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Fatiya Diene Mazza : “La Demande De Logements Est Particulièrement Pressante à Dakar”

À la tête du cabinet ID+EA (Innovating Design+ Engineered architecture), à Dakar, l’architecte sénégalaise Fatiya Diene Mazza – dont la démarche créatrice conjugue innovation, fonctionnalité et impact social – construit, réhabilite et aménage des édifices symbolisant une nouvelle approche de l’espace public et privé : gare de Diamniadio, Black Rock résidence, nouvelle tour de la radio-télévision sénégalaise (RTS)… Son style architectural intègre également des aspects environnementaux, ainsi que l’utilisation de matériaux locaux. Entretien avec une architecte innovante qui définit les espaces pour un meilleur épanouissement de l’activité humaine.

Propos recueillis par Patrick Ndungidi


Forbes Afrique : Parlez-nous de votre expérience d’architecte…

Fatiya Diene Mazza : Je suis architecte depuis 2007. J’ai obtenu ma licence et mon master en architecture, respectivement en 2007 et en 2008 à la Northeastern University, à Boston, aux USA. Par la suite, j’ai déménagé à San Francisco pour intégrer HOK, un grand cabinet d’architecture présent à travers le monde. Chez HOK, j’ai travaillé sur le projet de l’aéroport international de Doha, au Qatar, et de l’aéroport de Salt Lake City, aux USA. Chaque architecte travaillait sur une partie du projet, sous la supervision d’un architecte en chef. Je suis restée chez HOK pendant 4 ans et demi. En 2010, j’ai quitté les USA, car j’ai toujours voulu rentrer au Sénégal. Mais j’ai transité par le Brésil, particulièrement à São Paulo.


Comment s’est déroulée cette transition dans cette ville brésilienne à la riche tradition architecturale ?

F. D. M. : La transition a été riche du point de vue professionnel. Je travaillais dans un petit studio architectural, passant ainsi d’un grand cabinet international à une « Small Practice », la petite entreprise architecturale qui réalise 4 à 5 projets par an et qui prend le temps d’affiner le projet jusqu’au plus petit détail. En outre, travailler au Brésil a constitué un retour vers les matériaux de l’hémisphère Sud. Cette appropriation du béton à l’état brut et du bois également, un matériau multifonctionnel aux usages multiples ; une architecture bioclimatique permettant une ventilation naturelle à l’intérieur des espaces, tout en prenant en compte l’ensoleillement et la nature. À partir du Brésil, j’ai commencé à participer à des concours à distance au Sénégal et à réaliser des projets résidentiels. Je constituais l’équipe de mon cabinet au fur et à mesure de mes voyages au Sénégal. Étant donné que le nombre de projets augmentait, j’ai fait le choix en 2015 de m’installer définitivement à Dakar et le cabinet a été lancé la même année.


Comment définiriez-vous votre style architectural ?

F. D. M. : Notre style architectural est à la fois innovant et fonctionnel, avec un fort impact transformationnel et sociétal. Pour nous, concevoir un bâtiment va bien au-delà de sa simple fonctionnalité ou esthétique. Nous nous engageons à ce que chaque projet génère des retombées économiques et renforce le tissu social de la communauté. Cet engagement forme l’éthos de notre cabinet et guide toutes nos réalisations, assurant que chaque espace que nous créons contribue positivement à son environnement et à ses utilisateurs.

« Pour nous, concevoir un bâtiment va bien au-delà de sa simple fonctionnalité ou esthétique. Nous nous engageons à ce que chaque projet génère des retombées économiques et renforce le tissu social de la communauté ».


Depuis votre retour au Sénégal, sur combien de projets avez-vous travaillé et quels sont les projets notables que vous avez développés ?

F. D. M. : Depuis mon retour au Sénégal, j’ai eu l’opportunité de travailler sur un nombre varié de projets, chacun représentant une initiative d’envergure à nos yeux, quelle que soit sa taille ou sa portée. Chaque projet que nous acceptons est intrinsèquement un projet de grande envergure, car il répond à un besoin crucial et porte une vision transformatrice.

Parmi les projets notables sur lesquels nous travaillons, il y a la Pouponnière de Guédiawaye, un projet social d’une importance capitale qui vise à offrir un environnement sécurisant et stimulant pour le développement précoce des enfants et leurs mamans dans un espace sécurisé.

Nous travaillons également sur des projets visant à moderniser l’infrastructure urbaine, comme la gare emblématique de Diamniadio qui transforme l’expérience de transport pour les habitants, leur permettant un accès rapide et moderne aux autres centres vitaux de Dakar.

En outre, The Black Rock House est un autre projet phare. Ce lieu est conçu pour soutenir les artistes nationaux et internationaux, en leur fournissant l’infrastructure nécessaire pour s’épanouir et développer pleinement leur créativité. C’est un espace qui favorise l’innovation culturelle et enrichit le paysage artistique du Sénégal.

