Présent dans de multiples sphères d’activités stratégiques, Koné Dossongui a érigé en quatre décennies un empire tentaculaire. Champion de la restructuration d’entreprises, le septuagénaire a su traverser les périodes et les crises pour bâtir un groupe très diversifié. Portrait de l’un des hommes d’affaires les plus puissants de Côte d’Ivoire.
Par Olivia Yéré Daubrey et Élodie Vermeil (avec la contribution de Sylvain Comolet et Anaïs Saint-albin)

« Si nous voulons connaître le développement en Afrique, il faut le faire en équipe »
C’est l’une des personnalités les plus discrètes, voire énigmatiques, du monde du business ivoirien. Pourtant, en ce mois de septembre 2023, il accepte de répondre à nos questions au cours d’un entretien exclusif qui durera un peu plus d’une demi-heure. Dans ce laps de temps, le magnat ne nous livrera cependant que ce qu’il veut bien nous livrer.
Vêtu d’un costume bleu saphir, assis sur un fauteuil de velours dans une suite d’un grand hôtel parisien, le septuagénaire adopte la pose du sage, les pieds solidement rivés au sol et le regard attentif. Il se tient prêt pour notre échange, non sans faire preuve d’une certaine malice. « On peut annuler l’entretien… ? » lance-t-il, sourire aux lèvres. Un trait d’humour qui tranche avec l’image de réserve habituellement associée à Koné Dossongui, figure incontournable des affaires en Afrique francophone, comme en témoigne la surface de son conglomérat : une vingtaine de sociétés employant plus de 9 000 collaborateurs, et revendiquant un chiffre d’affaires de 522 millions d’euros pour l’exercice 2022.
Passé par quelques ministères sous les présidences de Félix Houphouët-Boigny (Agriculture) et Henri Konan Bédié (Enseignement technique et Formation professionnelle), l’ex-haut fonctionnaire est surtout connu comme le fondateur du groupe panafricain Atlantic Financial Group (AFG), dont la première entité – Banque Atlantique Côte d’Ivoire (BACI) – a été créée en 1978.
Au cours des années 2000, il étend ses activités sur l’ensemble des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). À partir de 2012, un nouveau virage se dessine pour Koné Dossongui : il cède progressivement la majorité de ses parts au sein du holding commun Atlantique Business International (ABI) qu’il a formé avec ses partenaires marocains. Ainsi, la Banque centrale populaire (BCP) du Maroc monte en 2015 à 75 % dans le capital d’ABI. La joint-venture est dirigée par l’Ivoirien Souleymane Diarrassouba, actuel ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME [ancien proche collaborateur de l’homme d’affaires, il a été un des piliers du groupe AFG tout comme l’actuel ministre d’état en charge de la Défense].
Cap Sur La Diversification
Une cession stratégique, qui aurait permis à Koné Dossongui de dégager de la trésorerie pour diversifier (encore davantage) son groupe, à partir de 2019. Ce dernier garde toujours un pied solide dans le monde bancaire de l’Afrique francophone grâce à AFG Holding, qui réunit un réseau de six banques et cinq filiales assurantielles dans les zones UEMOA (Côte d’Ivoire, Mali), CEMAC (Gabon, Cameroun) et l’océan Indien (Comores, Madagascar).
L’organisation propose des services bancaires à valeur ajoutée – notamment à l’international – comme de la gestion de trésorerie, du courtage et de la garde de titres, de la gestion de patrimoine, ou encore du financement de commerce et des solutions de change.
Outre le secteur financier, le groupe ivoirien possède des participations dans plusieurs sociétés agricoles (hévéa, palmier à huile, agrumes, noix de cajou, etc.), ainsi que dans l’agro-industrie (transformation de cacao, minoterie – la possibilité de valoriser du café est à l’étude), la cimenterie, la boulangerie, le textile, l’hôtellerie.
