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Peut-on encore réanimer une autre Afrique ?

Disney + s’investit dans la promotion de l’animation africaine avec la sortie le 5 juillet prochain de la série d’animation « Kizazi Moto : Generation Fire ». Avec des œuvres d’artistes originaires d’Égypte, du Kenya, du Nigeria, d’Afrique du Sud, d’Ouganda et du Zimbabwe, La plateforme de streaming internationale proposera aux spectateurs des points de vue inédits sur le continent africain de demain.

Par Albert Ménélik Tjamag

Il est commun de dire que l’Afrique est à la croisée des chemins et que les voies qu’elle décide d’emprunter détermineront un futur brillant ou représenteront la pâle copie d’un occident fatigué. L’industrie de l’animation est un exemple typique de l’importance du choix d’une décision dans la direction future de l’Afrique, d’autant plus que cette industrie touche plus directement la fourmillante jeunesse du continent. Disney + s’inscrit dans ce processus avec la sortie le 5 juillet prochain de la série d’animation « Kizazi Moto: Generation Fire ». Avec des œuvres d’artistes originaires d’Égypte, du Kenya, du Nigeria, d’Afrique du Sud, d’Ouganda et du Zimbabwe, La plateforme de streaming Disney+ proposera aux spectateurs des points de vue inédits sur le continent africain de demain.

Le divertissement… Parent pauvre

En poussant plus loin la réflexion, demandons-nous comment il serait possible pour l’industrie de l’animation en Afrique de trouver une voie différente et de développer une singularité, à l’instar de ce que le Japon a accompli avec les mangas.

Cela passe d’abord par la valorisation des cultures et des histoires africaines, c’est effectivement ce que nous propose la série d’animation de Disney+ dont il faut saluer l’initiative. Mais doit-on forcément attendre ces coups d’éclairages sporadiques ou ne serait-il pas temps de systématiser une approche originale en mettant en avant les traditions, les légendes et les récits africains dans les productions animées par la recherche d’une inspiration locale et le développement de personnages emblématiques issus de la diversité africaine. Le dire et le faire sont deux choses différentes tant ce secteur bien que volontaire, est balbutiant et peu formé où les canaux de diffusion peinent à atteindre la masse des populations.

Une narration africaine

C’est peut-être dans ce déséquilibre que se trouve la solution. Au delà d’intégrer des thématiques sociales, politiques ou historiques propres à l’Afrique, il est temps pour l’Afrique de créer une identité narrative distinctive à l’exemple de la manière dont l’Asie a su se raconter. Cela peut se manifester par l’exploration de techniques d’animation originales. Nos créateurs doivent être force de proposition et mettre sur la table des processus d’animation singuliers qui nous démarquent du déjà vu. Pour des histoires originales, il faut une narration originale. Nous avons déjà été colonisés par les langues, il faut que le mode de pensée africain établisse de nouveaux codes de narration originale qui parlent à nos populations. Amener le monde en Afrique plutôt que singer le monde à l’africaine, pour cela nous devons expérimenter de nouveaux styles artistiques, en puisant dans l’art traditionnel africain ou en créant des esthétiques uniques. Nous pouvons également explorer des techniques d’animation moins conventionnelles, telles que l’animation en volume, l’animation en papier découpé ou l’utilisation de marionnettes.

La technologie et l’accession aux outils informatiques n’est plus vraiment une barrière et l’exemple de l’utilisation du téléphone mobile dans lequel l’Afrique a fait un saut quantitatif et qualitatif, la même chose peut-être réalisée dans l’industrie du divertissement. Nous devons encourager les structures existantes à l’exemple de Kiro’o Games au Cameroun et favoriser l’innovation en encourageant les animateurs africains à repousser les limites et à explorer de nouvelles formes d’expression.

Des formats et de genres spécifiques

Sans vouloir forcément tout détruire pour reconstruire, la révolution de l’animation africaine doit encourager la diversité des genres et des thèmes abordés pour offrir une alternative à la production animée internationale. Pour trouver notre voie, il est essentiel de créer des formats narratifs adaptés à la culture africaine, en prenant en compte les spécificités du public cible. La non-linéarité de diffusion des plateformes de streaming comme Disney+ ou Netflix peut nous aider en cela, tout comme la grande démocratisation des terminaux mobiles en Afrique. Il faut oser emprunter de nouveaux chemins en explorant des genres peu exploités en animation, tels que les documentaires animés, les comédies satiriques ou encore les drames historiques. La révélation d’une africanité profonde ne passe pas forcément par le modernisme effréné que sous-tendent des productions comme “Black Panther“ mais davantage par des introspections réelles des besoins et doutes de nos sociétés actuelles avec une main tendue vers la tradition. 

Former… Encore et toujours

La formation est le corollaire indispensable à la préparation d’une industrie africaine de l’animation solide. Il est impératif de promouvoir la formation et la recherche en animation en établissant des programmes de formation spécialisés dans l’animation africaine et en y intégrant les compétences techniques et artistiques nécessaires. Les initiatives se multiplient dans ce sens comme l’association Mounia Aram qui en partenariat avec le prestigieux institut français d’animation des Gobelins cherche à dispenser des formations qualifiantes longues et gratuites au Maroc et au Cameroun. Il est aussi important de pousser plus loin la réflexion en soutenant la recherche académique sur l’animation africaine, afin d’explorer de nouvelles perspectives et de développer des théories spécifiques au continent.

Il est enfin nécessaire d’encourager les collaborations entre les établissements d’enseignement et les professionnels de l’animation pour favoriser l’émergence de nouveaux talents locaux.

Solidifier les infrastructures

La dernière étape consistera à développer des studios d’animation bien équipés en Afrique, pour faciliter la création et la production de projets originaux. À ce stade, l’apport des pouvoirs publics sera primordial mais d’une mise en oeuvre difficile étant donné la portion congrue des activités culturelles dans les budgets étatiques. Les acteurs privés doivent renforcer les partenariats avec des festivals et des événements internationaux pour promouvoir les œuvres africaines et favoriser les échanges avec d’autres industries, rechercher les opportunités de collaboration avec des studios étrangers pour renforcer la visibilité et la distribution des productions africaines. Citons la série d’animation franco-africaine “Wakfu” créée par le studio français Ankama en collaboration avec le studio ivoirien Afrika Toon. Les plateformes de streaming sont une chance d’accélération évidente de la diffusion des productions animées africaines sur différents supports mais il faudrait également encourager la création de réseaux de distribution locaux et régionaux. Le groupe Universal a créé un réseau de salles de production artistiques nommé Canal Olympia à travers l’Afrique francophone. L’initiative est à saluer mais nous sommes encore loin des multiplex qui démocratisent effectivement le divertissement et le loisir sur toute l’Afrique.

En empruntant une voie différente et en trouvant une singularité propre à l’Afrique, l’industrie de l’animation sur le continent peut se démarquer et attirer l’attention à l’échelle internationale. L’innovation, la valorisation des cultures locales et la recherche de nouvelles formes d’expression sont des éléments clés pour parvenir à cet objectif.

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