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Espérance Belau professionnalise la filière de la production du manioc en RDC

Espérance Belau professionnalise la filière de la production du manioc en RDC

©Pitsh Pictures

De la production agricole à la création d’organismes de microfinance pour des solutions d’inclusion financière, l’entrepreneure Espérance Belau Lila s’emploie à structurer les petits producteurs congolais de manioc. Objectif : réduire la pauvreté dans les milieux ruraux, faciliter l’accès aux produits financiers et favoriser le bien-être des populations à faibles revenus. 

Propos recueillis par Patrick Ndungidi

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Quelle est la vocation de l’association Qualagric, dont vous êtes la fondatrice ?

L’Asbl Qualagric pour « Qualité de vie des producteurs et transformateurs des produits agricoles », regroupe, structure, encadre, forme et accompagne les petits producteurs. Nous faisons du plaidoyer et recherchons les soutiens financiers dont ils ont besoin. Nous rachetons toute leur production, transformons leurs produits et les mettons sur le marché.  Nous avons récemment signé une convention de financement de 400 000 euros avec Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AFD), qui va nous permettre d’équiper 750 petits producteurs, dont 60 % de femmes.

Pourquoi le choix du manioc, alors que beaucoup d’autres produits agricoles existent en RDC ?

Le manioc est le seul produit agricole que la RDC n’importe pas encore et le seul produit cultivé dans toutes les 26 provinces du pays. Il a aussi un énorme potentiel en termes de sous-produits comme la farine panifiable, l’amidon, les engrais organiques, les aliments pour bétails, les biocarburants, etc.

Vous êtes également entrepreneure. Quelles sont vos activités ?

Il y a près de 15 ans, j’ai fondé le groupe BELPES SARL, qui regroupe la Centrale d’achat du Congo, l’usine de transformation, la Centrale du Congo et BEL Consulting (montage de projet, formation, coaching et mentorat). Via notre centrale d’achat, nous rachetons la production des paysans dans la filière du manioc et la transformons en farine dans notre usine à Kinshasa. Nous achetons également les paddys (riz non décortiqué, NDLR) et les transformons en riz blanc que nous commercialisons. À partir du maïs, nous produisons de la semoule. Notre entreprise est membre de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), le plus grand patronat congolais, au sein duquel je suis administratrice, première vice-présidente de la commission nationale agriculture et forêts, ainsi que première vice-présidente de la commission nationale des femmes entrepreneures.

Qui sont vos clients ?

Ce sont les chaînes de supermarchés de Kinshasa. Ce sont elles qui distribuent nos produits. Dans les trois prochaines années, nous comptons élargir leur distribution à tous les autres détaillants de Kinshasa.

Quels sont les chiffres clés de vos différentes activités ?

À ce jour, nous écoulons 120 tonnes de riz local par an, ainsi que 300 tonnes de manioc et de maïs. En outre, grâce à notre action, 12 114 agriculteurs ont été encadrés et soutenus, dont 60 % de femmes, 2 827 coopératives et organisations paysannes ont été appuyées et 24 500 hectares de surface ont été cultivées à travers tout le pays. Enfin, nous dénombrons près de 140 000 bénéficiaires indirects dans les communautés où nous sommes intervenus.

Qu’est-ce que votre entreprise a changé dans la vie des petits producteurs ?

La plupart d’entre eux ne vivent pas à 100 % de leur production. C’est pourquoi je suis en train de professionnaliser le métier d’agriculteur et de valoriser la filière du manioc. Nous les avons organisés en coopératives et associations paysannes, pour qu’ils puissent vendre en groupe. Ils sont ainsi payés sans avoir à se déplacer et ont sensiblement augmenté leurs gains avec la vente de manioc. En outre, le riz blanc produit à Kinshasa leur a aussi permis d’augmenter leurs revenus et leurs volumes de production. Dans le partenariat scellé avec Proparco, nous collaborons avec l’Institut international des plantes tropicales (IITA) pour permettre aux petits producteurs d’avoir accès à des boutures améliorées (résilientes face aux maladies) et de renforcer leur savoir en bonnes pratiques agricoles et en gestion.

Quels sont les challenges auxquels vous faites face ?

Le manque d’infrastructures routières ; l’absence d’infrastructures de stockage après la distribution ; l’accès à l’énergie ; la mécanisation, car dans les villages, on continue à cultiver avec la houe ; l’absence d’agronomes dans les villages, notamment pour mener des études. Aujourd’hui, sans la recherche, il est impossible de produire en quantité et en qualité. L’accès aux produits financiers constitue un autre grand défi pour le secteur agricole dans notre pays, où 70 % de la population vit en milieu rural.

Depuis 2019, vous êtes la présidente du conseil d’administration de la fédération MC2 network RDC. Quel est le rôle de ce réseau ?

Il a pour mission d’implémenter à travers toute la RDC les mutuelles financières des femmes africaines (MUFFA) et la mutuelle de croissance communautaire MC2. Celles-ci, qui ont déjà fait leurs preuves en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, permettent l’inclusion financière des couches de la population à très faibles revenus. Cela leur permet d’avoir des comptes épargne et d’avoir accès à nos crédits, qui vont de 50 à 5000 dollars [de 44,50 euros à 4450 euros environ, NDLR]. À ce jour, nous sommes présents dans 8 provinces de la RDC et comptons 8 000 adhérents, avec un portefeuille d’épargne de plus de 1 million de dollars [environ 889 000 euros, NDLR].

Quels sont vos projets ?

Aujourd’hui, la RDC importe pour plus de 2 milliards de dollars [1,7 milliard d’euros, NDLR]. Si cet argent était investi pour accompagner la production locale, le pays pourrait nourrir toute l’Afrique. D’où la nécessité d’une volonté politique agricole claire et de politiques adéquates qui tiennent compte des réalités de nos provinces et des populations locales. Mon plus grand projet est d’installer en RDC un marché comme celui de Rungis en France [le plus grand marché de produits agricoles au monde, NDLR]. Les provinces seraient ainsi interconnectées, chacune pouvant consommer des produits en provenance des autres.      

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