous n’avons plus eu à licencier et l’entreprise a retrouvé une petite santé. Néanmoins, vers 2005, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la situation s’est encore compliquée, avec 200 milliards de francs CFA (un peu plus de 300 millions d’euros) de déficit cumulé de 2005 à 2011.


Quelles Réformes Avez-Vous Initiées ?

D. C. K. : Le modèle économique du régime de répartition n’était pas adapté à l’évolution de la société. En économie, si vous consommez toutes vos ressources (la consommation plus l’épargne), vous vous retrouvez en déficit à la moindre faille. De plus, l’épargne investie créant de la richesse, j’ai décidé de traduire ce modèle économique dans le régime de sécurité sociale de la retraite. Et ce déclic a tout changé.

La CNPS, que dirige Denis Charles Kouassi (au centre), est devenue l’un des premiers investisseurs institutionnels du pays.


Qu’est-Ce Qui A Changé ?

D. C. K. : Nous avons négocié avec les partenaires sociaux pour passer le taux de cotisation de 8 % à 14 %, afin que les ressources soient beaucoup plus importantes que les dépenses. L’idée étant d’avoir ainsi de l’épargne et d’investir celle-ci pour créer de la richesse. Ensuite, nous avons décidé de passer l’âge de la retraite de 55 à 60 ans. En bon visionnaire, le président de la République Alassane Ouattara a tout de suite accordé une suite favorable à ces propositions et je l’en remercie. Dès la mise en place de ce modèle, nous avons enregistré en 2012 un excédent de 8 milliards de francs CFA (12 millions d’euros), puis de 63 milliards (près de 96 millions d’euros) en 2015, 100 milliards (152 millions d’euros) en 2019 et 160 milliards en 2022 (243 millions d’euros). Notre objectif de 200 milliards en 2025 (304 millions d’euros) a été atteint en 2023.


Qu’Avez-Vous Fait De Ces Excédents ?

D. C. K. : Ils ont permis de créer la branche d’investissement de la CNPS, car nous avions des réserves. Le portefeuille monétaire et financier est ainsi passé, entre 2013 et 2023, de 36 à 965 milliards de francs CFA (54,7 millions d’euros à 1,5 milliard d’euros) et de 109 à 1 248 milliards de francs CFA (166 millions d’euros à 1,9 milliard d’euros) si l’on ajoute l’immobilier et le foncier. Rien d’extraordinaire n’a été fait. Il a suffi de comprendre que le modèle économique était mauvais, de le changer et d’appliquer les réformes avec une gestion rigoureuse, des actions sur la formation et le recrutement, et une grille de salaires permettant de bien payer les agents et de les motiver. À l’époque, pour 2 000 agents, notre budget global était de 25 milliards de francs CFA (38 millions d’euros). Aujourd’hui, pour 1 500 agents, il avoisine les 700 milliards de francs CFA (1 milliard d’euros).

« Aujourd’hui, pour 1500 agents, notre budget avoisine les 700 milliards de francs CFA (1 milliard d’euros) »


Quels Résultats Avez-Vous Obtenus ?

D. C. K. : Les produits financiers, passés entre 2013 et 2023 de 4 à 46 milliards de francs CFA (de 6 à 70 millions d’euros), devraient dépasser les 50 milliards (76 millions d’euros) en 2024. Aujourd’hui, ils couvrent toutes les charges du personnel. Notre objectif est que, d’ici deux à trois ans, ils couvrent l’ensemble des charges, contre 65 % aujourd’hui. Une fois ce seuil atteint, ils deviendront une nouvelle source de financement de la sécurité sociale, en plus des cotisations.


Pourquoi Les Produits Financiers Doivent-Ils Financer La Sécurité Sociale ?

D. C. K. : Dans le monde actuel, tout se digitalise. Les entreprises, notamment celles de la high-tech, n’ont pas de gros effectifs, mais elles manipulent d’énormes masses financières. À terme, toutes les structures de sécurité sociale qui ne vont pas aller chercher des ressources sous forme de dividendes, c’est-à-dire le produit de leurs investissements, vont être déficitaires, car les cotisations s’amenuisant, elles ne suffiront plus pour couvrir les prestations. Grâce aux réformes, nous avons non seulement redonné la santé financière à notre institution, mais nous sommes devenus, aujourd’hui, l’investisseur numéro 1 dans les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).


Quel Avantage En Tire l’État Ivoirien ?

D. C. K. : Notre stock d’emprunts obligataires est passé de 4 milliards (6 millions d’euros) il y a 10 ans à 480 milliards de francs CFA (730 millions d’euros). L’avantage est que l’État trouve des ressources en interne et en francs CFA. Il n’y a pas de risque d’échange de devises, pas de pression de remboursement de cette dette et pas de conditionnalités à lui donner. Notre objectif est de contribuer beaucoup plus, chaque année, à cette collecte d’épargne intérieure pour que la Côte d’Ivoire puisse, au fur et à mesure, emprunter moins à l’extérieur.


Comment Se Déclinent Les Investissements Opérés Par La CNPS ?

