Issu de la Banque mondiale où il a fait quasiment toute sa carrière, le Zambien est candidat à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) dont l’élection se tiendra le 29 mai, dans un contexte de grande incertitude mondiale.
Propos recueillis par Rémy Darras
Vice-président de la Banque mondiale en charge du Budget jusqu’en janvier, le Zambien de 52 ans Samuel Maimbo a passé 23 ans au sein de l’institution de Washington. Il bénéficie du soutien de la Communauté des États d’Afrique australe (SADC) et des pays du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA). Figurant comme l’un des favoris parmi les cinq candidats en lice pour la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), dont l’élection se tiendra le 29 mai prochain, il nous fait part de ses priorités.
Forbes Afrique : Le Cameroun et le Togo devraient notamment vous apporter leurs suffrages. Où en est actuellement votre quête de soutiens ?
Samuel Munzele Maimbo : J’ai commencé à faire campagne en août dernier. Mais d’expérience, je sais que tout se décidera le jour de l’élection. J’ai voyagé dans vingt pays – en Égypte, au Maroc, au Cameroun, au Sénégal, au Togo, etc. – pour parler de ma vision de l’Afrique. Elle repose sur trois piliers. Le premier, c’est d’améliorer la croissance de l’économie en Afrique – pas pour qu’elle atteigne 3-4 % mais 6-7 % –, et de l’améliorer pendant cinq ans. C’est la seule façon de résoudre nos problèmes. Deuxièmement, comment pouvons-nous résoudre la question de la dette, du climat, de l’infrastructure, des emplois pour les jeunes ? Et le troisième pilier, c’est la BAD : comment s’assurer qu’elle fonctionne aussi efficacement et fortement que possible ?
L’administration américaine se détourne de l’Afrique et le monde devient de plus en plus incertain. Quel rôle peut jouer l’Afrique dans ce contexte particulier ?
S. M. M. : La décision américaine est une décision lourde. À court-terme, elle va créer un certain nombre de défis pour de nombreux pays africains. Mais honnêtement, je suis très enthousiaste pour l’Afrique parce qu’à long terme, je pense qu’elle sera plus forte. Premièrement, quand l’administration américaine parle d’augmenter les tarifs douaniers dans le monde entier, c’est un appel pour se concentrer sur les accords de libre-échange africains et réduire nos propres tarifs. Si c’est difficile pour nous de commercer avec d’autres pays à l’étranger, nous devons commercer les uns avec les autres. La deuxième opportunité réside dans le fait que les marchés s’effondrent partout en ce moment. L’argent sort des marchés boursiers mais où va-t-il ? Je ne sais pas si cet argent ira en Europe ou en Chine. Mais ce que je sais, c’est qu’il y a de grandes opportunités en Afrique aujourd’hui avec des taux de rendement plus élevés. Le deuxième point, c’est que si l’on regarde le continent sur les dix dernières années, nous avons eu des difficultés avec la COVID-19, mais l’Afrique est en pleine croissance. Et c’est de cela que nous ne parlons pas. Aujourd’hui, 15 pays africains connaissent une croissance supérieure à 6 %. C’est un chiffre significatif. Ensuite, 345 entreprises sont basées en Afrique et réalisent un chiffre d’affaires de plus d’un milliard de dollars par an. C’est significatif. La jeunesse représente près de 60 % de notre population. Nous disposons de terres… Tout cela permettra à notre économie de croître.
« Si c’est difficile pour nous de commercer avec d’autres pays à l’étranger, nous devons commercer les uns avec les autres.»
Vous venez d’un pays très riche en cuivre par exemple. Comment l’Afrique peut-elle mieux contrôler ses ressources et mieux s’industrialiser ?