Derniers investissements d’envergure en date : la construction de deux usines de transformation de cacao par Atlantic Cocoa Corporation à San Pedro en Côte d’Ivoire et Kribi au Cameroun (pour respectivement 73 milliards et 60 milliards de francs CFA – soit 111 millions et 61 millions d’euros, et des tonnages respectifs de 48 000 et 64 000 tonnes/an) ; la création de la Société Ciment Côte d’Ivoire (SCCI) qui possède deux unités de production – l’une construite en 2021 et l’autre acquise en 2022 –, dans la nouvelle zone industrielle PK24 au nord d’Abidjan, pour un investissement total estimé à plus de 100 milliards de francs CFA (152 millions d’euros) ; la création d’une minoterie au Bénin, Atlantic Moulin Bénin, afin de traiter localement le blé, pour un investissement total de 20 milliards de francs CFA (30 millions d’euros).
Retour Sur Le Marché Ivoirien
Une diversification qui n’a pas empêché Koné Dossongui d’effectuer en 2023 un come-back remarqué sur le marché ivoirien, grâce à un accord historique avec l’État ivoirien pour la reprise des activités de la Banque populaire de Côte d’Ivoire (BPCI) – opération qui, à l’heure où nous mettions sous presse, était encore soumise à l’approbation bancaire de l’UEMOA.
Son imposant conglomérat d’entreprises et ses succès en affaires ne sont pas sans rappeler – bien qu’à une échelle éminemment plus humble – ceux du Nigérian Aliko Dangote, personnalité la plus riche d’Afrique (10,5 milliards de dollars soit 9,8 milliards d’euros au 9 novembre 2023 selon Forbes) d’après notre classement Forbes de 2023. Certaines sources (non confirmées) évoqueraient pour Koné Dossongui un patrimoine de plusieurs centaines de millions d’euros. En « interne », on mentionne le montant de 600 millions d’euros, soit le double des chiffres relayés çà et là… mais jamais officiellement avérés. Serait-il l’homme le plus riche de Côte d’Ivoire ? À cette question, Dossongui répond toujours par la même parade : « Je me contente juste de faire mon travail ». Ce qui le motive ? « La création d’emplois et son impact dans les économies et les géographies où nous sommes implantés ». CQFD. Pour bien comprendre les ressorts du personnage, un bref retour en arrière s’impose.
Un Acteur Clé Du « Miracle Ivoirien »
Après un baccalauréat en mathématiques obtenu avec mention, Koné Dossongui entreprend des études supérieures en Côte d’Ivoire, au sein de la prestigieuse École nationale supérieure d’agronomie de l’INSET (Institut national supérieur de l’enseignement technique, intégré à l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny – INP-HB en 1996). Il en sort ingénieur agronome, et major de promotion. Par la suite, il obtient un DESS en agroéconomie à l’Institut national agronomique de Paris, et complète son cursus académique avec un diplôme de l’Institut d’administration des entreprises de l’université de la Sorbonne à Paris.
Fraîchement débarqué sur le marché du travail, Dossongui s’oriente vers une carrière publique dans son pays d’origine : une Côte d’Ivoire houphouëtiste post-indépendance où la stratégie de l’État se concentre sur l’agriculture et l’agro- industrie, à travers la mise en place d’une politique agricole basée sur l’exportation de cultures de rente, la mise en place de sociétés publiques de développement, la recherche agronomique et l’encadrement des paysans. Résultat : dans les années 1960-1980, le pays connaît un développement économique fulgurant. Une ère de prospérité et de stabilité politique baptisée le « miracle économique ivoirien ». La croissance moyenne s’élève alors à 7 % par an.

À La Tête De Palmindustrie À 31 Ans
Au sein du ministère clé de l’Agriculture (dirigé par Denis Bra Kanon de 1977 à 1989), Dossongui occupe différents postes : directeur régional de l’agriculture et de la Soderiz [Société d’État pour le développement de la production de riz, en charge de la politique rizicole nationale visant l’autosuffisance alimentaire, NDLR], directeur du projet riz de la Banque mondiale, directeur du cabinet du ministre de l’Agriculture, directeur général du Bureau d’études techniques des projets agricoles (BETPA).
