Dans cette édition de mars qui est le mois des droits de la femme, Forbes Afrique a choisi de célébrer les Africaines qui ont conquis leurs galons de dirigeantes dans l’univers impitoyable des affaires. Nous avons sélectionné, sans que cela soit un classement, des profils de managers féminines récemment promues ou en fonction, qui incarnent la forte tendance de ces dernières années de l’émergence d’un leadership économique du « deuxième sexe ». Les secteurs des services financiers, des assurances et des nouvelles technologies se taillent la part du lion.
Entreprises : le leadership se féminise
Les femmes sont désormais de plus en plus nombreuses dans les haut lieux du pouvoir. Ces derniers s’ouvrent à elles au sein des conseils d’administration ou des comités exécutifs de direction, jadis bastions quasi imprenables réservés à la gent masculine.
Les femmes africaines, dans toute leur complexité et leur diversité, sont des actrices majeures du développement et de la croissance économique du continent. Au quotidien, elles contribuent à la construction de leur pays à différents niveaux de responsabilité. Même si elles sont confrontées à de multiples formes d’inégalités dans le milieu professionnel, en famille ou dans la sphère politique, elles sont néanmoins de plus en plus nombreuses à s’affranchir des barrières psychologiques ou sociales pour conquérir de nouveaux espaces d’expression de leurs talents. C’est notamment le cas dans les instances dirigeantes des entreprises qui se féminisent de plus en plus en Afrique.
Même si les nominations en cascade constatées ces derniers mois sont loin d’avoir ébranlé la profondeur millénaire du leadership masculin, les femmes sont désormais de plus en plus nombreuses aux portes des hauts lieux du pouvoir. Par exemple, Public Investment Corporation (PIC), le plus grand gestionnaire d’actifs en Afrique, est actuellement dirigé par une Sud-Africaine de 36 ans. Certains géants du web et de l’informatique ont aussi confié les rênes de leurs fi liales en Afrique à des femmes. C’est le cas de l’initiative Microsoft for Africa, dirigée par l’Éthiopienne Amrote Abdella; de Facebook Afrique avec la Sud-Africaine Nunu Ntshingila; de Google au Nigeria avec Juliet Ehimuan; ou encore de Hewlett-Packard avec la récente nomination de la FrancoCapverdienne Elisabeth Moreno comme viceprésidente et directrice générale Afrique.
EFFET DE MODE OU RÉEL AVANTAGE?
La question que l’on est en droit de se poser est celle de savoir si ces différentes nominations féminines à la tête de grands groupes entrent dans le cadre d’un simple effet de mode ou s’il s’agit plutôt d’un réel avantage business pour les entreprises tendant à une véritable parité dans les instances dirigeantes, tel que recommandé dans les Objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations unies en 2015. Ceux-ci incitent les entreprises à «veiller à ce que les femmes participent pleinement et effectivement aux fonctions de direction à tous les niveaux de décision, dans la vie politique, économique et publique, et y accèdent sur un pied d’égalité»?
Mais il est évident que le plafond de verre pour les femmes se fissure petit à petit et que l’ascenseur professionnel semble fonctionner à plein régime ces derniers temps.
Selon certaines études, la mixité au sein des conseils d’administration et comités de direction renforce les performances financières et économiques des entreprises. En outre, cette diversité de genres dans les instances dirigeantes y ajouterait de la valeur sociale et économique. À ce sujet, le dernier rapport de la London Stock Exchange (LSE) intitulé «Compagnies to inspire Africa», publié en janvier 2019, indique que les sociétés comptant le plus grand nombre de femmes dans leurs conseils d’administration ont connu une augmentation de leurs bénéfices de 20% par rapport à la moyenne générale des entreprises. Un chiffre déjà évoqué par le cabinet McKinsey qui, dans son rapport intitulé «Women Matter» publié en août 2016, avait indiqué que les sociétés dont le conseil d’administration comptait plus de 31% de femmes réalisaient un bénéfice supérieur de 20% (avant intérêts et impôts).
L’étude avait également démontré que la moyenne de femmes membres de conseils d’administration, chefs et cadres d’entreprise dans le secteur privé en Afrique était supérieure à la moyenne mondiale. L’Afrique comptant 5% de femmes chefs d’entreprise, alors que la moyenne sur la planète était de 4%. Bien, mais peut mieux faire. Et c’est à juste titre que la Nigériane Ibukun Awosika, présidente de la banque nigériane First Bank et pionnière dans les plus hautes sphères de management en Afrique, a parlé de la «solitude des sommets» pour expliquer que plus une femme gravit les échelons, plus elle se retrouve seule face à une organisation masculine du leadership.
