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Malicka Sangaret, La Vie En Bleu

Artiste contemporaine montante de la scène abidjanaise, l’artiste peintre Malicka Sangaret crée des ponts entre les hautes sphères de la société et les plus démunis. De son nom d’artiste « Maliwatta », (Malicka + water, la jeune femme ayant depuis longtemps une fascination pour l’élément aquatique), elle emmène par sa démarche artistique les plus privilégiés de la société à s’intéresser au sort des plus pauvres. Le tout en bleu Majorelle.

Par Sylvain Comolet


On accède à l’atelier de Malicka Sangaret après avoir bravé les embouteillages du boulevard Mitterrand, en empruntant une petite route non bitumée, dans un de ces dédales de ruelles dont Abidjan raffole. Passée l’épreuve des cinq étages dont l’ascension s’entreprend sous une chaleur écrasante de pré-saison des pluies, on débouche sur le dernier palier de l’immeuble, décoré d’une fresque aux couleurs vives : l’antichambre de l’atelier où Malicka vit et peint. Un espace que la jeune trentenaire partage avec ses œuvres magistrales à dominante bleue. Depuis la fenêtre de son bureau, on peut entr’apercevoir la tour F en construction, symbole de l’émergence ivoirienne, d’une Côte d’Ivoire qui gagne.

Malicka Sangaret Alias Maliwatta By ©Mamadou Niang

C’est à cette Côte d’Ivoire élitiste et fortunée que Malicka Sangaret s’adresse. En total contraste avec le quartier populaire où elle a choisi d’installer son atelier, c’est La Résidence du collectionneur d’arts premiers Serge Hié qui a accueilli ses tableaux, ainsi présentés au cercle très fermé des membres de ce club privé huppé situé dans le quartier des ambassades de Cocody, près du Sofitel Ivoire. On retrouve Malicka transfigurée en Maliwatta proposant une performance live de création artistique en partenariat avec la prestigieuse marque de champagne Ruinart, devant un parterre d’hommes d’affaires. Un monde à part que la jeune femme connaît bien, et assume totalement : « C’est très important de reconnaître son privilège. J’ai un background très privilégié et j’ai aussi beaucoup vécu dans un environnement très modeste. Cela me permet d’avoir une compréhension assez terre à terre de ce qui est nécessaire, de ce qu’il y a à faire et l’importance qu’il y a à le faire ».

« C’est très important de reconnaître son privilège. J’ai un background très privilégié et j’ai aussi beaucoup vécu dans un environnement très modeste. Cela me permet d’avoir une compréhension assez terre à terre de ce qui est nécessaire, de ce qu’il y a à faire et l’importance qu’il y a à le faire ».


Un Art Engagé Et Mystique

Mystique, cette sirène des temps modernes qui est née à Paris, a grandi entre la Côte d’Ivoire et le Royaume-Uni et a effectué ses études d’art à l’Uxbridge College et à l’University of the Arts of London – une formation artistique ancrée dans le pragmatisme, puisque complétée d’un bachelor en business administration obtenu à l’Université de Plymouth –, explique les sources d’inspiration qui collent à son art « éco » (pour écologie et économie, Malicka recyclant depuis son plus jeune âge divers matériaux comme des bouteilles et des miroirs brisés, mais aussi des objets personnels et du quotidien inusités, pour les intégrer à ses créations) et engagé : « Nous sommes en pleine ère du Verseau, une ère qui est très portée sur le social, l’impact ». Pour Malicka, « tout ce que l’on entreprend de nos jours devrait avoir un impact mesurable et transparent à long terme ». Consciente de sa chance, elle met un point d’honneur à sensibiliser ses clients – chefs d’entreprise, ambassadeurs et C-level executives – aux causes sociales qui lui tiennent à cœur, en particulier les violences faites aux femmes et le sort des mères en difficulté.

« Tout ce que l’on entreprend de nos jours devrait avoir un impact mesurable et transparent à long terme ».

La figure féminine, plus particulièrement maternelle, est centrale dans ses créations, comme en témoigne la série Wombmen (mot-valise constitué de womb et women, « utérus » et « femmes », ou les « femmes-utérus »), où des femmes bleues enceintes interrogent sur les thématiques liées au « Deuxième Sexe », en particulier dans son rapport à l’eau, révélateur ultime du divin féminin notamment incarné dans la figure mythique de la « mère des eaux », la légendaire Mummy Water (devenue Mamy Wata) qui a traversé les océans pour s’incarner en une croyance disséminée aux quatre coins du monde.

©Maliwatta, The Womb Men

« Cette série se présente comme une invitation à découvrir ou redécouvrir la féminité divine ; elle explore les dualités et complexités de la femme, dans lesquelles chacune d’entre nous peut se retrouver indépendamment de sa culture, sa couleur de peau, son âge, sa génération… L’idée ici, était de plonger dans les méandres du womanness en s’intéressant à la dualité primaire de la femme, à ses parts d’ombre et de lumière ». Côté lumière : Ève, la Vierge Marie, la figure maternelle… et côté ombre, les grandes figures de la mythologie : Lilith, Méduse, Perséphone… entre autres références érudites témoignant d’un travail de recherche fouillé sous-tendu par une curiosité insatiable. De fait, Malicka se révèle intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer son thème de prédilection : l’élément aquatique dont nous sommes tous issus, tous constitués à plus de 60 %, et qui nous façonne et nous imprègne dès les premiers jours de notre existence dans le ventre maternel. Un engouement qu’elle manifeste à travers un usage récurrent du bleu – devenu sa signature –, couleur par excellence de la royauté, de la force, de l’audace et, bien sûr, de l’eau.