En cette période de valorisation de l’agriculture nationale à travers divers plans de développement sectoriels (palmier, hévéa, sucre, coton, riz…), ce fils de paysans, né en 1950 dans la commune de Gbon dans le nord de la Côte d’Ivoire, joue une part active dans la conception et la réalisation d’ambitieux programmes de développement de sociétés publiques telles que la Compagnie ivoirienne pour le développement des textiles (CIDT) ou encore la Société d’État pour le développement des plantations de canne à sucre (Sodesucre).
À 31 ans, il prend la tête de la société d’État agro-industrielle Palmindustrie, filiale de la Sodepalm [Société d’État pour le développement et l’exploitation du palmier à huile, que les autorités ivoiriennes considèrent alors comme le « fer de lance de la diversification », NDLR] et fleuron de l’économie nationale avec ses 75 000 hectares de plantations industrielles et quelque 300 000 hectares de plantations villageoises. Sous sa direction, la productivité de cette entreprise – qui emploie alors 17 000 personnes – sera boostée par la création de 14 huileries de palme, ainsi qu’une huilerie de graines de palmiste et de coprah, propulsant la Côte d’Ivoire au rang de premier exportateur africain d’huile de palme dans les années 1980.
Son parcours au sein de la haute administration ivoirienne se clôture en 1988 par un poste de conseiller technique spécial au sein de la très stratégique et hautement politique DCGTx (Direction centrale des grands travaux, devenue en 1996 le Bureau national d’études techniques et de développement – BNETD), dont le politologue et sociologue Michel Galy décrit la direction générale et ses conseillers comme « [reproduisant] quelque peu l’entourage présidentiel, un “noyau dur’’ [s’étant] constitué autour des plus anciens et des plus proches du pouvoir interne » (« Les avatars de la DCGTx en Côte d’Ivoire », in Politique africaine, 1993).
Gouvernement bis, cette agence technique, véritable État dans l’État rattaché directement à la présidence de la République, a notamment en charge toutes les politiques de transformation économique dans l’industrie et les infrastructures, mais également – entre autres – le contrôle des grands projets agricoles impulsés par la présidence.

Un Maverick Dans l’Arène Des Affaires
À la fin des années 1980, un changement à la tête du ministère de l’Agriculture amène Koné Dossongui à quitter la fonction publique. « Vous savez, le plus souvent, le démarrage des affaires se fait à l’occasion de ruptures », remarque-t-il. De fait, à la suite de ce remaniement intervenant dans le cadre des plans d’ajustement structurel dont le pays est désormais familier, l’État-major et les hommes clés du ministre Denis Bra Kanon se retrouvent marginalisés. Pour Dossongui, ce sera l’occasion de se lancer dans les affaires : « J’ai commencé par le domaine que je maîtrisais le mieux : l’agriculture, et j’ai eu l’occasion dans la pratique de me rendre compte que les secteurs de production développés chez nous avaient une rentabilité assez faible. C’est pour ça que je me suis lancé dans une production de niche : les huiles essentielles… ». En homme du Nord et de la terre en effet, Koné Dossongui connaît mieux que quiconque les vertus et les dangers des plantes… et le potentiel économique qu’elles recèlent. « Le moteur principal de l’homme d’affaires, c’est quelquefois le secteur, mais le plus souvent, c’est l’opportunité de profit », énonce-t-il sans ambages.
Ses premiers pas dans ce milieu se font sous l’impulsion et l’encadrement du banquier Serge Guetta – nommé en 1979 directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest de la Banque mondiale avec résidence à Abidjan –, reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes du développement et un acteur clé du miracle ivoirien. Surnommé « le banquier au cœur d’or », il est l’un des visiteurs de confiance du « Vieux » [Félix Houphouët-Boigny, NDLR], mais est aussi connu pour épouser les causes justes et se mettre du côté des planteurs, des pays endettés, des débiteurs plutôt que des créanciers.