S. M. M. : Le premier point que nous avons mentionné est le commerce. Lorsque nous extrayons du cuivre, nous ne devrions pas l’exporter prioritairement hors du continent mais vers tous les pays qui ont des capacités de production. Les Africains doivent développer leurs échanges entre eux, car il n’y aura pas de formule magique ! Nous dépensons 50 milliards de dollars par an pour importer des denrées alimentaires hors d’Afrique. Ensuite, nous demandons de l’aide. Si les pays africains se disaient : « Achetons-nous de la nourriture les uns aux autres », cela représenterait 50 milliards de dollars par an que vous investiriez dans l’agriculture au Zimbabwe ou en Tanzanie.
Deuxièmement, nous devons améliorer la qualité de nos infrastructures. À l’heure actuelle, celles-ci sont principalement destinées à l’exportation hors du continent. Les États-Unis se sont développés parce qu’on peut rouler de la Californie à Washington sans frontières. Le troisième domaine est l’énergie. Beaucoup d’argent est investi dans l’énergie, mais les marchés sont fragmentés. Nous avons le Pool d’Afrique australe, ceux d’Afrique de l’Est et d’Afrique du Nord, qui exportent vers l’Europe. Cela signifie qu’en cas de sécheresse en Zambie, nous ne pouvons pas importer autant d’énergie que nous le souhaiterions. Et aucune entreprise manufacturière n’investira en Zambie si elle n’est pas sûre d’y trouver l’énergie. Donc, il faut connecter toutes les sources d’énergie afin de créer un pool énergétique unique sur le continent.
« Il faut connecter toutes les sources d’énergie afin de créer un pool énergétique unique sur le continent »
Le quatrième point est que la création de valeur ajoutée dans le secteur manufacturier est une activité à long terme. Si l’on veut s’engager sur cette voie, les gouvernements doivent faire preuve de cohérence. Il faut garantir aux citoyens que la politique fiscale ne sera pas modifiée chaque année. Cela passe notamment par le soutien aux entreprises africaines. Trop souvent, et même dans ma propre institution, nous nous concentrons beaucoup trop sur l’implantation d’entreprises étrangères en Afrique. Elles bénéficient d’allègements fiscaux. Mais nous ne nous occupons pas assez de nos propres entreprises. Nous devons donc nous adapter pour les inciter à investir et à rester sur le continent, pour qu’elles puissent s’associer à des entreprises égyptiennes, tunisiennes, marocaines, nigérianes, sénégalaises, et pour qu’elles puissent toutes investir sur le continent.
« Nous ne nous occupons pas assez de nos propres entreprises. Nous devons donc nous adapter pour les inciter à investir et à rester sur le continent […] pour qu’elles puissent toutes y investir »
Dans ce contexte où le commerce mondial est en pleine réécriture, nous devons agir rapidement pour repenser le système commercial africain, nos règles, nos tarifs douaniers, nos infrastructures, notre énergie et nos politiques. Et ne nous contentons pas de petits projets par-ci ou d’un parc industriel par-là…
« Dans ce contexte où le commerce mondial est en pleine réécriture, nous devons agir rapidement pour repenser le système commercial africain, nos règles, nos tarifs douaniers, nos infrastructures, notre énergie et nos politiques »

Vous évoquez souvent l’Inde et la Chine, qui chacune ne représente qu’un seul pays…
S. M. M. : Mais c’est un milliard de personnes réunies en un seul marché ! Les pays se développent quand vous avez un seul grand marché. Donc, en Afrique, bien sûr, chaque pays compte. Mais aucun marché n’est suffisamment solide à lui seul pour faire la différence. Si vous investissez en Zambie aujourd’hui et que vous proposez de créer une entreprise d’embouteillage, vous commencerez à produire des bouteilles jusqu’à ce que le marché zambien soit saturé. Vous serez alors confronté à des problèmes de liquidités. Il vous faudra commencer à exporter vers la RDC et la Tanzanie. Mais le transport augmentera vos coûts de 40 %, parce que l’infrastructure routière est mauvaise et que vous ne pouvez pas utiliser le train, car vous allez passer 10 jours à la frontière. Et lorsque vous arriverez à Kinshasa, à la frontière on vous dira : « Je peux obtenir la même bouteille à moitié prix en Belgique ». Et c’est pourquoi, en tant que président de la BAD, ma première priorité sera le marché. Et je sais que certains chefs d’État seront réticents. Ils diront : « Regardez, les droits de douane nous rapportent beaucoup ». Mais je peux vous garantir que vous gagnerez deux fois plus d’argent sur un marché ouvert que sur un marché entièrement amputé par les droits de douane.
