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Tope Awotona, le nouveau visage de la tech

Originaire du Nigeria, Tope Awotona a vidé son compte en banque et placé toutes ses économies dans la création de la solution de planication Calendly. Il est aujourd’hui l’un des immigrés les plus riches des États-Unis.

Par Amy Feldman – Publié dans l’édition 64

Calendly est montée en puissance grâce à son interface soignée et conviviale, et son modèle « freemium »

Tope Awotona part dans un éclat de rire en se renversant dans son fauteuil. « Vous voyez un message de marque là où je vois une réalité tangible », explique le quadragénaire, fondateur et directeur général de Calendly. Sa conviction ? Calendly, son application de planification, est l’outil ultime qui permet de mener une vie professionnelle plus productive et plus heureuse. Il y a neuf ans, l’homme a investi 200 000 dollars – l’intégralité de ses économies – pour lancer Calendly avant de quitter son emploi de commercial en logiciel chez EMC. Aujourd’hui, Calendly compte 10 millions d’utilisateurs et des clients comme l’enseigne de VTC Lyft, le site de généalogie Ancestry.com, l’université de l’Indiana et le fabricant de meubles La-Z-Boy. L’an dernier, les recettes de l’entreprise ont été multipliées par deux en glissement annuel, et franchi la barre des 100 millions de dollars. Elles pourraient bien encore doubler cette année.

L’entreprise, qui a vu le jour à Atlanta et ne possède plus de bureaux physiques, est rentable depuis 2016. En 2021, Calendly est parvenue à mobiliser un financement de 350 millions de dollars auprès des sociétés d’investissement OpenView Venture Partners et Iconiq Capital, pour un prix qui a porté sa valorisation à 3 milliards de dollars. Grâce à cette opération, la participation majoritaire du fondateur vaut aujourd’hui pas moins de 1,4 milliard de dollars (Forbes applique une décote de 10% sur les actions des entreprises privées). Tope Awotona est l’un des deux seuls entrepreneurs milliardaires noirs du secteur des technologies aux États-Unis avec le septuagénaire David Steward, fondateur du fournisseur de services informatiques World Wide Technology. « Tope pourrait bien devenir l’entrepreneur afro-américain de la tech le plus brillant de sa génération », analyse David Cummings, fondateur d’Atlanta Ventures, qui avait réuni 550 000 dollars en guise de capital d’amorçage pour Calendly il y a sept ans. Calendly n’est pas le seul acteur sur le marché des logiciels de planification ; Square, Microsoft et la société zurichoise Doodle ont tous des produits en concurrence. Mais Calendly est montée en puissance grâce à son interface soignée et conviviale, et son modèle « freemium » (qui consiste à proposer une offre gratuite dans l’espoir de faire basculer le client vers un service payant), qui lui apporte une clientèle payante, sans effort marketing.

Après la planification des réunions, l’entrepreneur ambitionne désormais de créer des solutions pour aider les recruteurs, le personnel de vente et les employés de bureau à gérer le cycle de vie complet des réunions. Ces outils permettront par exemple d’affecter les réunions aux collaborateurs appropriés et d’annexer directement dans l’invitation tous les documents requis, comme l’ordre du jour et les plans budgétaires. L’évolution des résultats pourra être suivie grâce à l’intégration de logiciels de productivité comme Salesforce. Véritable corvée pour certains, l’organisation des réunions est, aux yeux du Nigérian, essentielle pour établir des passerelles et suivre l’activité d’une entreprise. Selon lui, cette vision à 360 degrés pourrait représenter un marché potentiel de 20 milliards de dollars à l’échelle mondiale. « J’ai bien fait d’aller à l’encontre des idées reçues, note l’homme d’affaires. J’ai gagné au change tant sur le plan personnel que dans ma vie professionnelle.»

Né à Lagos (Nigeria), Tope Awotona a grandi dans une famille de la classe moyenne. Son père est microbiologiste et entrepreneur, et sa mère, employée à la banque centrale. Mais Lagos, deuxième plus grande ville du continent, centre économique dynamique de 15 millions d’habitants, est également une métropole dangereuse. À 12 ans, le jeune Tope assiste, impuissant, au meurtre de son père alors qu’il résistait au vol de sa voiture. « J’ai toujours ressenti le besoin de me racheter », explique-t-il.

En 1996, alors qu’il est âgé de 15 ans, l’adolescent déménage à Atlanta avec sa famille. Il étudie l’informatique à l’université de Géorgie avant d’opter pour le commerce et l’informatique de gestion. « J’adorais la programmation informatique, mais le travail était trop répétitif, explique-t-il. Je suis sans doute trop extraverti pour être codeur. » Il change son fusil d’épaule et se lance dans la vente de logiciels pour des entreprises technologiques comme Perceptive Software, Vertafore et EMC (passée depuis sous le giron de Dell). Il s’essaie en parallèle à l’entrepreneuriat et crée un site de rencontres, une société de vente de projecteurs et une entreprise de vente d’outils de jardinage. Ce seront des échecs cuisants. Mais l’histoire derrière Calendly est différente. Elle est née de la propre expérience de Tope Awotona. Lors de son passage dans la vente, l’organisation des réunions sera pour lui source de frustrations, car il lui faudra parfois échanger des dizaines de courriels, sur plusieurs jours, pour tout planifier. « Je suis parti d’une évidence : l’organisation des réunions était devenue un casse-tête. » En 2013, l’aventure Calendly commence à l’Atlanta Tech Village, un espace de travail partagé dédié aux entrepreneurs. Pour financer son projet, il vide son plan d’épargne 401(k) et atteint le plafond de toutes ses cartes de crédit. « Ça aurait pu très mal tourner. Pour mes précédents projets d’entreprise, j’avais couvert mes arrières et prévu une porte de sortie. Mais avec Calendly, j’ai foncé tête baissée et misé tout ce que j’avais. Si l’on veut réussir, il faut tenter le tout pour le tout. »

