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Le tourisme local, nouveau relais de croissance

Porté par des États désireux de soutenir leurs filières locales et des initiatives privées promouvant des voyages de proximité, le tourisme intérieur prend peu à peu son envol sur le continent. (Enquête publiée dans l’édition 65)

Par Julien Chongwang et Blâmé Ékoué

Mosi-oa-Tunya _ Chutes Victoria (Zimbabwe). Elles figurent parmi les chutes d’eau les plus spectaculaires du monde ©Albrecht Fietz

Après l’« année blanche » qu’aura été 2020, puis la lente reprise amorcée en 2021, la filière touristique africaine reprend enfin des couleurs. Portées par la réouverture des frontières, l’allègement des protocoles sanitaires et des campagnes de communication à tout va, les arrivées internationales sur le continent sont en forte hausse depuis le début de l’année (+51 % en janvier 2022 par rapport à l’année précédente, selon l’Organisation mondiale du tourisme). Il était temps, car l’enjeu est de taille. Avec plus de 24 millions d’actifs et 169 milliards de dollars de revenus annuels, la filière représente 7 % du PIB continental. L’objectif des acteurs du secteur est donc simple : retrouver au plus vite les chiffres de fréquentation d’avant la pandémie, soit près de 70 millions de visiteurs par an. Cette ambition ne va néanmoins pas de soi, l’Association du transport aérien international rappelant que près de la moitié (22) des 50 premiers marchés aériens mondiaux restent encore soumis à des mesures de quarantaine, même pour les voyageurs vaccinés. Une donne qui affecte en premier lieu le lucratif tourisme d’affaires, moins enclin pour l’heure à repartir (lire l’article à la page 58 du N°65). L’époque impose donc un changement de paradigme, la nécessité de se réinventer. Cet ajustement du modèle d’affaires est, du reste, déjà à l’œuvre avec le développement accéléré du tourisme intérieur (lire l’article à la page 54 du N°65), les pouvoirs publics tout autant que les acteurs du privé multipliant les initiatives pour promouvoir les « voyages de proximité ». Une manière comme une autre de remplir les hôtels, restaurants et musées, avec une clientèle locale désireuse de (re) découvrir son pays et son patrimoine culturel. Autre tendance à suivre, le succès grandissant des meublés de tourisme (lire l’article à la page 62 du même numéro), qui ont de plus en plus le vent en poupe sur le continent. Reste désormais à capitaliser sur ces nouvelles dynamiques. Un pari sur l’avenir déjà lancé par nombre d’opérateurs économiques avertis qui ont compris que, au-delà des aléas conjoncturels et des chocs temporaires, le tourisme en Afrique a ses meilleurs jours devant lui : de 67 millions avant la crise sanitaire, les arrivées annuelles de touristes devraient atteindre 134 millions d’ici à 2030, avec des dépenses de consommation en tourisme, hôtellerie et loisirs atteignant 262 milliards de dollars (contre 169 milliards en 2019).

Espace Laguna pool bar noom Abidjan – @Guys Imagery2

Deux ans après le déclenchement de la pandémie de Covid-19, le rebond de l’activité touristique se confirme en Afrique : selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le continent a vu le nombre des arrivées internationales comptabilisées en janvier 2022 progresser de moitié (+ 51 %) par rapport à l’année précédente. Il n’empêche, les professionnels du secteur n’ont pas encore retrouvé les niveaux d’activité d’avant la crise sanitaire. La faute aux conditions encore souvent restrictives pour partir à l’étranger (test PCR à l’embarquement et à l’arrivée, vaccination, confinement exigé…).

Des initiâmes pour séduire les locaux

Résultat : pour palier cette situation, États et opérateurs touristiques du continent multiplient les initiatives afin de séduire
les locaux, invités ainsi à (re)découvrir leur pays et sous-région. Au Maroc, la campagne « Ntla9awfbladna » invite notamment les nationaux à redécouvrir leur patrimoine culturel. De quoi booster le tourisme domestique, un segment qui fournirait déjà, selon l’Office national marocain du tourisme (ONMT) « près d’un tiers des touristes » recensés. En Afrique subsaharienne, les autorités togolaises ont également décidé de diversifier les sources de revenus du secteur touristique – en baisse de 64 % entre 2019 et 2020 – en misant sur les activités domestiques et de proximité. Présentant sa feuille de route, Kossi Lamadokou, ministre de la Culture et du Tourisme, a notamment rappelé que « le développement et la promotion du tourisme intérieur [restait] bel et bien au cœur de la politique touristique [du pays] ».

Au Cameroun, sentant le filon, les opérateurs touristiques privés se positionnent aussi de plus en plus sur ce segment.

