En Afrique, le Gabon fait figure de leader environnemental et jouit d’une multitude d’atouts propices au développement d’une industrie touristique pérenne. Longtemps négligé au profit de matières premières à la rentabilité plus immédiate, le secteur entame aujourd’hui une mue en profondeur sous la houlette des nouvelles autorités, qui entendent en faire un pilier stratégique de la diversification économique, levier d’un développement porteur d’inclusion et de fierté nationale.
Par Élodie Vermeil
Entre 1999 et 2000, J. Michael Fay, chercheur en conservation et explorateur résident à la National Geographic Society (NGS), a parcouru à pied quelque 4 000 km à travers un corridor forestier intact s’étendant de la République démocratique du Congo au littoral gabonais. Connue sous le nom de « MegaTransect », cette étude écologique d’une ampleur inédite a eu un impact considérable sur la conservation. Elle a notamment amené le président Omar Bongo à constituer les 13 zones identifiées par Fay et ses collègues de la Wild Conservation Society (WCS) comme habitats d’importance critique en un réseau de 13 parcs nationaux couvrant plus de 28 000 km2, soit quelque 11 % du territoire gabonais – auquel sont venus s’ajouter, en 2017, 9 parcs marins et 11 réserves aquatiques. Une décision historique qui entérinait la vocation de « Mecque de la nature » du Gabon, appelé à devenir un modèle d’écotourisme et de développement vert. Au-delà de sa biodiversité exceptionnelle et d’une variété de paysages spectaculaires l’ayant classé parmi les meilleurs endroits à visiter en 2022 selon le Condé Nast Traveler, le « dernier joyau du continent africain » peut se prévaloir d’une multitude d’atouts qui en font une destination unique en Afrique et dans le monde.
« Le « dernier joyau du continent africain » peut se prévaloir d’une multitude d’atouts qui en font une destination unique en Afrique et dans le monde »



« Après le Ciel, Dieu Créa le Gabon »
Petit pays faiblement peuplé (2,3 millions d’habitants en 2023 selon la Banque mondiale), le Gabon jouit d’une stabilité politique et sécuritaire avantageuse. Mosaïque de peuples, il abrite une cinquantaine d’ethnies à la richesse culturelle préservée (rites du Bwiti et du Ndjobi, épopée orale du Mvet, rites liés aux masques…). Berceau d’un artisanat unique, il se distingue par la pureté de lignes de ses masques – dont ceux de l’ethnie fang, qui ont changé la face du monde de l’art en inspirant un certain Picasso… – et la délicatesse de ses sculptures en pierre de Mbigou.
Terre d’aventure et de pionniers, il invoque dans un melting-pot métissé le souvenir de héros africains (Samory Touré, Kadjo Amouanga, Kpoïzoun, exilés du bagne de Ndjolé rebaptisé île de l’Almamy Samory Touré…), de Gustave Eiffel – qui a conçu et fabriqué à Paris l’église de la mission Sainte-Anne, acheminée en pièces détachées jusque dans le Fernand-Vaaz –, du «Grand Blanc de Lambaréné » (le Dr Albert Schweitzer, prix Nobel de la Paix 1953), du commandant Cousteau – objet d’une légende locale qui relève désormais du folklore national –, ou encore du résistant et aviateur Jean-Claude Brouillet, fondateur de la première école de pilotage d’Afrique noire et des compagnies TransGabon (toute première compagnie aérienne du pays qui allait plus tard devenir Air Gabon), Air Service et Corsair… Et attire, grâce à sa nature sauvage et indomptée, les derniers aventuriers de l’ère 2.0, à l’instar des Bretons du projet « Lost in the Swell », partis chercher sur ses rivages reculés des vagues encore jamais surfées. Au cœur du pays, le parc national de la Lopé, site archéologique majeur du continent, abrite des preuves de fréquentation humaine vieilles de plus de 400 000 ans, tandis que les plus anciens organismes multicellulaires connus (plus de 2 milliards d’années), découverts en 2008 du côté de Franceville, ont remis en cause tout ce que l’on savait jusque-là de l’apparition de la vie sur Terre. De quoi garantir une offre touristique riche et diversifiée et justifier le surnom de « Dernier Eden » donné à ce pays, qui porte en lui tant de promesses et de beauté qu’on le croirait imaginé par un artiste omniscient.
