Directrice adjointe du département des finances publiques du FMI, Era Dabla-Norris supervise les travaux du rapport de suivi du Moniteur des finances publiques (Fiscal Monitor), le rapport phare du FMI publié le 15 octobre dernier. Dans cet entretien, elle dresse un état des lieux des outils à disposition des pouvoirs publics africains pour optimiser les ressources existantes.
Propos Recueillis par Olivia Yéré Daubrey
Forbes Afrique : Quelles sont aujourd’hui les pistes les plus prometteuses que vous observez pour améliorer la mobilisation des recettes fiscales dans les pays en développement, et en particulier en Afrique ?
Era Dabla-Norris : De nombreuses administrations fiscales dans les pays à faible revenu, y compris en Afrique, cherchent à promouvoir ce qu’on appelle la compliance volontaire. Autrement dit, il s’agit de permettre aux contribuables et investisseurs de s’acquitter plus facilement de leurs obligations, tout en renforçant la capacité de l’administration fiscale à percevoir les recettes, sans recourir à des méthodes coercitives ou à une pression excessive.
Ces initiatives se concentrent sur plusieurs axes. D’abord, l’amélioration des cadres de gouvernance, afin que les administrations fiscales restent indépendantes de l’influence politique. C’est une sorte de « pare-feu » institutionnel. Ensuite, la modernisation des lois fiscales, pour trouver un équilibre entre la nécessité de collecter les recettes publiques et le respect des droits des contribuables.
Les administrations investissent aussi dans la simplification des procédures fiscales : par exemple, l’enregistrement électronique ou la mise à disposition de formulaires en ligne, afin de faciliter le respect des obligations. Elles travaillent également à renforcer la coordination entre administrations fiscales et judiciaires, car l’échange d’informations est essentiel. Enfin, il faut noter que de plus en plus de pays recourent aux outils numériques pour faciliter les contrôles et les enquêtes, mais aussi pour simplifier l’expérience des contribuables.
L’informalité reste l’un des grands défis des économies africaines. Quels instruments concrets permettent désormais de mieux capter cette activité et d’élargir l’assiette fiscale ?
E. D.-N. : L’informalité peut prendre de nombreuses formes : certaines entreprises ne respectent que partiellement leurs obligations, ou encore des travailleurs employés dans le secteur formel voient seulement une partie de leurs revenus déclarés.
Pour y répondre, les pays africains déploient plusieurs stratégies : campagnes d’éducation et de sensibilisation pour expliquer l’importance du paiement des impôts et son lien direct avec les services publics ; adoption d’outils numériques (paiement mobile, enregistrement électronique) pour limiter les transactions en face-à-face ; ou encore procédures simplifiées (formulaires pré-remplis, comptabilité allégée) pour aider les petits entrepreneurs.
Les administrations fiscales utilisent aussi davantage les données de tiers afin de détecter les cas de non-conformité. Par exemple, avec la TVA, la chaîne de paiements génère une trace qui peut être croisée avec d’autres informations.
« Pour répondre [à l’informalité], les pays africains déploient plusieurs stratégies : campagnes d’éducation et de sensibilisation […] ; adoption d’outils numériques […] ; ou encore procédures simplifiées […] pour aider les petits entrepreneurs »

Dans ce chantier, quelle est la valeur ajoutée des partenaires multilatéraux – FMI, Banque mondiale, OCDE – et comment se coordonnent-ils pour accompagner les pays africains ?
E. D.-N. : Leur rôle est crucial. Ils accompagnent les pays dans la formulation de politiques fiscales adaptées à leurs économies, mais aussi dans le renforcement des administrations : enquêtes efficaces, simplification des procédures, amélioration de la gouvernance, développement des capacités organisationnelles.
Le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE et d’autres partenaires travaillent de manière coordonnée, notamment via la Plateforme de collaboration sur la fiscalité ou encore l’initiative Domestic Resource Mobilization. Au FMI, nous utilisons aussi des outils comme le TADAT (Tax Administration Diagnostic Assessment Tool), qui permet d’évaluer la performance des administrations fiscales par rapport aux meilleures pratiques, ou encore l’ISORA, une enquête internationale conjointe avec d’autres institutions. L’idée est de délivrer des conseils cohérents et harmonisés.
« Le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE et d’autres partenaires travaillent de manière coordonnée, notamment via la Plateforme de collaboration sur la fiscalité ou encore l’initiative Domestic Resource Mobilization »

Peut-on chiffrer de manière réaliste le potentiel de recettes fiscales supplémentaires que l’Afrique subsaharienne pourrait mobiliser dans les prochaines années ?
E. D.-N. : Beaucoup de pays de la région présentent des contraintes institutionnelles fortes. Mais il est clair qu’il existe un potentiel considérable : des études du FMI montrent que les pays qui perçoivent moins de 15 % du PIB en recettes fiscales ont davantage de difficultés à financer les services publics et à se développer. Pourtant, nombre d’entre eux pourraient mobiliser 3 à 6 points de PIB supplémentaires sans créer une pression excessive.
Il n’y a pas de seuil universel applicable : chaque pays doit calibrer la collecte selon ses besoins (éducation, santé, infrastructures, protection sociale).
« Des études du FMI montrent que les pays qui perçoivent moins de 15 % du PIB en recettes fiscales ont davantage de difficultés à financer les services publics et à se développer »

Pour les pays francophones, soumis à un cadre régional commun, comment trouver l’équilibre entre réformes fiscales ambitieuses et soutien à la croissance économique ?
E. D.-N. : Ces pays ont une caractéristique unique : l’existence d’un cadre monétaire et fiscal commun au sein des unions régionales. Cela facilite la coordination et l’harmonisation des politiques fiscales, notamment sur la TVA.
À l’avenir, ces mécanismes régionaux joueront un rôle clé. Les réformes prioritaires pourraient consister à rationaliser la base de la TVA, harmoniser les taux minimaux, ou encore limiter les exonérations fiscales, qui réduisent souvent les recettes sans bénéfice avéré.
« Les réformes prioritaires pourraient consister à rationaliser la base de la TVA, harmoniser les taux minimaux, ou encore limiter les exonérations fiscales »
En parallèle, l’amélioration de la qualité des administrations fiscales est essentielle. Les citoyens acceptent davantage de payer l’impôt lorsqu’ils ont confiance dans l’usage qui en est fait. Le lien entre recettes publiques et qualité des services rendus reste donc fondamental.
« L’amélioration de la qualité des administrations fiscales est essentielle »
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