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Jean-Louis Bénaé, une “success story” à l’américaine

Originaire du Cameroun, Jean-Louis Bénaé s’est imposé comme l’un des meilleurs neurochirurgiens aux États-Unis. Une expertise qu’il exporte aujourd’hui avec succès sur le continent, grâce à l’association Brain Project.

Par Jacques Leroueil


Au pays de l’Oncle Sam, où la fascination pour les « stars du bistouri » est bien réelle comme le montre le succès durable des shows télévisés dédiés (Dr. Phil, The Dr Oz Show, The Doctors) et des séries médicales (Dr House, Grey’s Anatomy…), le neurochirurgien Jean-Louis Bénaé peut à bon droit se prévaloir d’une forme de célébrité. Dans la région de Dallas (Texas), où il réside avec sa famille, ce spécialiste du cerveau et de la colonne vertébrale est reconnu comme l’un des « meilleurs médecins » selon le mensuel D Magazine, tandis qu’une autre publication locale, le LIVING Magazine, le considère comme le meilleur neurochirurgien du comté de Collin (une division territoriale située dans l’agglomération de Dallas) depuis… 2015.

Une reconnaissance publique qui vaut assurément son pesant d’or dans un pays où le secteur médical est l’un des plus compétitifs de la planète et qui a tout naturellement boosté les affaires du Docteur Bénaé. À son compte depuis 2014, le chirurgien est aujourd’hui à la tête d’un cabinet prospère, qui fait 3,5 millions de dollars (3,3 millions d’euros) de chiffre d’affaires annuel. Mieux, le lancement de deux nouvelles antennes médicales, proches des actuels locaux du North Texas Brain & Spine Specialists – le nom du cabinet du docteur Bénaé- est prévu pour très prochainement. 



Origines

Rien ne prédisposait pourtant ce professionnel de la santé à connaître un jour cette success story à l’américaine. Né le 24 avril 1972 à Douala mais ayant ses origines familiales à Kribi, fief de l’ethnie des Batanga, le jeune Jean-Louis grandit dans un univers familial protégé, entouré de ses frères et sœurs, d’une mère aimante et d’un père officier supérieur qui achèvera sa carrière comme chef d’Etat-major particulier du président Paul Biya, feu le général Blaise Mpéké Bénaé (décédé en 2007).

Cette relative douceur de vivre est toutefois bouleversée à la fin des années 80 par un événement marquant : le grand frère de Jean-Louis, Eliasso, de deux ans son aîné, contracte une méningite cérébrale, une maladie caractérisée par une inflammation des méninges (les membranes qui protègent le cerveau et la moelle épinière). Appelés à la rescousse, les médecins camerounais se succèdent au chevet du jeune malade. En vain. Le pronostic vital est engagé. Un avion médicalisé est finalement affrété et l’adolescent évacué en France, où les neurochirurgiens de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, parviendront à le soigner avec succès. Cet épisode est une révélation pour le jeune Jean-Louis, qui comprend alors le pouvoir décisif de la compétence technique ; celle qui fait la différence et sauve des vies. Sa décision est prise : il sera lui aussi neurochirurgien.     


« Au Mississipi, la clinique qui m’employait générait probablement 3-4 millions de dollars annuels grâce à mon activité de neurochirurgien. J’avais le  sentiment d’être un important contributeur aux affaires de l’entreprise mais sans en tirer pleinement parti. Il fallait donc changer cette donne »

« Remonter à la source »

Installé à Limoges, en France, il se met à dévorer avec une insatiable passion les ouvrages spécialisés traitant du cerveau et se rend vite compte que la documentation qui nourrit sa réflexion provient en premier lieu des Etats-Unis, le pays le plus avancé en la matière. À l’âge de 20 ans, il décide donc de « remonter à la source », et s’inscrit à l’université de Californie, à Los Angeles (UCLA). Des débuts outre-Atlantique que le Camerounais n’a pas oubliés. « Ma famille m’envoyait certes de l’argent pour couvrir mes frais de scolarité mais disons-le tout net, la contrepartie des francs CFA en dollars était chiche », se remémore Jean-Louis Bénaé, qui dit avoir enseigné le français, les mathématiques et garder des parkings durant ses années estudiantines « pour pouvoir joindre les deux bouts ». Une école de la Vie qui, in fine, lui a appris « le sens des responsabilités et de l’effort ». C’est à cette époque qu’il rencontre celle qui sera sa future femme, Barbara, une Camerounaise vivant également en Californie. Après avoir obtenu son doctorat à la faculté de médecine de David Geffen et une bourse de recherche en neuro-traumatologie au centre de recherche sur les lésions cérébrales de l’UCLA, il lance sa carrière de spécialiste en neurochirurgie à Milwaukee, dans l’Etat du Wisconsin, avant de rejoindre une clinique dans l’Etat du Mississipi.