« Gustave Eiffel a conçu et fabriqué à Paris l’église de la mission Sainte-Anne, acheminée en pièces détachées jusque dans le Fernand-Vaaz »


Un Secteur Entravé
Pourtant, le tourisme, qui représente actuellement moins de 4 % du PIB gabonais (2,8 % en 2023 selon la Banque mondiale) et emploie à peine 140 000 personnes, a longtemps fait figure de parent pauvre du développement. En cause, l’exclusivité accordée au pétrole (le Gabon est le 7e producteur d’or noir d’Afrique subsaharienne), longtemps privilégié au détriment des industries de services. Résultat, « le secteur souffre encore d’un déficit d’infrastructures adaptées, d’un manque de visibilité internationale et d’une offre peu et/ou mal structurée », comme l’explique Léon Ivanga, directeur général de l’Agence gabonaise de développement et de promotion du tourisme et de l’hôtellerie (AGATOUR). Frein majeur au développement du secteur, une fiscalité aérienne sévère, avec les taxes aéroportuaires les plus élevées d’Afrique : 297,7 dollars prélevés par billet international en 2024, soit plus de quatre fois la moyenne continentale selon l’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA). Un ciel dont le coût prohibitif entrave l’attractivité de la destination Gabon, mais aussi les flux financiers liés au commerce et les investissements, à l’heure où les partenariats avec des opérateurs privés s’imposent comme l’un des axes de développement stratégiques du secteur.
« Le tourisme, qui représente actuellement moins de 4 % du PIB gabonais (2,8 % en 2023 selon la Banque mondiale) et emploie à peine 140 000 personnes, a longtemps fait figure de parent pauvre du développement »
Pour l’heure, le tourisme reste donc le privilège d’une minorité, et les Gabonais aisés qui en ont les moyens préfèreront généralement voyager à l’étranger. D’autant que le réseau routier, mal entretenu et régulièrement détérioré pendant la saison des pluies, rend difficile, voire impossible l’accès à certaines parties du pays. Pour les opérateurs implantés dans ces zones enclavées, les surcoûts opérationnels engendrés sont difficiles à supporter et se répercutent inévitablement sur le prix final des prestations, qui peinent à rencontrer la qualité attendue. Sans compter que « l’écotourisme est fortement saisonnier », comme l’explique Evelyne Doumba, directrice du Lopé Hôtel dans le parc du même nom. Cela affecte la rentabilité des opérateurs provinciaux qui enregistrent moins de 4 mois d’activité intense sur 12 et sont soumis aux mêmes taxes que ceux de Libreville, malgré des contraintes logistiques et une saisonnalité plus marquées ».
« Pour les opérateurs implantés dans ces zones enclavées, les surcoûts opérationnels engendrés sont difficiles à supporter et se répercutent inévitablement sur le prix final des prestations, qui peinent à rencontrer la qualité attendue »
Dans le cadre de la modernisation des infrastructures routières et ferroviaires du pays, l’État gabonais, en partenariat avec BGFI Bank, a confié à Porteo BTP l’aménagement et le bitumage du tronçon Alembé-Mikouyi (par lequel on accède notamment au parc de la Lopé), dernier segment non bitumé de la Transgabonaise reliant Libreville à Franceville. Objectif : moderniser et sécuriser cet axe routier stratégique pour le développement économique de la région. Inaugurée en août 2024, la compagnie nationale Fly Gabon (premier pavillon national depuis la liquidation d’Air Gabon en 2006) assure actuellement la desserte régulière de 17 destinations (5 à l’intérieur du pays et 12 en Afrique de l’Ouest et centrale) et constitue une autre avancée significative, ainsi qu’une alternative appréciable au chemin de fer – vétuste et soumis à de fréquents déraillements –, qui va lui aussi faire l’objet d’un programme de modernisation et de sécurisation entre 2025 et 2028, avec le soutien de l’Agence française de développement (AFD) et de l’Union européenne (UE).

« Nous-mêmes nous-mêmes »
Ces initiatives témoignent d’une réelle volonté politique de la part des autorités qui, joignant le geste à la parole, entendent faire du tourisme un pilier fort du développement et de la diversification économique. L’ambition finale, à travers le Plan national de développement de la Transition (PNDT 2024-2026), est d’évoluer vers une offre touristique viable, avec un objectif de 600 000 touristes/an d’ici 2029 – contre 350 000 actuellement – et une contribution du secteur au PIB de l’ordre de 10 %, à l’instar de pays comme le Maroc ou la Tanzanie. Pour l’énergique ministre du Tourisme durable et de l’Artisanat, Pascal Ogowè Siffon, « le Gabon peut vivre de son tourisme », mais surtout, « le premier touriste doit être le Gabonais lui-même ».