« Je peux vous garantir que vous gagnerez deux fois plus d’argent sur un marché ouvert que sur un marché entièrement amputé par les droits de douane »
Quel type de partenariat économique l’Afrique peut-elle établir avec les États-Unis, la Chine, l’Europe et la Russie ?
S. M. M. : Il faut une institution économique qui aide nos gouvernements à négocier de meilleurs accords. Et c’est là que je vois le rôle de la BAD.
De nombreux gouvernements africains investissent dans des fonds souverains et des banques de développement. La BAD doit s’associer à ces fonds souverains afin de défendre les intérêts de l’Afrique d’un point de vue commercial. C’est là le cœur de ce qui, selon moi, définira le siècle prochain : la transition de l’aide à la dette vers une économie fondée sur la croissance et la prospérité. L’héritage d’Adesina, sur lequel je souhaite m’appuyer, réside dans le fait qu’il a rehaussé la réputation de la BAD. Il a fait du bon travail, en en renforçant la visibilité. Il nous faut maintenant utiliser cette visibilité pour affirmer que l’Afrique est à son apogée.
Construisons des institutions africaines, des infrastructures africaines, des marchés commerciaux africains, afin de rendre l’Afrique si attractive que, lorsque les pays du Golfe et d’Europe souhaiteront investir en Afrique, ils ne se contenteront pas de se dire dans quel pays ils peuvent s’implanter. Mais ils se diront plutôt qu’ils ont un marché d’un milliard de personnes devant eux.
« L’héritage d’Adesina, sur lequel je souhaite m’appuyer, réside dans le fait qu’il a rehaussé la réputation de la BAD. Il a fait du bon travail, en en renforçant la visibilité. Il nous faut maintenant utiliser cette visibilité pour affirmer que l’Afrique est à son apogée »
Comment voyez-vous l’avenir de l’Afrique dans ce monde dominé par la nouvelle économie, l’intelligence artificielle, les datas ?
S. M. M. : Je suis à la fois optimiste et inquiet. Optimiste, car l’IA nous permet de progresser très rapidement dans de nombreux secteurs où l’on mettait auparavant des années. Ce qui m’inquiète, c’est que nous n’investissons pas assez vite dans le secteur de l’énergie pour tirer pleinement parti de l’IA. L’IA consomme énormément de puissance de calcul. Partout dans le monde, des points de données et des capacités de stockage sont créés. Nous n’en construisons pas suffisamment.
Nous devons donc investir plus rapidement dans l’énergie et les infrastructures afin d’être à l’avant-garde. Le deuxième sujet de préoccupation est que l’IA utilise l’anglais, ou le français, aux dépens du swahili, du zoulou, etc., donc de nos langues, qui en sont absentes. C’est pourquoi nous devons soutenir les entreprises qui investissent dans les langues et les cultures locales, ainsi que dans les outils de reconnaissance faciale locaux.
« Nous devons soutenir les entreprises qui investissent dans les langues et les cultures locales, ainsi que dans les outils de reconnaissance faciale locaux »
Même dans le domaine médical, l’IA va révolutionner la médecine. Nous pourrons obtenir rapidement des diagnostics, des traitements et des médicaments. Mais seulement 3 % des essais cliniques mondiaux se déroulent actuellement en Afrique. Et c’est un risque. Que le diagnostic de demain ne soit pas basé sur des données démographiques.
« Seulement 3 % des essais cliniques mondiaux se déroulent actuellement en Afrique. Et c’est un risque ».