Pendant plus d’une décennie, il suivra et encouragera l’activité de Dossongui, et lui donnera un coup de pouce décisif en l’aidant à obtenir en moins de trois mois son premier financement par la Société financière internationale [SFI, organisation du Groupe de la Banque mondiale consacrée au secteur privé, NDLR], à hauteur de 1,8 milliard de francs CFA (2,7 millions d’euros). « La personne que je garderai dans ma mémoire et dans mon esprit pour la vie, c’est M. Guetta. Si j’ai pu vraiment évoluer dans les affaires, c’est grâce à lui. Quand j’ai quitté la fonction publique, il m’a pris par la main. Comme il voulait me pousser parce qu’il avait, disait-il, confiance en moi, il a monté le dossier et négocié le financement lui-même. Et quand il y a eu des problèmes dans le fonctionnement du compte, il s’est déplacé en personne à Washington pour renégocier. C’est un homme clé de ma vie et de mon parcours », confie Koné Dossongui, insistant particulièrement sur l’intégrité de son mentor et ami, décédé en 2013.
Ce prêt lui permet de développer ses premières plantations d’agrumes (bergamote, orange amère, citron, lime…) et trois usines d’extraction associées. Destinées à la production d’huiles essentielles – pour la parfumerie, l’agro-alimentaire et l’industrie pharmaceutique – et gérées par la société Plantivoire, elles s’étendent aujourd’hui sur plusieurs milliers d’hectares et auraient permis à l’homme d’affaires de devenir le premier producteur mondial d’huile essentielle de bergamote hors coopératives, avec un rendement de 20 tonnes [selon FranceAgriMer – l’établissement français des produits de l’agriculture et de la mer –, la production mondiale d’huile essentielle de bergamote pour l’année 2019, issue principalement d’Italie, de Guinée et de Côte d’Ivoire, s’élevait à 100 tonnes, NDLR].
L’appétit venant en mangeant, Koné Dossongui se lance ensuite dans la petite industrie et développe le réseau de boulangeries Centrages – de 4 structures en 1990, le parc est passé à quelque 70 boulangeries disséminées un peu partout dans le pays et gérées par de jeunes Ivoiriens sous forme d’unités franchisées –, qui depuis plus de 25 ans, s’impose comme leader de son secteur, avec une consommation de farine de blé atteignant près de 10 % de la production nationale ivoirienne.
L’homme d’affaires n’en reste pas là : « Petit à petit, avec les résultats et les contacts des uns et des autres, je suis entré dans la banque. Pourquoi la banque ? Parce que le banquier a l’avantage d’avoir une large ouverture sur le milieu des affaires, et peut ainsi apprécier les secteurs qui sont rentables pour y investir ou pousser les hommes d’affaires à s’y développer ».
« Nos cultures véhiculent des valeurs qui se perdent progressivement du fait de leur confrontation avec le monde moderne ; si ces valeurs étaient mises à jour aujourd’hui, elles amélioreraient probablement les sociétés »
Saisir Les Opportunités Et Prendre Des Risques
« La plupart des gens dits intelligents éviteront d’investir dans une affaire s’il y a ne serait-ce que 1 % de risque. Je ne vois pas les choses comme ça : pour moi, s’il y a 1 % de chance de réussite, cela vaut le coup ».
Si certains soupçonnent Koné Dossongui d’avoir bénéficié des largesses de l’État ivoirien, d’autres avancent qu’en bon entrepreneur, il a surtout su – et sait toujours – saisir les opportunités. « Il n’est pas rebuté par la difficulté, n’a pas peur de l’inconnu et encore moins de prendre des risques », témoigne l’un de ses proches conseillers. Pour le principal intéressé, « le secret des affaires, tout le monde l’a. À mon avis, le premier facteur pour être un homme d’affaires, c’est de ne pas calculer le risque, ou alors de le calculer très peu. La plupart des gens dits intelligents éviteront d’investir dans une affaire s’il y a ne serait-ce que 1 % de risque. Je ne vois pas les choses comme ça : pour moi, s’il y a 1 % de chance de réussite, cela vaut le coup ».
