Le 6 octobre prochain, se tiendra le premier tour de l’élection du nouveau directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Qui, de l’Égyptien Khaled El-Enany ou du Congolais de Brazzaville Edouard Firmin Matoko, l’emportera ? Et quel bilan retenir du mandat de la Française Audrey Azoulay ? Décryptage.
Par Marie-France Réveillard
Élue en novembre 2017 puis réélue en 2021, la Française Audrey Azoulay quittera l’UNESCO en laissant un bilan jugé plutôt favorable par les observateurs internationaux. Tout au long de ses deux mandats, elle chercha à réduire la polarisation politique et diplomatique au sein de l’organisation, tout en recentrant l’institution sur ses missions fondamentales que sont l’éducation, la culture, les sciences et l’information. Elle accompagna nombre de projets dans les zones sensibles, comme «Revive the Spirit of Mosul » pour redonner vie à la vieille ville irakienne après les destructions causées par l’État islamique, ou encore « Li Beirut » après l’explosion du port de la capitale libanaise en 2020.
Audrey Azoulay s’est également adaptée au contexte inédit de la pandémie de COVID‑19. Elle s’est attaquée aux enjeux environnementaux et au changement climatique, mais aussi aux nouvelles technologies en lançant un cadre éthique mondial pour l’intelligence artificielle (IA) en 2021. Elle s’est appliquée à promouvoir le patrimoine de l’Afrique, soutenant plusieurs pays dans leur processus d’inscription sur la liste du patrimoine mondial. Ce sont 82 nouveaux sites (dont plusieurs en Afrique et en Asie) qui ont été inscrits au patrimoine mondial sous sa direction. Pour Edouard Firmin Matoko, candidat en lice à sa succession, « le bilan est plutôt positif, en particulier sur les questions patrimoniales et celles qui concernent l’égalité des chances pour les filles ».
« 82 nouveaux sites (dont plusieurs en Afrique et en Asie) […] ont été inscrits au patrimoine mondial sous [la] direction d’Audrey Azoulay »
Cela étant, le successeur de la Française devra s’atteler à relever plusieurs défis. Il lui faudra notamment maintenir la neutralité politique, réduire les inégalités persistantes en matière d’accès à l’éducation, redresser le faible taux d’exécution de certains projets sur le terrain, et moderniser une institution qui pâtit encore de ses lourdeurs bureaucratiques. Après le retrait de la Mexicaine Gabriela Ramos le 22 août dernier, il ne reste plus que deux candidats africains en lice pour prendre la succession d’Audrey Azoulay.
« Après le retrait de la Mexicaine Gabriela Ramos le 22 août dernier, il ne reste plus que deux candidats africains en lice pour prendre la succession d’Audrey Azoulay »
Khaled El-Enany : l’Expert Patrimonial du Pays des Pharaons
Né le 14 mars 1971 à Gizeh, la cité des pyramides, Khaled El-Enany est une figure égyptienne de premier plan. Professeur d’égyptologie à l’Université de Hélouan (Égypte), il est titulaire d’une thèse de doctorat en égyptologie et fut ministre du Tourisme et des Antiquités. Il initia de nombreux projets de rénovations, d’ouverture muséale, de restauration patrimoniale, mais aussi des missions archéologiques. Docteur honoris causa de l’Université Paul‑Valéry Montpellier III (2024), il fut notamment honoré du titre de Chevalier de la Légion d’honneur en France (2025), de l’Ordre du Mérite de la République de Pologne (2020) et de l’Ordre du Soleil Levant du Japon (2021). S’il est élu, il entend placer les populations au cœur de ses priorités, et promouvoir la transparence et la gouvernance participative. Khaled El-Enany promet de « rencontrer l’ensemble des États membres, sans exception ». Il fera néanmoins de l’Afrique sa priorité, pour « renforcer la coopération avec les pays africains, l’Union africaine, les bailleurs internationaux et la société civile et pour assurer une participation accrue de l’Afrique dans les instances décisionnelles de l’UNESCO ».
« S’il est élu, Khaled El-Enany entend placer les populations au cœur de ses priorités, et promouvoir la transparence et la gouvernance participative »
L’égalité des genres sera son autre cheval de bataille, se déclinant aussi bien dans les programmes de l’organisation qu’au sein de ses instances de décision, et dans la gestion de ses talents. Pour porter ses ambitions, il cherchera à initier « un nouveau pacte financier, diversifié, transparent, innovant », partant du principe que « sans ressources, on ne fait pas tourner la machine » ! Il ambitionne de réorganiser l’institution onusienne pour « rendre les procédures plus simples, plus rapides et plus efficaces ». Pour le candidat, cet objectif passera « d’abord par une gouvernance renforcée : plus de concertation et d’écoute, pour que les décisions, quand elles doivent être prises, soient comprises et acceptées par tous ». Cette logique s’appliquerait également en dehors du siège, dans les bureaux locaux, « pour qu’ils puissent agir vite et bien ». De fait, il s’engage à associer systématiquement les communautés et les autorités locales aux projets portés par l’organisation. « Avec une gouvernance transparente, une action renforcée sur l’Afrique et l’égalité des genres, et des financements solides, l’UNESCO pourra redevenir une organisation qui agit véritablement pour les peuples et qui compte », assure-t-il.