Pour la villa Ubikwiti, nous avons mis l’accent sur la modernisation des techniques ancestrales de la construction en terre, comme la durabilité, l’utilisation de matériaux locaux, ou des solutions de conception innovantes.

Un autre projet significatif est le projet de l’Orphelinat de Tambacounda. Ce projet dépasse la simple construction architecturale pour devenir un véritable havre de paix pour les enfants en quête d’un foyer. Conçu avec des matériaux locaux et dans le respect des traditions, tout en intégrant des innovations durables, l’orphelinat est un symbole d’espoir et de progrès.

Enfin, nous avons la RTS, un projet destiné aux professionnels des médias, offrant un cadre optimal qui améliore les conditions de travail et répond également aux standards internationaux, permettant une meilleure diffusion de l’information à travers le Sénégal.


Comment avez-vous été choisie pour la conception de la gare de Diamniadio ?

F. D. M. : La conception de cette gare s’inscrit dans le cadre des partenariats public-privé (PPP), un modèle fréquemment utilisé pour ce type de grands projets d’infrastructure. Nous avons été approchés par des entreprises de BTP qui nous ont sollicités pour développer une proposition spécifique. Après avoir élaboré cette proposition, nous l’avons soumise à l’État dans le cadre d’un appel d’offres. Suite à l’acceptation de notre proposition, celle-ci a été financée.

Ce processus est typique pour la majorité des projets d’envergure. Pour la gare de Diamniadio, nous avons choisi une approche particulièrement innovante et audacieuse, en allant jusqu’au bout de la vision de design que nous voulions créer. Notre objectif était de proposer non seulement une structure fonctionnelle, mais également un espace emblématique qui reflète les aspirations modernes et dynamiques de la ville de Diamniadio.


Combien coûte en moyenne un projet sur lequel vous intervenez ?

F. D. M. : Cette question est complexe, car chaque projet est unique et les coûts varient grandement selon leur nature et leur échelle. Pour les projets résidentiels, par exemple, les coûts peuvent démarrer à environ 150 millions de francs CFA (environ 229 000 euros) et peuvent atteindre jusqu’à 700 ou 800 millions de francs CFA (1 million à 1,2 million d’euros) pour l’exécution complète.

Concernant les projets étatiques, les coûts peuvent être encore plus variables. Par exemple, le projet de rénovation de la Radio-Télévision Sénégalaise (RTS) a été estimé à 33 milliards de francs CFA (Information publique), soit environ 50 millions d’euros.

Pour d’autres projets gouvernementaux ou publics, nous appliquons généralement des honoraires conformément aux barèmes de l’ordre des architectes qui varient selon la catégorie et le type de projet.

Il est également important de noter que pour les projets de plus petite envergure, comme celui à 98 millions de francs CFA (149 800 euros environ) pour l’exécution, par exemple, nos honoraires restent modestes. Ainsi, bien que les coûts varient considérablement, notre objectif reste de fournir une valeur exceptionnelle tout en respectant les budgets et les exigences spécifiques de chaque client.

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Vous êtes favorable à l’utilisation de matériaux locaux. Quels sont ceux que vous utilisez dans vos projets au Sénégal ?

F. D. M. : Nous sommes effectivement favorables à l’utilisation de matériaux locaux dans nos projets, intégrant judicieusement matériaux innovants et traditionnels, selon les spécificités de chaque projet. Par exemple, pour la gare de Diamniadio, nous avons utilisé du Corian, qui bien que non disponible localement, correspondait parfaitement à la vision de ce que nous souhaitions réaliser pour ce projet emblématique.

Cependant, notre engagement pour l’utilisation de matériaux locaux est illustré par notre recours fréquent à la terre crue, choisie pour ses propriétés thermiques exceptionnelles. Les briques en terre crue (BTC), utilisées dans certains de nos projets, permettent une isolation naturelle remarquable, où la différence de température entre l’intérieur et l’extérieur peut atteindre jusqu’à 4 degrés. Ce choix matériel facilite non seulement la construction et réduit les coûts, mais améliore également l’impact environnemental du bâtiment et sa durabilité.

En outre, nous utilisons le Pisé, une forme d’argile traditionnelle, adaptée de manière innovante pour répondre aux exigences contemporaines. Nous avons notamment développé un projet résidentiel entièrement en Pisé, une première pour notre équipe, où nous avons appris à maîtriser ce matériau en même temps que les ouvriers. Ce projet a été l’occasion de revisiter des méthodes de construction ancestrales et de les transformer pour créer une esthétique nouvelle. Tout au long de ce processus, nous étions accompagnés par un bureau de contrôle pour assurer la qualité et la sécurité de la construction.

Travailler avec des matériaux locaux et traditionnels ne se limite pas à une question de construction ; c’est aussi une façon de renforcer les compétences locales et de rendre hommage à l’héritage architectural africain, tout en l’adaptant aux nécessités modernes.

