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Marie-Chantal Kaninda, la dame de fer des mines congolaises

Propulsée présidente de Glencore RDC, la filiale congolaise du géant mondial du négoce des matières premières, Marie-Chantal Kaninda est aujourd’hui l’une des femmes les plus puissantes du continent. Portrait d’une dirigeante qui a su s’imposer dans un monde d’hommes.

Par Patrick Ndungidi


À la tête de Glencore RDC depuis le début de l’année, Marie-Chantal Kaninda prend les rênes de la filiale congolaise du groupe anglo-suisse à un moment charnière de son histoire, le géant mondial du négoce et de l’extraction des matières premières cherchant aujourd’hui à donner des gages aux autorités du pays après avoir été pointé du doigt pour des actes de corruption entre 2007 et 2018. En décembre 2022, la direction de la société, basée en Suisse, a indiqué que dans le cadre d’un accord passé avec la République démocratique du Congo, elle s’engageait à payer 180 millions de dollars pour solder les litiges concernant ces accusations de corruption, mises en lumière par une enquête de l’agence anticorruption britannique Serious Fraud Office (SFO). 

Pour beaucoup, la nomination de Marie-Chantal Kaninda à ce poste prouve en tous les cas qu’elle a les épaules suffisamment solides pour faire face à la situation et maintenir la filiale congolaise de la multinationale sur les bons rails. Une décision qui doit sans doute aussi à son engagement en tant que présidente de l’Initiative anticorruption pour le secteur privé de la RDC — dans le cadre duquel elle a contribué à élaborer le premier Code de bonne conduite du secteur privé congolais en partenariat avec la Fédération des entreprises du Congo (FEC), ayant conduit à la signature du Pacte national de lutte contre la corruption en RDC en décembre 2013 par les secteurs public et privé et la société civile. 


L’assurance du travail bien fait

Avec plus de vingt-cinq années d’expérience dans le secteur minier, Marie-Chantal Kanida affiche une assurance tranquille dans ce milieu encore très masculin, où elle a fait l’essentiel de sa carrière avec la « difficulté » d’être une femme. En dépit de cette difficulté, elle a su briser plusieurs plafonds de verre et occupé des postes de direction et de gestion dans les départements des ressources humaines, des relations extérieures, de la communication et des fonctions de performance sociale, devenant notamment la première Africaine à occuper les plus hautes fonctions au sein du Conseil mondial du diamant et du conseil d’administration de Kamoto Copper Company, une entreprise de la filière cuprifère cogérée par Glencore et la société publique congolaise Gécamines. Son expérience dans le secteur minier en Afrique s’est forgée dans de nombreux pays, dont la République démocratique du Congo, la République centrafricaine, la Guinée, le Cameroun, l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, l’Angola, la Namibie, le Botswana, ou encore Madagascar. Un parcours qui a amené cette fille de diplomate à parfaire son ouverture à l’Autre et s’ouvrir à diverses cultures, aussi bien africaines qu’européennes ou anglophones, tout en faisant siennes certaines qualités indispensables pour tracer son chemin au sein des grandes multinationales. ANINDA WEB


De l’or au diamant

Titulaire d’une licence d’économie obtenue à l’université de Liège (Belgique), Marie-Chantal Kaninda effectue ses premières armes dans le secteur aurifère en 1998, en rejoignant le groupe ghanéen Ashanti Goldfields, où elle occupe pendant cinq ans le poste d’Office Manager en RDC. Lorsqu’en 2003, Ashanti Goldfields fusionne avec AngloGold pour devenir AngloGold Ashanti, la jeune femme continue d’évoluer au sein de l’administration de la nouvelle société, passant Administration Business Manager et assurant la gestion des ressources humaines. 