« L’ambition finale, à travers le Plan national de développement de la Transition (PNDT 2024-2026), est d’évoluer vers une offre touristique viable, avec un objectif de 600 000 touristes/an d’ici 2029 – contre 350 000 actuellement – et une contribution du secteur au PIB de l’ordre de 10 %, à l’instar de pays comme le Maroc ou la Tanzanie »
De fait, un véritable changement de mentalité a été initié, conformément à la vision souverainiste du nouvel homme fort du pays, Brice Oligui Nguéma : le Gabon et les Gabonais d’abord. La stratégie adoptée en conseil des ministres fin 2023 suit une feuille de route claire : « positionner le Gabon comme une destination incontournable, tant pour les Gabonais que pour les touristes internationaux ». Et pour ce faire, commencer par « améliorer la connaissance des sites touristiques nationaux, avec pour objectif de créer un sentiment de fierté nationale et de renforcer l’attachement au patrimoine local », comme on peut le lire sur le site du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Produit emblématique de cette stratégie, la Caravane touristique du Gabon, institutionnalisée en rendez-vous estival annuel après le succès de sa première édition1. « Depuis deux ans, le gouvernement manifeste une volonté de réappropriation de l’identité gabonaise et de promotion du tourisme local », confirme Evelyne Doumba (Lopé Hôtel). « Un réel travail d’éducation et de sensibilisation à la notion de tourisme a été mené. Aujourd’hui, le pays passe progressivement de l’idée que “le tourisme, c’est pour les Blancs” à une valorisation du tourisme local et patriotique, encourageant les habitants à redécouvrir leurs propres régions et villages ». Signe des temps : pour la première fois en 20 ans d’activité, le Lopé Hôtel a enregistré cet été une clientèle majoritairement gabonaise. Pour Alida Ndong, à la tête de Crystal Clear, holding du groupe de restauration, services traiteur et catering regroupant les entités « Mystic Bantu » et « Mama Africa », tous les signaux sont au vert : « Il y a une nouvelle génération dans le secteur privé national qui s’intéresse et prend au sérieux le développement de l’offre touristique. Si les infrastructures de transport s’améliorent, et si les autorités facilitent l’octroi des visas sur place et à moindre coût, en baissant les taxes aéroportuaires et en multipliant les dessertes internationales de Libreville, nous devrions selon toute logique connaître un boom de ce secteur dans les cinq prochaines années ».
« Positionner le Gabon comme une destination incontournable, tant pour les Gabonais que pour les touristes internationaux »



Une Délicate Équation
La feuille de route sectorielle, présentée en novembre 2023 par le ministre du Tourisme, priorisait la valorisation des richesses naturelles du Gabon et en la matière, le gouvernement s’est montré pour le moins proactif. Dès décembre 2023, une mission d’identification du potentiel touristique du pays et une caravane test jetaient les bases de l’organisation en cours du secteur, misant sur l’exploration et la mise en valeur de l’important patrimoine touristique gabonais – qu’il soit naturel, culturel, historique ou artisanal – tout en sensibilisant les populations à l’enjeu sectoriel.
« Une cinquantaine de zones d’intérêt touristique (ZIT) ont été identifiées et font l’objet d’une mise en valeur progressive »
Près de deux ans plus tard, une cinquantaine de zones d’intérêt touristique (ZIT) ont été identifiées et font l’objet d’une mise en valeur progressive. Les initiatives se déploient de toutes parts, alignées sur une stratégie bien précise : promouvoir la destination Gabon à travers le développement de l’écotourisme, du tourisme d’affaires et événementiel, en obéissant à la double logique d’une augmentation significative du tourisme domestique et de la mise en place d’un tourisme haut de gamme comparable à l’offre rwandaise. Un positionnement sélectif que revendique notamment LGR (Luxury Green Resorts), filiale du Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS) pour la promotion de la destination Gabon, créé en 2012 avec l’objectif de développer un tourisme de luxe dans les parcs nationaux2. « Nous ne souhaitons pas développer un tourisme de masse », précise Léon Ivanga (AGATOUR). Délicate équation, en effet, que de trouver le juste équilibre entre accessibilité – particulièrement dans un monde post-COVID où la concurrence entre destinations est exacerbée – et préservation d’un patrimoine naturel et culturel unique… D’où une réflexion approfondie menée actuellement autour de la gratuité permanente du visa, « processus qui certes, augmenterait le nombre de visiteurs, mais nécessite d’être soigneusement encadré afin de s’inscrire dans un cadre sécurisé, tant sur le plan de la gestion des flux migratoires que sur celui de la régulation de la sécurité nationale », poursuit le directeur général de l’AGATOUR.