Son thème de prédilection : l’élément aquatique dont nous sommes tous issus, tous constitués à plus de 60 %, et qui nous façonne et nous imprègne dès les premiers jours de notre existence dans le ventre maternel. Un engouement qu’elle manifeste à travers un usage récurrent du bleu – devenu sa signature –, couleur par excellence de la royauté, de la force, de l’audace et, bien sûr, de l’eau.


Mondialisation Versus Retour Aux sources

Cette fascination pour le féminin aquatique et les eaux maternelles n’a rien d’étonnant lorsque l’artiste explique la transmission matrilinéaire qui l’a construite. C’est sa grand-mère, sage-femme à la retraite et femme d’affaires, qui lui a appris l’entrepreneuriat, créer pour vendre, tandis que sa mère, artiste-peintre, l’a plutôt influencée sur la profondeur de la création et ses possibilités. Un trait d’union entre le monde des affaires et le monde de l’art.

©Maliwatta, The Hand

Alors que ses tableaux (dont certains sont disponibles sur la plateforme de vente en ligne de la prestigieuse galerie Saatchi) se vendent en moyenne 2 millions de francs CFA (environ 3 000 euros) pièce et rencontrent un beau succès (Malicka a déjà vendu une bonne partie des soixante toiles qui composent son portfolio), sa fondation, la Watta Foundation, s’active pour organiser des événements à vocation humanitaire et environnementale (ateliers d’art-thérapie à destination des femmes en difficulté, nettoyage de plages et upcycling…) et soutient plusieurs associations caritatives via des donations en cash ou en nature. Un trait d’union entre les hautes sphères capitalistes et les laissés-pour-compte de la mondialisation. « Globalization », aime à dire la jeune femme cosmopolite dans un franglais naturel, s’interrogeant sur l’uniformisation des goûts de l’upper class africaine qui perdrait progressivement le compas de son africanité. Car Malicka, bien qu’occidentalisée du fait de son parcours et des différents lieux dans lesquels elle a pu vivre, est très attachée à ses racines et sa culture. Pour cette jeune pousse, se réinstaller à Abidjan – ville d’eau par excellence – était une façon de renouer avec ses origines, son paysage initiatique. Revenir à ses racines en se reconnectant avec les couches populaires, comme en atteste le lieu qu’elle a choisi pour s’installer. Un trait d’union entre l’espace élyséen des nantis et les « gloglos » (bas-fonds) qui s’érigent à la va-vite, en marge des tracés officiels de la ville. 


Un Business Model Original Et Bien Pensé

« À chaque événement, j’essaye de pousser la barre plus haut, de proposer un voyage immersif au sein de mon univers à travers ce que j’appelle les ‘’watta experiences’’ et d’apporter ainsi une nouvelle pierre à l’édifice de mon narratif artistique ».

Son business model est social et participatif, inspiré par une famille d’entrepreneurs et d’artistes à laquelle Malicka se réfère avec une stratégie bien pensée : « J’ai fait connaître mon travail à l’occasion d’événements éphémères et happenings ouverts seulement aux clients VIP. Au fil du temps, j’ai créé un véritable écosystème autour de mes œuvres et de mon univers : désormais, toute personne qui achète une de mes toiles fait partie d’une communauté [constituée, outre les clients à proprement parler, de connaisseurs parrainés par des mécènes, de sponsors et de plus one, NDLR] qui a 100 % accès à tout ce que je fais, que ce soit dans le domaine artistique ou social. »  

La façon de communiquer de la jeune artiste dénote elle aussi, à l’heure de la toute-puissance des réseaux sociaux, puisqu’elle a choisi de privilégier le bouche-à-oreille pour promouvoir ses œuvres et ses idées, sans galeriste ni communication digitale intensive, mais avec une belle dose d’inventivité et un sens certain de la mise en scène. « À chaque événement, j’essaye de pousser la barre plus haut, de proposer un voyage immersif au sein de mon univers à travers ce que j’appelle les ‘’watta experiences’’ et d’apporter ainsi une nouvelle pierre à l’édifice de mon narratif artistique. L’histoire se développe et s’enrichit au fur et à mesure, dans une expérience interactive qui intègre les visiteurs à l’event, avec une découverte step by step sous forme d’escape game, de chasse au trésor ou autre. C’est un procédé évolutif, en permanente construction : je suis en étude perpétuelle des thèmes que j’explore ».

©Maliwatta, The Lovers

Le prochain event de Malicka, pour le moins original, consistera en la restitution d’une série d’actions caritatives (ateliers d’art et nettoyage de plages) sous forme d’œuvres d’art qui seront exposées pendant un mois dans une villa totalement transformée pour l’occasion. L’idée étant de pousser l’immersion à son comble à travers l’organisation d’events et performances privés, mais aussi d’ateliers, de podcasts live et autres réjouissances.

Une approche innovante de l’art, à la fois consciente, pragmatique et passionnée, et une façon de susciter l’intérêt par la rareté et le mystère, marque de fabrique de la très discrète Maliwatta, qui a décidément l’art de cultiver son image et de faire résonner les images.

Event Ruinart



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