En réalité, le domaine bancaire, Koné Dossongui l’a en ligne de mire depuis 1978, date à laquelle il profite du retrait de Côte d’Ivoire du Crédit industriel et commercial (CIC) français pour entrer à hauteur de 1 % au capital de la structure. Dans un pays à l’époque fortement marqué par le capitalisme d’État, l’esprit d’initiative est rare. Mais Dossongui parvient à convaincre ses anciens collègues et autres cadres de divers secteurs de le suivre afin d’atteindre le minimum de 15 % de capital exigé à l’époque par le CIC pour amorcer son retrait du pays. Une initiative audacieuse qui portera ses fruits, puisqu’elle mènera à la création de la Banque Atlantique.
Les opportunités et coups d’éclat s’enchaînent à la fin des années 1990 (reprise en 1998 de la Barclays Bank pour fonder la Compagnie bancaire de l’Atlantique Côte d’Ivoire – COBACI) et au début des années 2000, alors que la Côte d’Ivoire s’enfonce lentement dans une décennie de crise : le gouvernement Duncan III [présidence Henri Konan Bédié, NDLR], que Dossongui intègre en 1998 en tant que ministre de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, est renversé à la suite du coup d’État du « Père Noël en treillis », Robert Guéï, le 24 décembre de la même année.
« Je pense que tout est à faire dans notre zone, je ne vois aucun secteur pour lequel on puisse dire voici un secteur déjà complètement saturé »

Création d’Atlantique Telecom
C’est depuis son exil au Togo que Koné Dossongui entame sa première diversification à l’international en créant en 2002 (après avoir été introduit par Serge Guetta) Atlantique Telecom, véhicule qui lui permettra de reprendre le réseau Telecel au groupe Orascom – fondé par le magnat égyptien Onsi Sawiris et dirigé par son fils Naguib… ami du « banquier au cœur [et au réseau] d’or ». Opéré sous la marque commerciale Moov en Afrique subsaharienne, Atlantique Telecom connaîtra une ascension fulgurante avec des filiales en République centrafricaine, au Gabon, au Burkina Faso, au Togo, au Bénin et au Niger [par la suite, le groupe entrera dans le domaine de la transmission de données avec Prestige Télécom et Afripa Telecom, présents dans 16 pays d’Afrique à partir de 2003, NDLR]. « On l’oublie souvent, mais la démocratisation du téléphone portable et la baisse des coûts en Côte d’Ivoire, c’est Koné Dossongui avec la création de Moov », rappelle Souleymane Diarrassouba.
Revers Et Rebonds
En 2005, Koné Dossongui fonde Atlantic Financial Group, holding bancaire des filiales de Banque Atlantique en Afrique de l’Ouest (Bénin, Niger, Burkina Faso, Mali, Togo, Sénégal). Et en 2008, c’est Atlantic Financial Group Afrique centrale et Afrique de l’Est (AFG CEA) – holding bancaire des filiales de la Banque Atlantique dans la région CEMAC – qui voit le jour…
Serial entrepreneur rayonnant désormais dans toute la sous-région et en Afrique centrale, Koné Dossongui se fait aussi remarquer dans le monde des assurances. En 2005 et 2006, il lui est proposé de venir au chevet de deux compagnies en difficulté, la MACI (Mutuelle agricole de Côte d’Ivoire) et la STAMVIE (Société tropicale d’assurances vie), qui deviendront respectivement Atlantique Assurances (i.a.r.d.t.) et Atlantique Assurance Vie.
Plus récemment, il s’est également lancé dans la minoterie, au Bénin, et dans le textile, au Togo. Des succès que notre homme justifie par cette formule pour le moins sibylline : « Il faut avoir une intuition suffisamment développée pour parvenir à distinguer ce qui marche, ce qui peut potentiellement marcher et ce qui ne peut pas marcher. »
Cependant, toutes les affaires ne sont pas forcément bonnes : en 2010, Dossongui décide de se désengager d’Atlantique Telecom dont il a ouvert le capital, cinq ans plus tôt, au puissant opérateur émirati Etisalat (Emirates Telecommunications Corporation) – ne conservant que 0,5 % des parts – afin de se consacrer à la finance et au transport aérien.
