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Sénégal : Nouvelle Taxe, Coup Dur Pour le Mobile Money

Destinée à renforcer la mobilisation des ressources internes dans un contexte budgétaire tendu, la taxe sur les transactions de mobile money désormais adoptée par le Sénégal pourrait avoir des conséquences majeures sur l’inclusion financière, l’économie informelle et la dynamique digitale du pays.

Bylkiss Mentari


L’Afrique connaît un essor sans précédent du mobile money. En 2024, l’industrie a dépassé 2,1 milliards de comptes enregistrés au niveau mondial et 514 millions d’utilisateurs mensuels actifs, selon le rapport State of the Industry Report on Mobile Money 2024 de la GSMA1. Toujours en 2024, l’Afrique subsaharienne représentait environ 1,1 milliard de comptes enregistrés, soit plus de la moitié des utilisateurs mondiaux. Cette même année, le continent a traité près de 81,8 milliards de transactions, représentant environ 1 105 milliards de dollars, soit une hausse de 15 % par rapport à 2023, selon la GSMA.

Une Révolution Économique à Fort Impact Social

Dans de nombreux pays du continent, les portefeuilles électroniques sont devenus des outils essentiels pour les transferts d’argent, les paiements de marchands et l’épargne. Selon la Banque mondiale (Global Findex 2024), environ 40 % des adultes d’Afrique subsaharienne détenaient un compte de mobile money en 2024, et 23 % l’utilisaient pour épargner. Cette révolution financière a permis à des millions de citoyens de contourner l’accès limité aux banques traditionnelles.

« Selon la Banque mondiale (Global Findex 2024), environ 40 % des adultes d’Afrique subsaharienne détenaient un compte de mobile money en 2024, et 23 % l’utilisaient pour épargner »


« Plus de 90 % des Sénégalais Utilisent Quotidiennement le Mobile Money« 

Au Sénégal, cette dynamique est particulièrement marquée. Alors que moins de 30 % des adultes détiennent un compte bancaire classique selon la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), l’usage du mobile money s’est imposé comme un réflexe quotidien. En 2025, le volume des transactions a atteint environ 15 300 milliards de francs CFA (environ 27 milliards de dollars). Ces services facilitent les envois de fonds, les paiements commerciaux, les transferts entre particuliers et l’épargne, tout en constituant un pont vers l’économie formelle.


Des Risques Pour les Ménages et l’Économie

Dans un contexte où la dette publique dépasse les 100 % du PIB selon le ministère des Finances, le gouvernement a intégré, dans le Plan de relance économique et sociale 2025-2028, une nouvelle taxe sur les transactions. La loi adoptée par l’Assemblée nationale prévoit un prélèvement de 0,5 % sur les transactions mobile money, avec un plafonnement fixé par décret. L’État table sur environ 230 milliards de francs CFA (environ 410 millions de dollars) de recettes cumulées sur trois ans, selon les projections financières officielles du gouvernement sénégalais.

« La loi adoptée par l’Assemblée nationale prévoit un prélèvement de 0,5 % sur les transactions mobile money, avec un plafonnement fixé par décret »

Cette réforme suscite toutefois de vives inquiétudes. Les ménages les plus vulnérables – micro-entrepreneurs, commerçants informels, étudiants ou familles à faible revenu – pourraient voir leur budget quotidien impacté. Même un prélèvement de 0,5 % peut représenter une charge importante sur des transferts récurrents de petits montants. Plusieurs analyses, dont celles de la BCEAO sur les comportements d’usage des services de paiement, montrent qu’une hausse des coûts peut entraîner un retour massif au cash, ce qui fragiliserait l’écosystème digital, alourdirait les coûts de gestion pour l’État et réduirait la formalisation de l’économie.

« Même un prélèvement de 0,5 % peut représenter une charge importante sur des transferts récurrents de petits montants »


De Contre-Exemples Africains

En outre, les expériences africaines récentes offrent des enseignements précieux. En Ouganda, la taxe mobile money de 2018 avait entraîné une chute immédiate des volumes selon le ministère des Finances ougandais. En Tanzanie, une hausse des prélèvements sur les transactions a dû être partiellement annulée en 2022 face à son impact sur l’usage des services, selon le gouvernement tanzanien. Au Ghana, l’E-Levy de 2022 a généré des recettes très inférieures aux prévisions initiales, d’après le ministère ghanéen des Finances. Le FMI a également mis en garde le Cameroun après l’introduction d’un prélèvement de 0,2 %, soulignant une baisse notable des volumes et des risques pour l’inclusion financière.

 « Le FMI a […] mis en garde le Cameroun après l’introduction d’un prélèvement de 0,2 %, soulignant une baisse notable des volumes et des risques pour l’inclusion financière »

Le secteur du mobile money au Sénégal ne soutient pas seulement les ménages : il alimente l’économie dans son ensemble. Des analyses dont le rapport State of the Industry Report on Mobile Money 2024 de la GSMA, démontrent que le développement des services financiers numériques contribue positivement à la croissance, avec des effets estimés entre 0,5 % et 1,5 % du PIB par an pour les pays fortement digitalisés comme le Sénégal.

« Le secteur du mobile money au Sénégal ne soutient pas seulement les ménages : il alimente l’économie dans son ensemble »


Une Réforme à Double Tranchant

C’est la raison pour laquelle les acteurs du secteur et les associations de consommateurs mettent en garde. Les fintechs soulignent que l’augmentation des coûts pourrait réduire les volumes et fragiliser leurs modèles économiques. Les commerçants informels craignent une diminution de leurs marges et un retour au cash. Les décideurs politiques, conscients de la nécessité d’accroître les recettes, doivent peser les risques sociaux et économiques d’un outil fiscal qui pourrait nuire aux objectifs de long terme.

 « Les acteurs du secteur et les associations de consommateurs mettent en garde »

L’enjeu est stratégique : le Sénégal s’est engagé dans la Vision 2050 et le New Deal Technologique, avec l’ambition de devenir un hub fintech africain. Une taxe mal calibrée pourrait compromettre une décennie de progrès en inclusion financière. D’autant que d’autres pistes existent : renforcer la fiscalité sur les bénéfices des prestataires, digitaliser davantage les paiements publics ou mobiliser des secteurs sous-taxés, tout en soutenant l’adoption massive des services numériques.

 « Une taxe mal calibrée pourrait compromettre une décennie de progrès en inclusion financière »


1- GSM Association (GSMA ou Global System for Mobile Communications), association mondiale des opérateurs de mobile

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