« Khaled El-Enany s’engage à associer systématiquement les communautés et les autorités locales aux projets portés par l’organisation »

Firmin Edouard Matoko : Un Pur Produit de l’UNESCO Venu du Congo
Firmin Édouard Matoko, qui est né le 17 février 1956 à Brazzaville en République du Congo, entend lui aussi incarner le dialogue des cultures et les valeurs universelles. S’il est élu, il deviendrait le second Africain subsaharien à la tête de l’UNESCO, après le Sénégalais Amadou Mathar-Mbow, qui avait dirigé l’organisation entre 1974 et 1987. Économiste, il a obtenu un doctorat de l’Université La Sapienza de Rome en 1981, un diplôme supérieur en Relations internationales à l’Institut Cesare Alfieri de Florence en 1983, ainsi qu’un diplôme du Centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris (1996). Polyglotte, il parle couramment le français, l’italien, l’anglais et l’espagnol.
« S’il est élu, Firmin Edouard Matoko deviendrait le second Africain subsaharien à la tête de l’UNESCO, après le Sénégalais Amadou Mathar-Mbow, qui avait dirigé l’organisation entre 1974 et 1987 »
Il intègre l’UNESCO comme expert associé à Dakar avant de gravir les échelons et d’occuper plusieurs postes à responsabilités dans l’institution onusienne, et notamment celui de sous-directeur général pour les relations extérieures. Il a supervisé un réseau de terrain de 54 bureaux nationaux et régionaux, et fut l’un des principaux architectes du programme transdisciplinaire de l’UNESCO pour une culture de paix. Il a également contribué à la création d’institutions panafricaines telles que le CIEFFA (Centre international pour l’éducation des filles et des femmes), l’ACALAN (Académie africaine des langues), l’Université panafricaine (dont il fut membre du conseil d’administration), le Réseau des fondations pour la culture de la paix, ainsi que le Forum international pour une culture de paix en Afrique (Biennale de Luanda). Il fut aussi l’un des instigateurs du premier Forum africain sur l’IA à Benguérir, au Maroc en 2018. En 2024, il reçut le titre de docteur honoris causa de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry pour son action en faveur de l’éducation et du développement en Afrique.
« Je n’irais pas vers la rupture totale, mais je renforcerai plusieurs volets au sein de l’UNESCO, tels que les programmes d’IA, la restitution des biens culturels, le soutien aux populations autochtones, la préservation des langues, mais aussi les programmes liés à la science ouverte », explique-t-il. S’il se présente comme le candidat de la diversité (de père congolais et de mère vietnamienne), il porte lui aussi une attention particulière à l’Afrique qui ne représente à ce jour, que 10 % à 12 % de tout le patrimoine recensé.
Par ailleurs, il cherchera à établir une plus grande proximité avec les comités, les antennes et les partenaires locaux, afin que les décisions et les actions soient davantage ancrées dans les réalités du terrain. Enfin, Edouard Firmin Matoko s’appliquera à renforcer « l’UNESCO comme espace de dialogue et de solidarité », délesté d’une politisation qui divise…
« Firmin Edouard Matoko cherchera à établir une plus grande proximité avec les comités, les antennes et les partenaires locaux, afin que les décisions et les actions soient davantage ancrées dans les réalités du terrain »

Deux Hommes Pour un Fauteuil
S’ils sont l’un et l’autre Africains, ces deux candidats de haute volée incarnent deux visions distinctes. Khaled El‑Enany est un profil politique et patrimonial très actif sur la scène internationale. Il priorise la culture du résultat, considérant que «chaque projet doit être évalué » car « il faut des preuves, des résultats concrets ». Pour renforcer la traçabilité et optimiser les résultats de l’organisation, il s’appuiera notamment sur les outils numériques et sur les technologies innovantes. « C’est ça qui donnera de la crédibilité à l’UNESCO, et c’est comme ça qu’on redonnera confiance aux États membres et aux peuples que l’organisation sert », affirme-t-il. Son programme est le résultat d’observations relevées au cours de ses trente derniers mois de campagne assortis de soixante‑cinq visites internationales. « Les échanges avec les États membres, les communautés locales et les partenaires ont confirmé que seule une approche ancrée sur le terrain, inclusive et tournée vers l’efficacité peut permettre à l’UNESCO de réaliser pleinement sa mission. Une UNESCO pour les peuples », conclut-il. Il bénéficie de solides soutiens parmi lesquels ceux de l’Union africaine (UA) et de Paris.
« Khaled El‑Enany est un profil politique et patrimonial très actif sur la scène internationale. Il priorise la culture du résultat »
Cependant, Firmin Édouard Matoko n’a pas dit son dernier mot, car il dispose de nombreux atouts. Doté d’une fine connaissance du réseau diplomatique, nul besoin de parcourir le monde pour le candidat congolais qui croit en sa chance. « Rien ne sert de courir, il faut partir à point », déclare-t-il, reprenant le célèbre adage de Jean de la Fontaine. Considéré par son entourage comme un négociateur habile et un diplomate avisé, il est reconnu pour sa capacité à rapprocher les points de vue et à créer du consensus. Fort de plus de trois décennies d’expérience au sein de l’UNESCO, il maîtrise parfaitement les rouages de l’organisation et plaide pour une réforme structurelle au service des peuples. « Je connais les limites de l’UNESCO et je saurai alléger les procédures pour développer des solutions concrètes avec des applications immédiates », assure-t-il.
Rendez-vous donc le 6 octobre prochain, date du premier tour de l’élection du prochain directeur général de cette institution qui célèbre ses 80 ans cette année.
« Firmin Édouard Matoko est reconnu pour sa capacité à rapprocher les points de vue et à créer du consensus »