L’homme d’affaires confie la conception du logiciel à la société ukrainienne Railsware. Il y a huit ans, il se trouvait à Kiev au moment des émeutes contre le pouvoir en place. Aujourd’hui, alors que la guerre fait rage dans le pays, Calendly a aidé à évacuer et relocaliser les dix développeurs sous contrat de Railsware et leur apporte, ainsi qu’à leur famille, un appui financier. Fin 2013, l’homme d’affaires tient un produit rentable, mais ses caisses de liquidités sont vides. Menés par David Cummings, les investisseurs volent alors à sa rescousse et injectent un demi-million de dollars en guise de capital d’amorçage. Gratuite pour les particuliers, Calendly est payante pour les entreprises, qui s’acquittent chaque mois de 25 dollars par utilisateur. « Les employés vantent les mérites de notre produit à leur direction et, de fil en aiguille, tout cela fait boule de neige. Ils sont un peu notre cheval de Troie au sein de leur entreprise.»

Les entreprises peuvent personnaliser les pages de destination, affecter des réunions à des équipes spécifiques et intégrer la solution à d’autres outils, tels que Salesforce, la solution de paiement Stripe, le logiciel de réunion Zoom et la solution marketing Hubspot. Ces douze derniers mois, le nombre de grands comptes (ceux qui dépensent plus de 100 000 dollars par an, selon les critères maison) de Calendly a décuplé, grâce à la consolidation des équipes commerciales. À titre d’exemple, le site Internet de vente de véhicules CarGurus, coté en Bourse, a organisé pas moins de 2 000 réunions commerciales avec les vendeurs sur Calendly depuis son inscription en mai 2021. Selon Michael Riley, responsable de la stratégie numérique de CarGurus et initiateur du passage à la solution de planification, Calendly a permis aux employés de CarGurus d’économiser 500 heures de temps de travail.

« Je suis parti d’une évidence : l’organisation des réunions était devenue un casse-tête »

En juin 2021, US Foods, un important fournisseur agroalimentaire installé en périphérie de Chicago, a donné accès à Calendly à 100 collaborateurs travaillant avec des restaurants indépendants, des commerces familiaux pour la plupart. Selon les termes du contrat, US Foods a pu utiliser des modèles personnalisables, disponibles en anglais et en espagnol, pour organiser les réunions, et inclure les nouvelles ventes et d’autres indicateurs de performance dans sa planification stratégique. « La visibilité a été l’argument de vente décisif qui nous a convaincus de signer avec Calendly », explique David Eschler, vice-président de la restauration chez US Foods. Selon Tope Awotona, le coût que représente Calendly pour ses clients professionnels est largement compensé par les gains de productivité.

Cependant, les « rapports de force » s’avèrent parfois complexes – qui envoie l’invitation et qui l’accepte – notamment dans certaines professions comme celle d’investisseur en capital-risque, pour lesquelles les questions de ce type sont délicates. Tope Awotona, pour qui la question ne se pose pas pour le recruteur ou le commercial lambda, a été surpris de voir son entreprise faire l’objet d’échanges virulents sur Twitter début 2022. Le 26 janvier, Sam Lessin, spécialiste du capital-risque chez Slow Ventures, publiait un tweet pour exprimer son hostilité à l’égard de Calendly, qui est à ses yeux « l’incarnation, dans sa forme la plus crue et la plus flagrante, de la dynamique qui sous-tend le capital relationnel dans le monde des affaires ».

« Qui t’a fait du mal, Sam ? », lui a rétorqué le milliardaire et cofondateur de Facebook Dustin Moskovitz, dont la société, Asana, qui a conçu une solution de gestion de projet, est cliente de Calendly. Le spécialiste du capital risque Marc Andreessen (dont le patrimoine s’élève à 1,7 milliard de dollars) a surenchéri avec un tweet qu’il a depuis supprimé : « Avis avec effet immédiat : quiconque ignore mes [invitations] Calendly se verra banni à jamais de toute levée de capital-risque dans la Silicon Valley.»

Toute cette agitation, explique Awotona, a poussé des dizaines de milliers de nouveaux utilisateurs à s’abonner à Calendly. « Notre équipe marketing a passé beaucoup de temps cette année pour trouver comment faire parler de Calendly. Alors qu’il suffisait tout bonnement de publier quelques tweets, ironise-t-il. On ne pouvait pas faire plus efficace.» Tope Awotona, dont les 424 collaborateurs travaillent à distance depuis l’été dernier, entend étoffer les fonctionnalités de Calendly pour couvrir tout le cycle de vie des réunions, de l’amont (comme offrir la possibilité d’annexer les CV des candidats directement aux invitations envoyées aux recruteurs) à l’aval (comme des fonctionnalités d’analyse plus poussées). L’expansion à l’international est également à l’ordre du jour, car le Nigérian est convaincu que l’organisation des réunions est un problème universel qui touche tous les marchés. « Notre intention est de faire en sorte que chaque réunion puisse être efficace et servir ses objectifs, explique Tope Awotona, qui confie passer en moyenne 25 heures en réunion par semaine. Le succès d’une réunion réside dans l’organisation – il faut savoir comment planifier, prévoir une préparation simplifiée et assurer le suivi. C’est là notre ambition ultime. »

L’expansion à l’international est à l’ordre du jour, car le Nigérian est convaincu que l’organisation des réunions est un problème universel qui touche tous les marchés.

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