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Paulin Basinga (Fondation Gates) : “Nous Jouons Un Rôle De Catalyseur Sur Le Continent”

Établie en 2000 à l’initiative du milliardaire américain Bill Gates et de son ancienne épouse Melinda, la Fondation Gates a distribué depuis ses débuts près de 80 milliards de dollars pour combattre la pauvreté, les maladies et les inégalités dans le monde. Une puissance financière colossale qui en fait l’une des premières institutions philanthropiques de la planète. Dans cet entretien, Paulin Basinga, Directeur Afrique de la Fondation Gates, revient sur les activités de son organisation sur le continent et livre ses éclairages sur l’évolution de celui-ci.

Propos recueillis par Raïssa Okoï


Forbes Afrique : En tant que Directeur Afrique de la Fondation Gates, quels sont les principaux défis que vous rencontrez dans votre mission ?

Paulin Basinga : La Fondation Gates est une organisation privée, qui dispose de moyens financiers limités par rapport aux besoins. Il y a beaucoup de besoins en Afrique, et il y a aussi beaucoup de pays en Afrique, mais il faut prioriser et voir sur quoi se concentrer pour avoir de l’impact, parce que l’on ne peut pas résoudre tous les problèmes – ce sont les pays africains qui doivent le faire. Nous avons cependant un rôle à jouer grâce â notre connaissance technique. Nous disposons d’un vaste réseau d’experts dans la santé, l’agriculture, la digitalisation, l’éducation, mais nous avons des ressources financières qui sont vraiment limitées. Alors, comment focaliser ces ressources sur un certain nombre de pays pour avoir de l’impact ? C’est le premier défi.

Le deuxième défi est un peu lié au premier. Il concerne la dette et la fiscalité en Afrique. C’est un sérieux problème aujourd’hui, car la Fondation joue un rôle de catalyseur sur le continent. Nous essayons d’identifier des problématiques sur lesquelles nous pouvons apporter des solutions innovantes, et les tester. Ensuite, c’est aux gouvernements, soit avec leurs fonds propres, soit avec des fonds qu’ils empruntent à la Banque mondiale ou au Fonds monétaire international, d’amener ces interventions à l’échelle, à travers des programmes pérennes et durables. On se rend compte que de nombreux gouvernements africains payent beaucoup d’argent pour les taux d’intérêt (ils ont des difficultés à emprunter de l’argent à cause du coût très élevé de ces taux), au lieu d’investir dans la santé ou l’éducation. C’est vraiment un problème pour nous.

Les changements géopolitiques en Afrique constituent la troisième difficulté : les coups d’État, les opérations de déstabilisation, tout ce qui fait que l’attention des gouvernements est déplacée. Au lieu de se focaliser sur les programmes de développement, ils s’occupent de politique, de géopolitique, etc. Cela crée un retard dans l’implémentation de services de développement.

« Nous essayons d’identifier des problématiques sur lesquelles nous pouvons apporter des solutions innovantes, et les tester. Ensuite, c’est aux gouvernements […] d’amener ces interventions à l’échelle, à travers des programmes pérennes et durables »

Et le dernier défi, c’est le changement climatique : les inondations, les pluies, la perte des politiques agricoles en Afrique. Du fait de la géopolitique mondiale avec la guerre en Ukraine et celle au Proche-Orient, on oublie un peu les priorités en Afrique. Or avec l’impact actuel du climat, imaginez les conséquences sur la production alimentaire, la nutrition… Il y a 5 à 6 ans, les pays du G20 ou du G7 mettaient beaucoup d’argent dans les programmes de développement. À l’époque, 40 % de toute l’aide allait à l’Afrique. Maintenant, ce ne sont que 25 %, car cette aide est déplacée pour financer les réfugiés ou la guerre en Ukraine, etc. C’est vraiment une grande problématique.

« Il y a 5-6 ans, les pays du G20 ou du G7 mettaient beaucoup d’argent dans les programmes de développement. À l’époque, 40 % de toute l’aide allait à l’Afrique. Maintenant, ce ne sont que 25 % »

Paulin Basinga, Directeur Afrique de la Fondation Gates

Vous avez évoqué des pays sur lesquels vous mettez l’accent pour avoir un plus grand impact. Pouvez-vous citer trois pays sur lesquels vous comptez vous investir ? Et dans quelle mesure peuvent-ils être des catalyseurs ou des exemples pour d’autres pays ?