« Nous ne souhaitons pas développer un tourisme de masse », précise Léon Ivanga (AGATOUR).
Dernier Eden, Nouveau Départ
Reste que malgré ses atouts naturels et culturels hors norme, le secteur reste entravé par un déficit d’infrastructures adaptées et de compétences dans les métiers de l’accueil, du guidage ou de l’hôtellerie, qui freinent la montée en gamme indispensable pour répondre à des critères de plus en plus exigeants dans un contexte de concurrence accrue. Les investissements annoncés et les initiatives engagées témoignent cependant d’une volonté de renversement de tendance. «C’est vrai qu’il y a un problème de qualification des ressources humaines ; c’est un secteur où il y a beaucoup de turn-over des employés. Mais pour peu que nous prenions le temps de bien former et rémunérer le personnel, le tourisme pourrait représenter un fort potentiel d’emplois et de création de richesses, notamment dans les zones rurales où se situent de nombreux sites. C’est un secteur encore largement sous‑exploité au regard des atouts du Gabon, alors même qu’il offre des opportunités accessibles aux entrepreneurs locaux, avec des investissements de départ relativement modestes. Je suis convaincue qu’il peut devenir un levier essentiel pour répondre à certains défis socioéconomiques du pays, en particulier le chômage [qui touche 40 % des moins de 35 ans, NDLR] », analyse Alida Ndong.
« C’est un secteur encore largement sous‑exploité au regard des atouts du Gabon, alors même qu’il offre des opportunités accessibles aux entrepreneurs locaux, avec des investissements de départ relativement modestes »
Conscient des freins structurels qui freinent le développement du secteur, l’État joue le pragmatisme et mise désormais sur l’émergence d’une véritable filière professionnelle : renforcement de l’offre hôtelière à Libreville avec la rénovation d’établissements emblématiques, comme le Méridien Re-Ndama (groupe Lancaster) et la reprise du projet de la Baie des Rois en association avec le groupe Kasada ; création d’un office national du tourisme dans plusieurs villes provinciales grâce à un partenariat avec l’ONG française Tourisme sans frontières ; structuration et professionnalisation de l’activité des guides ; lancement de projets structurants comme l’École nationale de l’hôtellerie implantée au Cap-Esterias et au sein de l’université de Mouila, en cours de construction ; élaboration d’un code du tourisme ; facilitation des régimes fiscalo-douaniers et de l’accès au foncier pour les investisseurs touristiques ; amélioration de la marque-pays via des campagnes numériques ciblées et la participation à des salons clés (Espagne, Maroc, Serbie…). Si le « Dernier Eden » n’a pas encore tenu toutes ses promesses, la dynamique enclenchée pose les fondations d’une diversification économique impérative à l’heure où l’après-pétrole devient une urgence nationale. Il appartient désormais au Gabon d’orchestrer une transformation sectorielle qui soit, enfin, à la hauteur de ses atouts incomparables.

1. La Caravane touristique du Gabon est une opération annuelle initiée par le ministère du Tourisme pour valoriser le patrimoine naturel et culturel gabonais via des circuits guidés à travers plusieurs régions du pays. L’événement vise à renforcer l’attractivité du territoire tout en associant populations locales, opérateurs privés et touristes locaux, de la diaspora et étrangers, et s’accompagne d’un e-visa gratuit mis en place spécialement pour l’occasion entre le 1er juillet et le 30 septembre.
2. Les infrastructures hôtelières détenues ou créées par LGR (lodges de luxe dans les parcs nationaux de la Pongara et de Loango, Hôtel de la Sablière à Libreville) peuvent faire l’objet de concessions à des investisseurs gabonais ou étrangers qui seraient intéressés par l’exploitation et le développement des sites. Dans le même ordre d’idées, l’Agence nationale des parcs nationaux du Gabon (ANPN) délivre directement des concessions dans les parcs nationaux aux investisseurs qui auraient la volonté de développer le potentiel touristique des sites au sein des parcs.
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