Le jeune médecin déchante néanmoins assez vite. « Au Mississipi, la clinique qui m’employait générait probablement 3-4 millions de dollars annuels grâce à mon activité de neurochirurgien. J’avais le  sentiment d’être un important contributeur aux affaires de l’entreprise mais sans en tirer pleinement parti. Il fallait donc changer cette donne », se remémore le spécialiste qui, au même moment, se laisse convaincre par un ami proche, le Docteur en neuropharmacologie ghanéen Nana Yaw Appiah, de tenter sa chance au Texas. Le cabinet du Docteur Bénaé, le North Texas Brain & Spine Specialists, est officiellement lancé en 2014 et trouve très vite sa clientèle. Dès 2015, il est considéré par les médias locaux comme l’un des meilleurs neurochirurgiens de sa région.


La chirurgie « ne devrait être sollicitée qu’en dernier recours ».

Un guérisseur

Il faut dire que le nouveau patron, bien qu’il soit un chirurgien chevronné, n’est jamais pressé d’opérer ses patients. Pour lui, qui se considère d’abord comme un « guérisseur », la chirurgie « ne devrait être sollicitée qu’en dernier recours ». Il n’empêche, par-delà la réalisation de son rêve américain, le médecin camerounais sent intuitivement qu’il lui reste un manque à combler, une ambition à assouvir : faire quelque chose d’utile pour l’Afrique et ce dans son domaine de prédilection, la chirurgie. Échafaudant des plans pour de futurs projets humanitaires sur le continent, Jean-Louis Bénaé et son comparse Nana Yaw Appiah discutent des heures durant de ces initiatives en devenir jusqu’au jour où, l’épouse de Jean-Louis, Barbara, décide de prendre les choses en main. « Et si au lieu de parler, vous agissiez ? », les interpelle-t-elle. Piqués au vif, les deux amis s’exécutent et mettent alors sur pied l’association Brain Project (acronyme en anglais de Bringing Resources and Infrastructure).

Lancée en 2017, la structure réunit un collectif de neurochirurgiens, chirurgiens et autres professionnels de la santé bénévoles qui offrent leur compétence — et leur temps — pour venir en aide aux structures de soins de santé en Afrique, notamment au Cameroun et au Ghana. « Le tout, financé (jusqu’à 100 000 dollars par voyage) sur fonds propres et grâce à des dons externes ponctuels », rappelle Barbara Bénaé, cofondatrice de l’association aux côtés de son époux et de Nana Yaw Appiah, et qui a la lourde tâche de gérer la partie logistique du projet entre les Etats-Unis et le continent africain (passage en douanes, organisations des séjours sur place des personnels soignants venus de l’étranger…). Opérations chirurgicales effectuées gratuitement, fourniture d’outils techniques et d’instruments aux hôpitaux et autres institutions médicales, formations dispensées aux personnels soignants locaux…


Multiples réalisations

En l’espace de cinq années, les initiateurs du Brain Project peuvent d’ores et déjà se féliciter de multiples réalisations et ce « même si la pandémie a ralenti les choses », concède Jean-Louis Benae, qui confirme « être sur le point de repartir cet été pour un nouveau voyage au Ghana ».  Une générosité qui n’empêche cependant pas les trois associés de raisonner en termes de business à plus long terme. « Pérenniser notre action humanitaire sur place et faire venir les meilleurs spécialistes de l’étranger en Afrique coûte de l’argent. Il nous faut donc monétiser notre initiative pour faire en sorte que cette action s’autofinance un jour », explique ainsi Nana Yaw Appiah pour qui « la solution pourrait notamment passer par la facturation de prestations médicales pointues, le plus souvent indisponibles ou peu pratiquées sur place ». De fait, nombre d’Africains qui en ont les moyens partent se faire soigner ailleurs. Un marché florissant à l’échelle mondiale puisque la Banque mondiale évalue ce marché du tourisme médical à plus de 40 milliards de dollars annuellement. Sur ce point, nul doute que le Docteur Benae, star texane de la neurochirurgie, aura des atouts à faire valoir face à des praticiens venus du Maroc, de Tunisie, de Turquie, de Hongrie ou de Thaïlande. Mais plus encore, il aura la satisfaction de mettre son savoir-faire au service des siens. Ce même savoir-faire qui, il y a bien longtemps, sauva son frère et qu’il est aujourd’hui en mesure de ramener au pays. La boucle aura alors été définitivement bouclée.

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