P. B. : Quand on regarde le travail de la Fondation en Afrique, on a déjà des mécanismes globaux qui aident la majorité des pays. Je veux rappeler que nous sommes une Fondation globale et que nous plaidons pour qu’il y ait des vaccins, des médicaments, pour tous les pays d’Afrique. Nous nous employons donc à ce qu’ils puissent avoir accès aux médicaments moins chers et en gros (au lieu d’acheter individuellement les vaccins) à travers Gavi/L’Alliance du vaccin, le Fonds mondial ou même la Banque mondiale.

En même temps, je comprends parfaitement que les pays africains veuillent vraiment augmenter leur souveraineté vaccinale pour produire des vaccins. Cela va prendre du temps, et certains sont à l’avant-garde en ce domaine. Mais en attendant qu’ils arrivent à les produire, on doit continuer à plaider pour que des vaccins soient disponibles.

« Nous sommes une Fondation globale et nous plaidons pour qu’il y ait des vaccins, des médicaments, pour tous les pays d’Afrique »

Par ailleurs, nous regardons les chiffres de la mortalité infantile, la mortalité maternelle… Où sont les pays qui ont vraiment besoin d’aide pour accélérer le développement ? Ce sont de grands pays comme le Nigéria, l’Éthiopie, ou la République démocratique du Congo, dans lesquels nous travaillons étroitement avec les gouvernements.

« Où sont les pays qui ont vraiment besoin d’aide pour accélérer le développement ? Ce sont de grands pays comme le Nigéria, l’Éthiopie, ou encore la République démocratique du Congo, dans lesquels nous travaillons étroitement avec les gouvernements »

Il y a un deuxième groupe de pays où nous avons des bureaux, et où nous tâchons d’avoir une approche à la fois locale et sous-régionale, à l’instar de l’Afrique du Sud. C’est un pays riche doté de grandes capacités, avec beaucoup de ressources en termes de recherche médicale, mais qui a encore des problématiques de HIV et tuberculose. Dans ce pays, nous travaillons donc sur ces trois paramètres de façon simultanée. L’Afrique du Sud est une plateforme pour mener des actions dans les autres pays d’Afrique australe comme le Zimbabwe, le Mozambique, le Malawi.

Nous avons récemment ouvert un bureau au Kenya (notre bureau de l’Afrique de l’Est), un grand pays avec un potentiel important, mais avec aussi beaucoup de problèmes. Nous travaillons sur le Kenya et soutenons nos activités en Tanzanie et au Rwanda. Le Rwanda est un pays où nous ne finançons pas beaucoup de programmes, mais nous l’utilisons comme un modèle d’intégration des innovations. Nous commençons à voir beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Togo et le Bénin, qui viennent apprendre du Rwanda.

« L’Afrique du Sud est une plateforme pour mener des actions dans les autres pays d’Afrique australe comme le Zimbabwe, le Mozambique, le Malawi »

Et puis il y a le Sénégal, où nous venons d’ouvrir un bureau régional. C’est un pays stable, avec beaucoup de capacités. Nous voulons l’utiliser comme notre hub ouest-africain pour appuyer les pays francophones comme il se doit.

« Nous voulons utiliser [le Sénégal] comme notre hub ouest-africain pour appuyer les pays francophones comme il se doit»


Avez-vous une stratégie particulière pour ces pays francophones ?

P. B : Non, nous n’avons pas de stratégie particulière pour ces pays. On ne classifie pas les pays par rapport à la langue. Nous pensons que le Sénégal, le Niger, le Mali sont d’abord des pays d’Afrique de l’Ouest et nous essayons de comprendre la particularité de chaque pays. Le travail de notre organisation est basé sur les données, et nous étudions donc  les données. Par exemple, au Sénégal, nous travaillons beaucoup avec l’Institut Pasteur de Dakar. Le gouvernement a l’ambition de développer des vaccins, surtout pour la fièvre jaune. Nous allons appuyer le pays. Et puis, au Mali et au Niger, nous travaillons sur la mortalité infantile. Par exemple, au sud du Niger et au nord du Nigéria, les données sont assez similaires, bien que de part et d’autre de la frontière, on parle français et anglais. Mais là, il faut savoir que tout le monde y parle haoussa.

Melinda et Bill Gates

Aux côtés de l’UNICEF, qui pilote l’initiative, la Fondation Gates s’est engagée à soutenir le Child Nutrition Fund, un mécanisme de financement visant à lutter contre la malnutrition chez les enfants et les femmes. Outre le soutien de la famille Bezos, qui a récemment fait don de 500 millions de dollars, d’autres grandes fortunes pourraient-elles être sollicitées, notamment parmi les Africains ?