D. C. K. : La CNPS est actionnaire d’Eranove (15 %), de NSIA (20 %), BCC, ex-BNP (21 %), Bridge Bank (20 %), Ecobank Côte d’Ivoire (5 %) et Orabank (6 %). Elle est aussi présente dans des entreprises des domaines de la santé et de l’industrie. Notre portefeuille de prises de participation se situe entre 350 et 400 milliards de francs CFA (entre 532 et 608 millions d’euros). Les cotisations vont diminuer car toutes les entreprises se digitalisent, mais leurs chiffres d’affaires et leurs bénéfices vont croître. Par conséquent, il faut aller chercher les dividendes. D’où notre choix d’être investisseur pour créer de la compétitivité. L’autre volet intéressant dans cette expansion est que nous avons été capables de revaloriser régulièrement les retraites et les rentes d’accident de travail. En dix ans, nous avons déjà revalorisé cinq fois les retraites. En cumul, c’est 30 % de revalorisation sur cette période. Pour comparaison, de 2000 à 2011, nous avions opéré une seule revalorisation, de 2,59 %. Depuis 2012-2013, les rentes d’accident de travail ont été revalorisées de 20 %. En outre, nous avons multiplié par cinq les montants des allocations familiales sur cette même période.

« En dix ans, nous avons déjà revalorisé cinq fois les retraites. En cumul, c’est 30 % de revalorisation sur cette période »


Comment Analysez-Vous Aujourd’hui La Contribution De La CNPS à l’Économie Ivoirienne ?

D. C. K. : La CNPS y joue un rôle important, notamment en termes d’emprunts obligataires. Sur le plan financier, elle prend des participations dans des entreprises pour que celles-ci reviennent beaucoup plus aux Ivoiriens. Elle détient et a investi des montants importants au sein des banques et les alimente en liquidités pour qu’elles aient des fonds propres solides. Ce n’est pas un miracle. Nous avons juste analysé une situation, pris la décision d’opérer des réformes et les avons appliquées avec rigueur. Chaque année, depuis dix ans, tous nos indicateurs sont en hausse : produits financiers, résultats nets et bilan. Celui-ci atteint les 1 000 milliards (1,5 milliard d’euros) aujourd’hui contre 200 milliards en 2012 (304 millions d’euros).


En Côte d’Ivoire, Les Régimes De Prévoyance Sociale Des Travailleurs Indépendants Ont Été Introduits En 2019 Par Le Gouvernement. Comment La CNPS A-T-Elle Mis En Pratique Cette Décision ?

D. C. K. : Dans presque tous les pays africains, la sécurité sociale a été limitée aux fonctionnaires et aux travailleurs salariés, qui représentent 10 à 15 % des travailleurs. Depuis 2019, l’État ivoirien l’a donc étendue aux indépendants. À ce jour, nous avons enrôlé près de 380 000 personnes, avec un objectif, à terme, de 7 millions de personnes. Les salariés que nous gérons aujourd’hui représentent seulement 1 million de personnes. Nous visons, dans les cinq prochaines années, au moins 50 % d’indépendants couverts.


Quelles Sont Les Perspectives De La CNPS ?

D. C. K. : Nous sommes en train de créer un fonds alimenté par les cotisations des travailleurs, afin de booster la production de logements et de faciliter l’accès au logement, sous forme de location-vente. L’idée étant que ces logements soient payés sur une durée de 30 à 35 ans et que les taux des prêts bancaires associés ne puissent pas dépasser 5 %. Nous envisageons également la mise en place d’une retraite complémentaire pour les salariés par un système de capitalisation. L’objectif est de permettre que la retraite qu’un travailleur va toucher en fin de carrière puisse représenter 70 à 80 % de son salaire d’activité.


Comment Les Autres Pays Peuvent-Ils Dupliquer Le Modèle De La CNPS ?

D. C. K. : Ils peuvent le dupliquer, mais si l’environnement de gouvernance ne change pas, il n’y aura pas de résultats. Ce n’est pas une révolution qui se fait uniquement en changeant de modèle économique. Depuis 2000, la CNPS est une institution privée chargée de la gestion d’un service public. Nous avons une grille de salaires élevée, ce qui nous permet de débaucher des compétences, et une gestion rigoureuse basée sur le résultat et les compétences. L’environnement dans lequel évolue la CNPS donne beaucoup plus de pouvoir au conseil d’administration et à la direction générale qu’à l’État. Ce dernier assure la régulation, mais ne s’implique pas dans la gestion. L’an passé, notre budget d’investissement était de 30 milliards de francs CFA (environ 456 millions d’euros), sans que les pouvoirs publics s’en mêlent. C’est une garantie très importante.


Denis Charles Kouassi, Un Économiste Visionnaire

Denis Charles Kouassi est directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale de Côte d’Ivoire (CNPS) depuis 2013. Sous sa direction, celle-ci est devenue l’un des principaux investisseurs institutionnels du pays, et le premier organisme de sécurité sociale à obtenir la notation financière triple A. Cet économiste, expert en sécurité sociale, a joué un rôle clé dans la réforme et la transformation de cette institution au cours de la dernière décennie, y ramenant l’équilibre financier et assurant une croissance constante de ses excédents. Ses efforts ont contribué à améliorer les prestations offertes à la population et à renforcer l’impact positif de la CNPS sur la sécurité sociale en Côte d’Ivoire. Avant d’en devenir le directeur général, il y a occupé plusieurs postes, totalisant une expérience de plus de 30 ans dans le domaine. Il est diplômé du Centre ivoirien de formation des cadres de sécurité sociale (CIFOCSS) et a accumulé un bagage solide en sciences économiques. En tant qu’administrateur de multiples sociétés, Denis Charles Kouassi a démontré sa capacité à gérer et à contribuer à diverses initiatives au-delà de la CNPS. Sa vision stratégique et son leadership ont conduit cet organisme à devenir un acteur majeur de l’économie ivoirienne. Grâce à ses réalisations et à son influence positive, il se démarque comme une figure emblématique du secteur de la prévoyance sociale en Afrique.


Site : www.cnps.ci

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