Le milliardaire nigérian Aliko Dangote et Ethiopian Investment Holdings annoncent un partenariat historique pour construire une usine d’engrais à Gode, en Éthiopie. Avec une capacité annuelle de 3 millions de tonnes, ce projet vise à réduire la dépendance aux importations, moderniser l’agriculture et positionner l’Éthiopie comme hub régional de production d’engrais. Analyse
Par Dounia Ben Mohamed
L’Afrique fait face à un déficit chronique d’engrais. Moins de 5 % de la consommation mondiale est produite sur le continent, obligeant de nombreux pays à dépendre des importations et exposant les agriculteurs aux fluctuations des prix mondiaux. Dans ce contexte, le projet d’usine d’engrais d’Aliko Dangote et de l’État éthiopien constitue une initiative stratégique majeure.
Selon le communiqué de presse officiel, Ethiopian Investment Holdings (EIH), bras stratégique du gouvernement éthiopien, et Dangote Group ont signé le 28 août dernier un accord pour développer, construire et exploiter un complexe d’engrais à l’urée de 2,5 milliards de dollars à Gode, dans la région Somali. « Cette usine figurera parmi les cinq plus grandes installations de production d’urée au monde », souligne le communiqué. La capacité prévue est de 3 millions de tonnes métriques par an, et la structure de propriété (Dangote détiendra 60 % du projet, contre 40 % pour EIH) garantit une forte participation éthiopienne.
« Cette usine figurera parmi les cinq plus grandes installations de production d’urée au monde »
“Une Étape Significative Vers l’Autosuffisance Industrielle et la Modernisation Agricole“
Le Dr Brook Taye, PDG d’EIH, précise : « Actuellement, l’Éthiopie dépense une part importante de devises pour importer des engrais, et ce projet nous permettra de valoriser les réserves de gaz naturel locales de Hilala et Calub pour produire des engrais de haute qualité sur place. EIH détient une participation de 40 % dans ce projet. Notre rôle dépasse la simple contribution financière : nous représentons le gouvernement éthiopien en tant que partenaire stratégique, en veillant à l’alignement sur les politiques nationales, à l’engagement des parties prenantes locales et à la protection des intérêts à long terme du pays. Cette structure garantit que l’Éthiopie possède à la fois la propriété et l’influence sur l’un de ses projets industriels les plus transformateurs ».
Et d’ajouter : « Cet accord marque une étape significative vers l’autosuffisance industrielle et la modernisation agricole. Ce partenariat apportera une valeur considérable aux agriculteurs éthiopiens, contribuera à la sécurité alimentaire et générera des bénéfices économiques importants pour notre pays ».
« L’Éthiopie possède à la fois la propriété et l’influence sur l’un de ses projets industriels les plus transformateurs »
“Un Moment Clé Pour Industrialiser l’Afrique et Renforcer la Sécurité Alimentaire du Continent “
Pour Dangote, l’objectif est clair : « Ce partenariat représente un moment clé pour industrialiser l’Afrique et renforcer la sécurité alimentaire du continent. La combinaison de l’expérience de Dangote dans les méga-projets industriels et des ressources stratégiques de l’Éthiopie fera de cette usine un catalyseur pour la productivité agricole dans toute la région ».
L’impact stratégique va au-delà de l’Éthiopie. Le projet prévoit la construction d’infrastructures de transport de gaz et de stockage, ainsi que des capacités d’exportation pour desservir les marchés régionaux. Il pourrait devenir un levier pour réduire les importations dans les pays voisins et accroître la production agricole à l’échelle de l’Afrique de l’Est.
« Le projet prévoit la construction d’infrastructures de transport de gaz et de stockage, ainsi que des capacités d’exportation pour desservir les marchés régionaux »
L’Éthiopie : Un Pôle Industriel Régional
Un projet qui s’inscrit dans la stratégie ambitieuse de l’Éthiopie pour son industrialisation, avec des résultats déjà tangibles en 2025. Le gouvernement vise une croissance industrielle de 12,8 % pour l’exercice 2025/26, soutenue par des investissements dans les infrastructures, les zones industrielles et les réformes économiques. Le secteur manufacturier, en particulier, connaît une expansion notable. Le produit intérieur brut (PIB) issu de la production industrielle devrait atteindre environ 14,7 milliards de dollars d’ici la fin de l’année. Des projets emblématiques illustrent cette dynamique. Le parc industriel de Hawassa, par exemple, est devenu un centre majeur pour l’industrie textile, attirant des investissements étrangers et générant des milliers d’emplois. Le gouvernement éthiopien a également mis en place des zones franches, comme celle de Dire Dawa, pour stimuler le commerce et l’investissement. Ces initiatives s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à faire de l’Éthiopie un pôle industriel régional, en diversifiant son économie et en réduisant sa dépendance à l’agriculture.
« Le gouvernement vise une croissance industrielle de 12,8 % pour l’exercice 2025/26, soutenue par des investissements dans les infrastructures, les zones industrielles et les réformes économiques »
Logistique, Gouvernance, Volatilité des Prix … Des Défis Considérables
En revanche, les défis restent considérables pour concrétiser la révolution agricole que Dangote ambitionne de mettre en œuvre : logistique, gouvernance, volatilité des prix des intrants et intégration dans les objectifs panafricains, comme l’Agenda 2063 et la ZLECAf. Mais ce projet illustre comment un investissement privé de grande envergure, soutenu par un partenaire public stratégique, peut changer la donne pour l’agriculture africaine.