En 2005, elle quitte le secteur de l’or pour celui du diamant en intégrant l’entreprise sud-africaine De Beers, premier conglomérat diamantaire du monde. Pendant six ans, elle y occupe plusieurs postes de responsabilité, dont la direction des ressources humaines et celle des affaires externes, et officie également en tant que gestionnaire de communautés pour les missions du groupe en RDC, en Angola, au Botswana et en Inde, ce qui lui permet de mieux s’imprégner des réalités du secteur — une expérience qui jouera sans nul doute en faveur de sa nomination à la tête du Conseil mondial du diamant (CMD) en 2017.

En 2012, Marie-Chantal Kaninda est promue directrice des relations extérieures pour l’Afrique de la firme anglo-australienne Rio Tinto, deuxième groupe minier au monde par sa capitalisation boursière (125 milliards de dollars de valorisation). À ce poste, elle prodiguera pendant plus de quatre ans des conseils stratégiques pour le développement et le renforcement de la présence du groupe dans plusieurs pays d’Afrique. 

« La patronne congolaise est souvent décrite comme bienveillante et humble, mais elle est aussi reconnue pour sa poigne et sa rigueur dans l’exécution des tâches assignées »

Marie Chantal Kaninda ©Forbes Afrique


Rigoureuse et exigeante

Mariée et mère de deux filles, la patronne congolaise est souvent décrite comme bienveillante et humble, mais elle est aussi reconnue pour sa poigne et sa rigueur dans l’exécution des tâches assignées. « Elle porte beaucoup d’attention au travail bien fait et veut que chacun de nous donne le meilleur de soi », explique ainsi Léontine Kazamwali, assistante administrative chez Glencore RDC, qui se dit « très fière de travailler à ses côtés ». Rattaché au Corporate Affairs Support de l’entreprise, Steve Fumu estime quant à lui « [qu’une] seule citation lui va comme un gant : l’humilité précède la gloire et l’orgueil précède la chute ». 

Réputée polyvalente, Marie-Chantal Kaninda a mené plusieurs grands projets dans des secteurs différents, travaillé avec des personnes issues d’horizons divers et a toujours su s’adapter aux environnements professionnels au sein desquels elle évoluait. À travers sa structure, MCK&L Consulting Limited (un cabinet de conseil et d’accompagnement couvrant des domaines d’activité aussi variés que l’analyse, l’évaluation, les stratégies d’engagement des parties prenantes, le soutien à l’approche communicationnelle, les relations avec les communautés, les stratégies entrée et sortie de pays, la bonne gouvernance et la géopolitique…), fondée en 2016, elle a par ailleurs conseillé et guidé nombre d’entreprises sur les opportunités d’investissement en RDC, les aidant à établir leurs filiales et bureaux avec une compréhension optimale du contexte africain.  

Revers de la médaille : au cours de sa longue et riche carrière, Marie-Chantal Kaninda a aussi eu à vivre des expériences plus malheureuses, comme la fermeture de plusieurs projets en République centrafricaine et en RDC, mais en faisant chaque fois en sorte de « [préserver] la réputation des entreprises pour lesquelles [elle travaillait] », précise-t-elle. En Angola, elle a piloté avec brio la relocalisation d’une communauté rurale dans un environnement dont elle ne comprenait pas la langue et où, en tant qu’étrangère, elle devait se faire accepter pour assurer un travail conforme aux normes internationales, dans le but de protéger la réputation de la société. « Dans mon mélange de portugais, d’espagnol et de français, j’ai réussi à établir un bon contact. D’abord avec les femmes et les jeunes de la communauté, et ensuite avec les hommes. Au final, les relocalisations ont été un succès et nous ont valu les félicitations du groupe pour lequel je travaillais. Et ce modèle a été repris dans plusieurs autres pays où ce groupe avait des activités », se félicite la cheffe d’entreprise. 