En 2008, alors qu’il est actionnaire majoritaire d’Air Ivoire, Koné Dossongui entreprend de développer la compagnie aérienne grâce à un plan d’investissement de plus de 60 milliards de francs CFA (91 millions d’euros). Seulement, en 2011, conséquence de la crise politique ivoirienne, le trafic de la compagnie chute de 50 % et son chiffre d’affaires de 60 %. En butte à des problèmes de gestion, plombée par de lourdes dettes et des effectifs pléthoriques, Air Ivoire cesse ses vols pour être finalement liquidée : le groupe perd plus de 40 milliards de francs CFA (61 millions d’euros) – 20 milliards selon les informations relayées à l’époque par la presse.
En perte de vitesse à la suite de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire de 2010, Dossongui traverse une période de turbulence. Qu’à cela ne tienne : il poursuit ses affaires hors de Côte d’Ivoire, et notamment au Cameroun. Entre 2014 et 2019, Banque Atlantique [dont il a conservé la filiale camerounaise lors de la cession de la majorité des parts à BCP pour acquérir Amity Bank, devenue par la suite Banque Atlantique Cameroun - BACM, dont le magnat détient 75,52 % du capital à travers sa holding AFG CEA, NDLR] étend son réseau camerounais et s’impose comme l’une des majors de la place.

« La leçon que j’enseigne aux plus jeunes, c’est que la ligne droite n’existe pas dans la vie. Il faut avoir la force, le caractère et le courage dans les épreuves pour repartir »
Le « Coup » BNP Paribas
Dans le même temps, le magnat poursuit la diversification de son consortium, menant l’offensive dans les nouvelles technologies (Africa Future Technology, pour la fourniture d’accès Internet et la digitalisation des services financiers) et renforçant son pôle industriel à travers la cimenterie (rachat des Ciments modernes de Côte d’Ivoire, construction de l’usine de la Société Ciment Côte d’Ivoire) et l’agro-alimentaire (transformation de cacao), deux secteurs particulièrement porteurs.
C’est néanmoins dans le domaine bancaire qu’il réalise son plus gros « coup » : en 2020, dans un montage technique salué par le milieu, AFG prend le contrôle de la participation de BNP Paribas (85 %) dans le capital de la Bicim (Mali) et rachète les parts du groupe français (51 %) dans la BIC Comores, ainsi que 52 % du capital de la Bicig (Gabon) auprès du Fonds gabonais d’investissements stratégiques. Un retour en force « mûrement réfléchi », motivé par la volonté de mettre à profit la longue expérience du groupe dans le domaine des TIC (technologies de l’information et de la communication) pour s’imposer comme un acteur de référence dans la digitalisation du secteur bancaire, notamment via la convergence entre mobile money et mobile banking. Prochaine étape et horizon géographique de développement des activités du groupe : l’océan Indien, où de solides jalons ont déjà été posés.
Un Homme Public Très Privé
« Too big to fail » le magnat ? Non, plutôt résilient : « La ligne droite n’existe pas dans la vie. Peu importe le niveau d’anticipation, c’est notre capacité à gérer les événements imprévus et à rebondir qui est déterminante », déclare-t-il. En tout cas, au fil des années, le « modèle Dossongui » aura su faire ses preuves. La recette ? Un habile mélange d’effet de levier, de partenariats internationaux, de management africain, d’expansion et de diversification. Des circuits de décision courts. Et l’art consommé de bien s’entourer.