P. B. : Il y a beaucoup de partenaires africains. D’abord, je dois dire que tous les Africains sont des philanthropes. C’est vraiment impressionnant. Les Africains qui sont à l’étranger envoient beaucoup d’argent chaque jour, chaque semaine, pour payer les études d’un enfant, payer le loyer d’une tante au village, contribuer au mariage de quelqu’un, contribuer aux deuils, etc. Même chez eux, les Africains ont un très grand cœur. On partage ce qu’on a. Donc ce n’est pas Bill Gates qui va nous apprendre à donner.

« Même chez eux, les Africains ont un très grand cœur. On partage ce qu’on a. Donc ce n’est pas Bill Gates qui va nous apprendre à donner »

Maintenant , si on parle des individus africains, il y a plusieurs niveaux. Il y a des Africains qui sont milliardaires, et qui sont très actifs. Nous travaillons très étroitement avec Monsieur Aliko Dangote et sa Fondation au Nigéria. La majeure partie des actions menées au Nigéria se sont faites en partenariat avec cette Fondation, surtout l’éradication de la polio en 2020 : on n’y serait pas arrivés sans cette participation. Aliko Dangote conseille Bill Gates, ils communiquent fréquemment. Nous avons vraiment appris beaucoup de lui. Pas seulement au Nigéria, mais aussi au Tchad et au Niger. Nous essayons donc de travailler avec les philanthropes locaux.

Il y a eu aussi d’autres milliardaires, notamment en Afrique du Sud (où ils sont vraiment très organisés), qui pendant la pandémie de Covid ont créé le Solidarity Fund, en mettant de l’argent en commun. Il y a par exemple Patrice Motsepe et son épouse ; Strive Masiyiwa au Zimbabwe ; ainsi que Mohammed Dewji en Tanzanie, qui est vraiment très actif… Beaucoup d’autres également s’organisent, comme Tony Elumelu au Nigéria. Bill Gates discute donc avec les autres philanthropes, et il les amène à contribuer sur des idées. Voilà pourquoi certains vont contribuer au Child Nutrition Fund, comme ELMA Philantropies en Afrique du Sud.

« Aliko Dangote conseille Bill Gates, ils communiquent fréquemment. Nous avons vraiment appris beaucoup de lui »

Aliko Dangoté et Bill Gates

L’ambition du Child Nutrition Fund est de veiller à ce qu’il y ait un financement annuel suffisant et durable pour toucher au moins 350 millions d’enfants et de femmes. Au vu de l’importance des enjeux, comment peut-on s’assurer de la bonne gouvernance de ce fonds et de quelle manière évaluer son efficacité ?

P. B. : Pour clarifier, ce fonds vise à combler trois grandes lacunes en matière de nutrition. Jusque-là, il n’existait aucune coordination mondiale pour cadrer les investissements : certaines zones géographiques sont donc surchargées, alors que d’autres sont sous-financées. Par ailleurs, les gouvernements nationaux ne disposaient pas d’un cadre incitatif pour soutenir à leur niveau des actions et des ressources essentielles en matière de nutrition. Le mécanisme facilitant le passage des financements mondiaux au financement national n’existait donc pas. Enfin, les pays à revenus faibles ou intermédiaires ne disposent pas de systèmes pour soutenir la fabrication locale d’aliments thérapeutiques et de compléments nutritionnels.

Par conséquent, afin de s’assurer de la bonne gouvernance du fonds, le plus important est de mettre en place des directives dès le début, pour clarifier les choses : déterminer précisément ce que le fonds va faire, et faire en sorte que les gouvernements qui souhaitent y avoir accès apportent aussi leur contrepartie. Ce n’est donc pas de l’argent qui va aller dans un seul sens. Et le fonds va être géré par l’UNICEF et d’autres partenaires pour permettre l’achat groupé des intrants, pour négocier avec les firmes produisant ses intrants, et que ceux-ci arrivent dans les pays concernés. Ainsi, l’argent qui sera investi ne va pas se substituer à ce que les États doivent mettre en place pour accélérer la réduction de la malnutrition. Enfin, il faudra établir des responsabilités claires pour suivre le déploiement de cet argent et, après quelques années, pouvoir lier le versement de celui-ci avec la réduction du taux de malnutrition. Car c’est le but de ce fonds : diminuer les taux de malnutrition.

« L’argent qui sera investi [dans le Child Nutrition Fund]ne va pas se substituer à ce que les États doivent mettre en place pour accélérer la réduction de la malnutrition »



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