« Dans une industrie minière pas vraiment réputée pour sa mixité, elle a appris à travailler comme un homme, basant sa réputation sur ses capacités intellectuelles et ses compétences professionnelles »


Miser sur les compétences

Dans une industrie minière pas vraiment réputée pour sa mixité, Marie-Chantal Kaninda a toujours pris soin d’éviter de mettre trop en avant son côté « femme ». Dans ce milieu d’hommes, elle a appris à travailler comme un homme, basant sa réputation sur ses capacités intellectuelles et ses compétences professionnelles, car, comme elle l’explique, « pendant les études, il n’y a pas de diplôme pour femme ou pour homme ». Admiratrice de certaines figures féminines comme sa mère, « partie de très peu, mais qui a pu faire de grandes choses en apprenant et en regardant les autres »… mais aussi Angela Merkel, Ellen Jonhson Sirleaf, Gracia Machel, Indira Gandhi ou encore Michelle Obama, Marie-Chantal Kaninda reconnaît néanmoins qu’en tant que femme évoluant dans l’état-major des grandes sociétés, on doit parfois chercher à s’imposer beaucoup plus. « Je trouve le secteur minier extraordinaire et passionnant. Néanmoins, il est encore à prédominance masculine, particulièrement sur le terrain, même s’il est beaucoup moins “viril” que par le passé », explique la dirigeante de Glencore RDC. 

En mars 2017, la stature internationale de Marie-Chantal Kaninda se renforce de manière décisive lorsqu’elle est nommée directrice exécutive du Conseil mondial du diamant, après avoir siégé au conseil d’administration de l’initiative multilatérale Diamond Development Initiatives (DDI). Succédant à l’Américaine Patricia Svyrud, elle devient alors la première Africaine à occuper ce poste. En tant que directrice exécutive du CMD, outre la gestion générale, le leadership, la liaison et le développement des relations avec les principales parties prenantes au sein du CMD, Marie-Chantal Kaninda a notamment coordonné la représentation du Conseil au Processus de Kimberley (un mécanisme de certification internationale mis en place au début des années 2000 pour empêcher le négoce des diamants issus de zones de conflit, NDLR), qu’elle contribuera à faire progresser. Sous son mandat, le CMD sera notamment invité à s’exprimer au Département d’État américain afin de présenter sa stratégie. Une fonction de représentation stratégique du CMD que la dirigeante congolaise endossera avec succès également aux Nations unies, au Conseil européen, à l’Union africaine, à l’OCDE ou encore à l’African Belgium Business Week (ABBW), dont elle sera plusieurs fois présidente d’honneur.


Mettre son expérience au service des autres 

En septembre 2019, après près de trois années à la tête du Conseil mondial du diamant, Marie-Chantal Kaninda rejoint Glencore RDC en tant que Vice-présidente Head of Corporate Affairs. Si la bonne gouvernance et l’assainissement du secteur privé sont à ses yeux des conditions sine qua non pour attirer plus d’investissements dans son pays d’origine, la nouvelle responsable de Glencore milite aussi depuis des années pour une meilleure inclusion des femmes dans le monde professionnel — particulièrement dans le secteur des mines — et collabore à cet effet avec la Fédération des entreprises du Congo (FEC) et la Chambre des mines

Seconde vice-présidente du Comité national de football féminin en RDC, membre de plusieurs conseils d’administration dont celui de la Standard Bank, présidente du British Congo Business Group (BCBG), mentor pour plusieurs jeunes entrepreneuses congolaises et habituée des classements Forbes Afrique des femmes les plus puissantes du continent, elle rêve de voir ses sœurs congolaises, et plus largement les Africaines, accéder plus facilement à l’éducation et à des postes de responsabilité. 

C’est dans cette optique qu’elle a créé en 2011 la fondation Marie-Chantal Kaninda Muelu (MCKM), une organisation à but non lucratif qui vise à contribuer à l’émancipation des femmes et des jeunes filles — particulièrement en milieu rural — en facilitant leur accès à l’éducation scolaire et leur insertion professionnelle. Parmi les activités de cette structure, des programmes destinés à l’instruction de la jeune fille et à l’accès des femmes aux métiers techniques, à travers l’octroi de plus de 100 bourses par an. Un engagement fort qu’elle assume pleinement. Car pour elle, c’est une évidence, «on ne peut pas parler de développement sans intégrer les femmes ».  


Portrait à la UNE du Numéro 71 de Février I Mars 2023

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