« Notre engagement pour l’utilisation de matériaux locaux est illustré par notre recours fréquent à la terre crue »


Quels sont aujourd’hui les nouveaux besoins en termes d’architecture et comment se présente le marché de l’architecture au Sénégal ? 

F. D. M. : Au Sénégal, 70 % des constructions sont réalisées sans consulter les architectes, ce qui entraîne beaucoup d’erreurs dans la conception des projets ou des plans. Le nombre réduit d’architectes dans le pays ou une méconnaissance du métier peut sans doute expliquer cet état des choses. Certaines personnes ne savent pas qu’elles ont besoin d’un architecte pour planifier et réaliser tout projet au-delà de 150 m2.

« Dakar a besoin de nouveaux logements. La ville n’a pas été prévue pour autant d’habitants ».

Dakar a besoin de nouveaux logements. La ville n’a pas été prévue pour autant d’habitants. Les zones résidentielles traditionnelles étaient dotées d’un espace de 1000 m2 par parcelle. Actuellement, elles ont été réduites à 150 m2, ce qui cause des problèmes et rend complexe le vivre-ensemble. La réduction des espaces a obligé la population à construire en vertical et dans les zones interdites de construction, générant ainsi de la tension sociale dans une ville surpeuplée.

De plus, la demande de logements est particulièrement pressante, en lien avec le rôle de Dakar comme pôle économique du pays, attirant davantage de personnes dans la ville pour des opportunités économiques.

Le marché de l’architecture au Sénégal, bien que dynamique, doit s’adapter rapidement à ces demandes changeantes. Il y a un besoin croissant de solutions de logement innovantes qui peuvent accommoder l’augmentation de la densité de population sans sacrifier la qualité de vie. Cela inclut l’exploration de pratiques de construction durables qui peuvent aider à atténuer l’impact de l’étalement urbain et intégrer la technologie pour rendre les bâtiments plus intelligents et plus efficaces.

« Au Sénégal, 70 % des constructions sont réalisées sans consulter les architectes »


L’innovation est un leitmotiv pour vous. Qui sont les architectes qui vous inspirent ?

F. D. M. : L’innovation est effectivement un pilier central de ma démarche en architecture. Parmi les architectes qui m’inspirent le plus, je tiens à mentionner Koffi et Diabaté, deux professionnels extrêmement innovants. Leur travail est remarquable non seulement pour son innovation mais aussi pour sa capacité à intégrer harmonieusement notre architecture locale avec une touche de modernité. Cela permet à l’architecture africaine de se moderniser et d’évoluer avec son temps, représentant un modèle vibrant de développement et d’adaptation culturelle. Je suis régulièrement leur travail, leurs ateliers et leurs conférences, qui sont pour moi une source constante d’inspiration.

Mon père, également architecte, a joué un rôle crucial dans ma vie. Il m’a transmis le goût de ce métier et continue d’être ma plus grande inspiration. Son approche du design et de l’architecture a profondément influencé ma vision.

Sur la scène internationale, Zaha Hadid est une figure emblématique dont le travail résonne particulièrement avec moi, notamment pour son approche iconoclaste de l’architecture. Ses créations, qui transforment les formes de manière audacieuse, captent l’attention et provoquent des émotions. Chacune de ses œuvres est une véritable sculpture offerte au public.

Enfin, Jean Nouvel, dont les intérieurs sont conçus pour évoquer des émotions à chaque détail, a également une influence notable sur ma pratique. Son habileté à créer des espaces qui touchent profondément ceux qui les habitent est quelque chose que j’aspire à incorporer dans mes propres projets.


Quels sont vos projets ?

F. D. M. : Nos projets professionnels sont vastes et variés, couvrant plusieurs secteurs clés à travers la sous-région. Au Sénégal, nous nous concentrons particulièrement sur le développement de projets dans le secteur éducatif. Nous travaillons à la création d’écoles qui, au-delà de leur fonction éducative, ont un fort impact social, contribuant à l’éducation de notre jeunesse et à la préparation de l’avenir de notre pays.

Parallèlement, nous sommes activement engagés dans le secteur du tourisme, où nous développons des complexes hôteliers et des resorts. Ces projets ne se limitent pas à offrir des services de luxe, mais sont conçus pour générer un impact économique significatif et promouvoir le développement local. Nous intégrons des aspects sociaux dans ces projets, visant à enrichir les communautés locales non seulement par la création d’emplois, mais aussi par le développement d’infrastructures qui bénéficient à l’ensemble de la région.

Ces initiatives reflètent notre engagement à utiliser l’architecture comme un outil pour le développement durable et social. En mettant en place des structures qui servent la communauté et stimulent l’économie locale, nous espérons contribuer de manière significative à l’amélioration de la qualité de vie au Sénégal et dans la sous-région.


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