Néanmoins, malgré cette présence encore minime mais en pleine progression, cette nouvelle génération de femmes africaines dirigeantes de grands groupes et de multinationales contribue à faire évoluer les mentalités et à faire émerger de nouveaux modèles de leadership féminin sur le continent grâce à son implication sociale, sa créativité, son innovation et son atout séduction. Elles contribuent au développement économique des entreprises qu’elles dirigent et donnent aussi un nouveau visage aux cercles du pouvoir dans les entreprises panafricaines ou les multinationales en Afrique.
LA RÉUSSITE DES ENTREPRENEURES
En dehors des groupes panafricains ou des multinationales qu’elles dirigent, les femmes entrepreneures sont également en première ligne, même si elles font encore figure d’exceptions. Elles ont créé et dirigent des entreprises prospères, parfois dans des secteurs dominés par les hommes : mines, bâtiment, métallurgie, etc. Ainsi, la Nigériane Chantelle Abdul a créé Mojec International, le plus grand fabricant de compteurs d’électricité en Afrique de l’Ouest, avec une usine à la pointe de la technologie située à Lagos. Une autre Nigériane, Kofo Akingugbe, a créé et dirige SecureID, le premier fabricant africain de cartes à puce et d’autres documents d’identité, qui possède aussi la première usine de fabrication de cartes certifiées EMV (puce et NIP) en Afrique subsaharienne, dont les produits sont distribués dans 21 pays africains. Pour sa part, Henriette Kabore est la reine du BTP au Burkina Faso, fondatrice de Bâtiments travaux publics maintenance (BTM Immo), spécialisée dans la construction et la maintenance de bâtiments et de routes, l’aménagement de périmètres agricoles et la promotion immobilière. Bien plus, la Guinéenne Tiguidanke Camara, présidente et fondatrice de Tigui Mining Group (TMG), est la seule femme propriétaire d’une compagnie minière en Afrique francophone. De son côté, la Camerounaise Valérie Neim est la directrice générale du Crédit coopératif participatif du Cameroun (CCPC), une entreprise familiale de microfinance, composée à 90% de femmes. Selon elle, les femmes seraient plus fiables que les hommes.
Selon l’étude «Women Entrepreneurship in Africa : a path to empowerment», présentée lors du forum Women In Africa (WIA) à Marrakech en septembre dernier, 24% de femmes africaines créent leur entreprise, et en moyenne une femme sur trois déclare avoir un projet de création. C’est le plus fort taux de création d’entreprise (depuis les débuts jusqu’à quarante-deux mois d’activité) constaté à l’échelle mondiale (contre 17% en Amérique latine et aux Caraïbes, 12% en Amérique du Nord et 8% en Europe et en Asie centrale).
Toutes les réussites évoquées ci-dessus ne sont pas le fruit de la simple féminité, mais plutôt de la compétence dont font preuve ces femmes dans leurs domaines respectifs et de la volonté de certains groupes de s’engager sur le chemin de la diversité des genres dans le management et de créer un environnement propice au développement des talents, qu’ils soient féminins ou masculins.
Néanmoins, malgré ces avancées significatives, cet accès à différents postes de direction donne-t-il réellement du pouvoir aux femmes, lorsque l’on sait que, dans le milieu professionnel, elles font toujours face aux discriminations et aux violences? Même si le continent connaît des avancées significatives en matière de parité dans le leadership au sein des entreprises, l’autonomisation et l’intégration professionnelle des femmes africaines dans les équipes dirigeantes de grandes entreprises demeurent encore un défi. Pourtant, les femmes doivent aussi être les architectes des performances de ces sociétés au plus haut niveau. Pour ce faire, les entreprises doivent s’affranchir des préjugés séculaires liés au sexe, aux origines, à la culture et à la religion, éliminer les inégalités structurelles et lever les obstacles qui bloquent les multiples potentialités des femmes africaines et les empêchent d’accéder à de hauts postes à responsabilités. Appelées à rédiger les plus belles pages de l’Afrique d’aujourd’hui et de demain, les femmes africaines constituent des leviers et des maillons essentiels pour la croissance et le développement des grands groupes panafricains ainsi que des multinationales opérant sur le continent.
Pour lire l’intégralité du dossier Spécial femmes , rendez-vous pages 40-50 du numéro 55 Mars 2019