Pour y parvenir, les pouvoirs publics togolais n’ont pas lésiné sur les moyens, en procédant par exemple à l’aménagement de différents sites tels que ceux de la cascade de Womé et des hauts fourneaux de Nangbani à Bassar. Au Cameroun, sentant le filon, les opérateurs touristiques privés se positionnent aussi de plus en plus sur ce segment, ce même
si « les Camerounais ont encore, pour la plupart, du mal à pleinement apprécier la valeur d’une journée passée au milieu de la nature pour découvrir un site magnifique », tempère Jean-Louis Tenoux, un Français à la tête de CamerTour, une agence de tourisme qui, depuis trois ans, organise des excursions touristiques. « Lorsque j’ai visité le Cameroun pour la première fois, je n’y ai pas trouvé de structure ni d’agence qui me semblait suffisamment sérieuse pour me faire visiter les sites à voir. Les Camerounais eux-mêmes ne savaient pas vraiment ce qu’il y avait à visiter en termes de tourisme, j’ai donc dû me débrouiller par moi-même pour visiter quelques sites : trouver les endroits, me déplacer moi-même, négocier avec des guides locaux… », se souvient le patron de CamerTour, qui décide alors de créer sa propre structure « afin d’aider les touristes, y compris les locaux, à visiter et découvrir le Cameroun ».

Les îles de Manoka près de Douala, au Cameroun

La force des réseaux sociaux

Ce faisant, Jean-Louis Tenoux a très vite compris l’importance des réseaux sociaux pour la réussite de cette initiative. Il est ainsi fréquent pour les internautes de voir apparaître les offres de l’agence dans leurs fils d’actualités sur Facebook, LinkedIn, Twitter, Instagram… Cette stratégie ne manque pas de séduire une classe moyenne de plus en plus désireuse d’aller à la découverte de la nature dans le pays profond, pour changer du stress et de l’étouffement des grandes villes. Sur ce point en particulier (le retour à la nature), Elcia Grandcourt, la directrice du département Afrique de l’OMT, estime notamment qu’au « vu de la tendance actuelle des voyageurs de se rapprocher de la nature, […] l’Afrique a une belle carte à jouer ». De fait, avec un tourisme intérieur et intra- régional qui ne représente pour l’heure que quatre arrivées sur dix, contre huit sur dix dans le reste du monde selon la CNUCED, la marge de progression du continent est significative. La laborantine Adamou Faiza trouve pour sa part « plus intéressant » de voyager à travers le pays pour occuper les week-ends. Après avoir visité les îles de Djébalé et de Manoka près de Douala, ainsi que les chutes d’Ekom Nkam sur le fleuve Nkam, la jeune femme pense toutefois que « les sites touristiques au Cameroun pourraient être mieux développés à travers l’amélioration des infrastructures d’accès, d’hébergement et avec de quoi manger et boire sur place afin d’attirer plus de monde ».

Reconstruction de la résidence royale traditionnelle, le Palais du Roi-Autrefois, Nyanza était le cœur du Rwanda ©Visit Rwanda
Le musée du Palais royal Rukari, à Nyanza (Rwanda) ©Visit Rwanda

Bémols…

« Nous avons enregistré une belle croissance de nos clients, mais qui n’est pas liée à un développement de l’image du pays ni de l’image que les autorités font des activités touristiques, nulle dans les deux cas », confirme aussi, en le regrettant, Jean-Louis Tenoux. Sollicité pour une réponse à ce que les visiteurs appellent dès lors une « négligence » de la part des autorités et pour faire savoir les efforts qui sont produits par le gouvernement dans ce secteur en vue d’intéresser les touristes, le représentant du ministère du Tourisme et des Loisirs dans la région de Douala n’a pas souhaité s’exprimer. Au Togo, Kossi Lamadokou estime pour sa part qu’en dépit de la reprise amorcée, « le secteur touristique bat toujours de l’aile », qu’il y ait activité intérieure ou pas. Au plus fort de la pandémie, plusieurs hôtels du pays, notamment le très réputé 2 Février, ont ainsi été obligés de lancer une série d’opérations commerciales afin attirer la clientèle locale. Avec plus ou moins de bonheur. Idem pour les agences de tourisme, dont beaucoup ont mis la clé sous la porte. En définitive, l’optimisme reste toutefois de mise, la plupart des organisateurs de voyages touristiques et des visiteurs interrogés étant unanimes sur le potentiel touristique « énorme » du continent. Pour passer au niveau supérieur, reste à faire en sorte que « les pouvoirs publics s’emparent du sujet en communiquant, en créant les structures d’accueil sur les sites touristiques, en formant des guides locaux et en améliorant les réseaux de transport », conclut un professionnel togolais du secteur, convaincu du potentiel du tourisme domestique.

La cascade de Womé

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