Outre sa « garde rapprochée » au sein d’AFG, ses appuis politiques et business (Bruno Nabagné Koné, ministre de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme ; Souleymane Diarrassouba, ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME ; Ahmed Cissé, président du patronat ivoirien) et ses conseils [le cabinet abidjanais FDKA, spécialiste des fusions-acquisitions et conseil de l’État ivoirien dans les projets d’infrastructures et les grosses concessions ; Finactu International, qui a joué un rôle- clé dans le processus d’acquisition des trois filiales subsahariennes de BNP Paribas ; le cabinet Onepoint, spécialiste européen de la transformation digitale, NDLR], Koné Dossongui met un point d’honneur au recrutement des meilleures compétences africaines – n’hésitant pas, pour cela, à aller jusqu’au débauchage dans les multinationales –, notamment les jeunes cadres de la diaspora diplômés d’écoles prestigieuses (HEC, ESCP, ESSEC, Warton, Stanford…), dont l’expérience internationale contribue à maintenir le groupe en phase avec son temps. Pour Souleymane Diarrassouba, compagnon de route de longue date, il reste « le prototype de personnalité ayant une force de travail extraordinaire, une agilité d’esprit, une intelligence exceptionnelle et un optimisme à toute épreuve qui lui valent des succès dans ses différentes entreprises et sa capacité à relever tous les défis, entouré d’une équipe qu’il sait tirer vers le haut ». De fait, en dehors de ses proches, l’homme force de toute évidence l’admiration de beaucoup et suscite une fierté à l’épreuve du temps et des crises.
Sa communication cependant, pour parcimonieuse qu’elle soit, n’en est pas moins soigneusement huilée : story-telling du simple paysan devenu un homme d’affaires accompli ; valeurs de transmission de « Vieux sage » confortées par son appartenance au pays sénoufo, région pétrie de patrimoine et de traditions ; punchlines étudiées ; engagement envers la jeunesse (notamment à travers la fondation Atlantic Group, dont les activités, officialisées en 2010, ciblent l’enfance défavorisée et l’amélioration des conditions de vie en zones rurales)… Tout y est. Contrepoint inévitable de cette bonhomie (de façade ?) que l’on retrouve souvent chez ceux qui sont parvenus au sommet (rarement par hasard et en faisant preuve d’angélisme) : son intransigeance en affaires et son jusqu’au-boutisme lui ont souvent valu de défrayer la chronique, notamment au début des années 2000, où son nom est associé au Burkinabè Apollinaire Compaoré et au Béninois Séverin Adjovi, aussi bien pour le développement de l’opérateur de téléphonie Telecel, que pour des foires d’empoigne et batailles judiciaires à multiples rebondissements… mais aussi à l’occasion d’autres imbroglios judiciaires relatifs à ses différentes affaires.
Un Homme En Mission
Quant à sa discrétion légendaire, elle alimente bien des fantasmes (prête-nom, homme de paille… tout a été dit et pensé). « Inquiétant », « intouchable » … murmurent certaines personnes ayant eu l’occasion d’interagir avec le tycoon… Entre rumeurs et on dit, difficile de démêler le vrai du faux, d’autant que très peu sont prêts à s’exprimer à cœur ouvert sur le magnat ivoirien, même sous couvert d’anonymat.
Une aura de mystère et de silence devenue marque de fabrique, conformément à la célèbre phrase que Voltaire place dans la bouche de son Candide : « Il faut cultiver notre jardin ». Comprendre : chacun doit exercer ses talents et accomplir sa part pour faire progresser la société, en se préoccupant uniquement des problèmes qui se trouvent à sa portée. Invitation au pragmatisme parfaitement adaptée à l’homme d’affaires, qui se plaît à s’imaginer comme un « agriculteur de l’Afrique ». Et pour lequel « réussir, ce n’est pas forcément relever des challenges ou amasser beaucoup de biens matériels, mais plutôt la sensation, à la fin, d’avoir accompli un devoir. Parce que chacun de nous a un devoir envers la société. Si tout le monde s’arrêtait au SMIG, le monde ne progresserait pas. À partir d’un certain point, on finit par s’attribuer à soi-même la mission de développer la société ». CQFD.

Comité exécutif d’Atlantic Goup élargi aux collaborateurs d’AFG Holding. De la droite vers la gauche :
Léon Konan Koffi Président d’AFG Holding; Claire Koreki Directrice des engagements d’AFG Holding ; Georges Wilson Président de CFI Industry & Services ; Koné Dossongui Président et fondateur d’Atlantic Group ; Affoussiata Karamoko-Sy Directeur du capital humain d’AFG Holding ; Abissa Kouakou Directeur général d’Atlantic Group ; Geneviève Kanté Directrice juridique d’AFG Holding
