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Face à l’essor des cryptomonnaies en Afrique, la régulation supplante progressivement la prohibition

Parallèlement à ce qui se passe en Europe, certains pays africains commencent à réviser leur jugement concernant les cryptomonnaies, et formulent l’intention de se doter d’un cadre réglementaire pour les prestataires de services sur les actifs numériques.

Par Raphael Rossignol


Les répercussions de la faillite de FTX et de l’enquête autour de Binance se sont fait sentir jusqu’en Afrique. Ces dernières années, FTX et Alameda Research (le fonds d’investissement par lequel le scandale est arrivé) avaient investi dans un ensemble d’entreprises crypto, de l’Égypte à l’Afrique du Sud, et avait engagé plus de 10 000 « ambassadeurs » de marque pour accélérer leur expansion. Au moment de sa chute, FTX avait plus de 100 000 utilisateurs en Afrique, certaines des entreprises investies l’utilisant également comme banque. Si a priori toutes ne sont pas également touchées par la faillite de FTX, les clients ayant vu disparaître parfois l’ensemble de leurs économies, et les ambassadeurs qui les ont incités à les confier à l’exchange, sont les premières victimes d’une industrie qui a connu son lot de fraudes sur le continent.


Une Adoption Populaire

En effet, bien que découragé dans la plupart des pays, voire interdit dans huit d’entre eux, l’usage des cryptomonnaies est plébiscité par de nombreux utilisateurs sous-bancarisés et souhaitant bénéficier des avantages spécifiques des cryptomonnaies : paiements transfrontaliers à frais réduits, et produits financiers rémunérateurs. Au point que le continent compte aujourd’hui près de 55,3 millions d’utilisateurs dans 33 pays du continent incluant même ceux où les cryptomonnaies sont interdites, le Nigéria, le Kenya et l’Afrique du Sud représentant 65 % du total. Au Nigéria, dont le volume de transactions a cru de 9 % entre 2022 et 2023 pour s’établir à 56,7 milliards de dollars (52,5 milliards d’euros), la défiance envers le naira a été un moteur essentiel de l’adoption des cryptomonnaies. L’interdiction faite aux institutions financières du pays de négocier des cryptomonnaies n’a pas eu d’effet notable sur leur adoption. Comme au Maroc et dans d’autres pays les ayant interdits, l’incapacité des États à endiguer le mouvement les conduit à réviser leur attitude, et à passer de la prohibition à la régulation.


Réguler Plutôt Que Prohiber

À ce jour, si l’Afrique du Sud et Maurice jouent le rôle de précurseurs, le Maroc témoigne d’un changement de regard, et entend accompagner l’innovation. Mais pour d’autres pays comme le Nigéria et le Kenya, ou encore l’Égypte et le Ghana, ce sont respectivement les projets de cryptomonnaies de banques centrales (CBDC) et le cadre fiscal de taxation des transactions sur cryptomonnaies, qui pourraient à l’avenir faire avancer les débats sur la régulation de cryptoactifs jusqu’ici tenus hors du cadre légal. Le paradoxe d’une adoption populaire croissante et de cadres légaux restrictifs ne saurait perdurer, et ce d’autant moins que les cryptoactifs représentent à la fois une source de revenus fiscaux et un modèle pour le développement de CBDC destinées à une meilleure maîtrise des flux monétaires dans des pays où l’économie informelle prive les États de rentrées fiscales, mais aussi d’une manne d’informations macroéconomiques, qu’une traçabilité accrue des flux monétaires pourrait permettre de collecter au service des politiques monétaires nationales.


Forbes Afrique : Quelles sont les différences entre les approches européennes et américaines concernant la régulation, avec quels avantages et quels inconvénients ?

Stéphanie Cabossioras : Les Européens adoptent une approche plus progressive de la régulation des cryptomonnaies. En effet, la régulation européenne a débuté assez tôt, notamment en France avec la loi Pacte en 2019. Par la suite, les autorités européennes ont continué à réfléchir, et le règlement européen MICA a été publié en 2022. On constate donc que la régulation s’étend sur plusieurs années, permettant aux acteurs de s’adapter, de développer leurs compétences et de participer à la co-construction des textes réglementaires. C’est une approche davantage axée sur la prévention des risques. Aux États-Unis, la clarification juridique intervient plutôt a posteriori. Ainsi, la différence fondamentale réside dans le fait qu’en Europe, l’approche est davantage axée sur la gestion proactive des risques, avec une tolérance au risque peut-être plus modérée, tandis qu’aux États-Unis, la régulation intervient a posteriori et délimite la frontière entre le droit financier traditionnel et le droit public.


Est-ce la fin de l’écosystème crypto indépendant de l’industrie bancaire ?

S. C. : Nous observons déjà des similitudes croissantes au niveau de la réglementation et de la perception de ces activités au sein de nos sociétés. La crypto se tourne vers la finance traditionnelle en s’institutionnalisant et en devenant régulée, tandis que la finance traditionnelle s’oriente vers la crypto en développant des produits et des services basés sur cette technologie innovante. Cependant, là où persiste une grande différence, c’est dans le domaine de la DeFi (Finance Décentralisée). Il s’agit d’un écosystème porteur d’énormes innovations. Je crois fermement qu’il aura un impact considérable sur la prestation des services financiers. Cependant, la DeFi reste plutôt circonscrite au monde de la crypto et n’a pas encore touché la finance traditionnelle.


Les cryptomonnaies sont-elles désormais vues comme des actifs banalisés ? Inversement, les crypto entrent-elles dans l’économie réelle ?

S. C. : Déjà, en ce qui concerne les actifs numériques, on observe clairement un mouvement très en vogue qui va continuer à se développer, à savoir la tokenisation d’actifs financiers. Cela permet de transférer des actions, des obligations et des parts de fonds, actuellement émis dans le système financier traditionnel, sur la blockchain. On pourrait envisager de payer les actions en bitcoin, par exemple. Progressivement, je pense que les liens entre les cryptomonnaies et l’économie réelle vont se renforcer, et je considère cela comme positif. Cela ouvrira de nouvelles sources de financement, et pourrait impliquer davantage les investisseurs finaux dans le financement d’entreprises et de projets innovants, que ce soit dans le domaine du web3 ou dans tout autre secteur de l’économie.



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